Organisation flexible : 9 conseils pour manager en évitant les grands écarts
12. 6. 2023
6 min.
Unité de lieu et de temps désagrégée, flexibilité à la demande, équipes dispersées, lieux hybridés... Face à ces multiples transformations, le management semble avoir engagé sa mue. Au cœur de cette complexité, comment manager avec cohérence ?
Depuis que la virtualisation et la flexibilisation font pleinement partie de l’univers professionnel, manager devient parfois un casse-tête. Il n’est pas rare de voir une partie des collaborateurs en télétravail, l’autre en présentiel. Certains ont même opté pour la semaine de 4 jours ou sont en congés illimités. Le manager, lui, est retranché au milieu d’espaces flambant neufs censés faciliter une collaboration sans couture. Ces scénarios sont une illustration de situations ubuesques que peuvent parfois vivre les organisations qui ont fait le pari de la flexibilité à tout prix. « Les nouveaux espaces flex offraient l’opportunité d’améliorer la communication entre équipes. La promesse n’est pas tenue : la rotation est relativement faible, les collaborateurs changent peu de place. Notre politique de télétravail étant aussi très souple, certaines personnes se croisent très peu au bureau », explique Jonathan Girard, responsable du pôle digital au sein des Éditions Tissot. Un constat confirmé par Philippe Bloquet, fondateur et CEO de PeopleSpheres : « Depuis la normalisation du télétravail, on ressent une certaine forme de distanciation des salariés vis-à-vis de l’entreprise ».
Quels outils mettre en place pour faciliter la vie des managers qui se heurtent aux effets de bord de la flexibilité tous azimuts ? Lumière sur 9 pratiques testées et approuvées.
1. Fixer un cadre clair de collaboration en équipe
Afin que tous les collaborateurs puissent travailler ensemble au même moment, certains managers d’I-TRACING, spécialiste français de la cybersécurité présent dans plusieurs pays (Hong-Kong, France et Montréal), fixent des plages horaires de connexion communes : « Comme nous avons des fuseaux horaires très amples, lors de nos points hebdomadaires, nous nous connectons ensemble : une semaine sur deux, la réunion a lieu le matin pour que les équipes de Hong-Kong puissent être là, ou l’après-midi pour assurer la présence des collaborateurs de Montréal », explique Justine Garcia, directrice des ressources humaines. PeopleSpheres a élaboré collectivement une charte de fonctionnement du télétravail : « Ce cadre a vocation à normaliser le fonctionnement de l’hybride au sein des équipes, à savoir, deux jours en télétravail avec des jours en présentiel fixés par le manager de l’équipe afin de restaurer la cohésion », souligne Philippe Bloquet.
2. Adapter son accompagnement managérial
Dans un contexte hybride, il est fondamental de mener un diagnostic d’équipe pour adapter le bon niveau d’accompagnement individuel, selon la coach professionnel Ann-Kristin Benthien : « À distance, il faut moduler son accompagnement managérial en prenant en compte trois dimensions : la personnalité du collaborateur, à savoir est-il plutôt introverti ou extraverti ? Son niveau d’autonomie, puis sa capacité à s’organiser. La modalité des échanges et leur fréquence s’adaptent en fonction de ces trois axes ». En ce sens, pour assurer une écoute managériale équitable, Justine Garcia prévoit des cafés virtuels individuels avec chaque collaborateur : « Ce sont les collaborateurs qui fixent les sujets à aborder, qu’ils soient professionnels ou personnels. L’objectif ? Remplacer les échanges informels de la machine à café pour ceux qui ne sont pas présents, provoquer des discussions et remonter des problématiques. »
3. Muscler la « compétence réunion » des managers
L’un des piliers du flex management est la gestion des réunions selon Lise-Marie Biez, DRH et consultante en accompagnement du changement auprès de UNLOCK et FLEXJOB : « Il s’agit de moments charnières où l’on peut échanger ensemble, collaborer. Or ce sont des compétences et des méthodes sur lesquelles les organisations investissent trop peu. En mode hybride, il faut impérativement revoir l’ingénierie des réunions et leur animation pour éviter les mauvaises expériences ». En effet, mal organisées ou mal équipées, elles peuvent rapidement devenir un catalyseur de désengagement. Ses recommandations ? « Bien définir les objectifs : est-ce une prise de décision ou un point informatif ? La préparation peut se faire de manière collaborative et en asynchrone pour plus d’efficacité (sur un document partagé par exemple). Ces moments collectifs doivent aussi être ritualisés avec des temps de socialisation. Quant à l’animation, répartir les rôles entre animateur, timekeeper, rôle méta (personne qui partage un feedback en fin de réunion, NDLR) et pousseur de décision, est un moyen d’augmenter le niveau d’implication. »
4. Imaginer des rituels fédérateurs
Pour maintenir la cohésion, les rituels s’avèrent capitaux : « Chaque équipe doit co-définir les types de rituels dont elle a besoin et préciser leurs objectifs. Il est intéressant de les varier : à la fois des temps programmés et des moments impromptus. L’idée est de provoquer des opportunités de rencontre pour favoriser la sérendipité. Par exemple, les “random cafés” réunissent trois personnes choisies au hasard, sur place ou en distanciel. Ou encore, le système de buddy peut s’appliquer en télétravail : deux personnes, sans lien hiérarchique, vont disposer de temps privilégiés pour échanger », souligne Lise-Marie Biez. À noter que les rituels ne sont pas figés dans le temps : « Questionnez-les collectivement et adaptez-les régulièrement ». D’autres typologies de rendez-vous ont été mises en place : au sein de l’équipe de Jonathan Girard, le « daily » est un point matinal quotidien de quinze minutes pour échanger en équipe : « C’est le seul moment de la journée où l’on se retrouve tous pour parler de ce que l’on fait. En tant que manager, je peux surtout ressentir l’humeur et l’énergie des personnes ». Philippe Bloquet, quant à lui, a instauré des rituels sur les deux sites de l’entreprise, à Paris et Montpellier : « Tous les trimestres, nous organisons un company meeting avec des ateliers ludo-professionnels et des moments conviviaux. J’ai aussi mis en place des cafés mensuels : un temps informel avec six personnes, à chaque fois différentes, pour échanger sur n’importe quel sujet ».
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5. S’appuyer sur des espaces de travail attractifs
eSNCF est passé en flex office depuis 4 ans, en gardant une logique de territoire d’équipe et en supprimant les bureaux individuels. L’entreprise a misé sur des espaces de créativité et de co-construction pour faciliter l’intelligence collective : « Les espaces ouverts aident les managers à se placer au centre de leurs équipes. Tout le monde est visible et accessible afin d’encourager l’interpersonnel. En complément, nous disposons de lieux pour se retrouver à trois ou quatre, et d’une grande cafétéria », explique Stéphane Feriaut, DRH chez eSNCF. « Nous avons aussi fait le choix de ne pas mettre trop de cadre pour faciliter l’informel et la créativité. » Ainsi, le bureau maintient son rôle « totem » pour le collectif de travail à condition que les équipes se retrouvent grâce à l’impulsion managériale selon Philippe Bloquet : « À Montpellier, notre bureau a été refait contrairement à celui de Paris. Il est beaucoup plus convivial, avec des espaces pour se retrouver, comme le billard ou la cuisine. Les managers peuvent moduler leurs points en utilisant cette diversité spatiale. Résultat : il existe une présence naturelle que l’on retrouve moins à Paris. »
6. Miser sur les canaux asynchrones
Une pratique courante aux États-Unis est utilisée au sein d’I-TRACING: « Nous disposons de canaux de communication sur Teams : des groupes en ligne pour échanger en continu sur des sujets techniques ou de l’expertise. Chacun peut les alimenter et les utiliser pour progresser ou se renseigner. En complément, sur notre groupe d’échange RH, j’ai mis en place une pratique appelée “What did you do today” : un exercice de quelques lignes où chacun résume sa journée et les sujets sur lesquels il travaille », raconte Justine Garcia. Cet espace de communication informelle permet de partager ses réussites comme ses difficultés et développe l’entraide au sein de l’équipe. La condition de réussite ? Le manager doit l’animer et jouer le jeu pour en faire un terrain d’échange et de proximité spontanée.
7. Revoir les processus de prise de décision et de communication
À distance, les collaborateurs peuvent avoir le sentiment de perdre en fluidité et en visibilité si l’information n’est pas facilement accessible. L’une des problématiques phares de l’asynchrone est aussi d’assurer une prise de décision juste : comment chacun peut-il disposer des bonnes informations au bon moment ? « Dans un environnement hybride, le management oral ne fonctionne plus. La formalisation écrite devient nécessaire car elle permet d’expliciter auprès de tous comment les décisions sont prises, comment l’information est mise à disposition et les moyens de la transmettre », insiste Lise-Marie Biez. Pour cela, il est utile de bien identifier les actions dites « téléfragiles » (résolution de conflit, idéation, adaptation…) et celles dites « télérobustes » (gestion de projet, avancement…).
8. Outiller les managers pour appréhender la complexité flexible
Le flex manager endosse un nouveau rôle selon Lise-Marie Biez : « C’est un chef d’orchestre qui met en relation les différentes ressources, fait passer les bonnes informations et détecte les signaux faibles. On s’éloigne des compétences académiques au profit de l’intelligence situationnelle ». En ce sens, eSNCF a investi dans les soft skills des managers en les formant aux compétences comportementales afin de faciliter l’échange ou la communication orale. Idem chez PeopleSpheres : « Depuis 18 mois, nous avons entrepris un cycle de formation pour les managers de proximité dans lequel l’organisation hybride est largement abordée : le rôle du manager sur site, l’animation des collaborateurs et la gestion du télétravail… L’objectif est de construire une culture managériale en phase avec les problématiques actuelles », souligne Philippe Bloquet.
9. Libérer (sans complexe) les agendas
Philippe Bloquet insiste aussi sur la posture managériale sur site : « Personnellement, j’organise ma journée pour laisser du temps libre, des demi-journées sans rendez-vous pour circuler dans les bureaux. C’est à nous, managers, de recréer du liant ». Stéphane Feriaut s’inscrit dans cette logique de calendrier libre : « Un manager ne se rend pas au bureau pour faire des réunions Teams. Son rôle est de provoquer les échanges. Quand je suis sur place, des plages horaires sont délibérément vides dans mon agenda : elles sont d’ailleurs interdites aux appels ou aux visios afin de laisser la place aux échanges physiques, à la rencontre fortuite et aux points individuels avec mes collaborateurs ». Pas si simple d’aller à l’encontre du réflexe de contrôle et de planification : « On doit pourtant accepter un changement de rythme et des créneaux vierges car c’est le vide qui génère l’interaction ».
Article édité par Ariane Picoche, photo : Thomas Decamps pour WTTJ
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