Jeunes diplômés : ils ont mis de côté leurs convictions pour trouver un travail
04. 8. 2023
5 min.
Rédactrice & Copywriter B2B
Adieu salaire à six chiffres : les nouvelles générations veulent avant tout un job qui ait du sens. Ils sont de plus en plus nombreux, chaque année, à se prononcer en faveur d’une carrière à impact social ou environnemental. 45% jugent prioritaire d’avoir un emploi utile à la société et 39% estiment qu’il doit également respecter l’environnement (Harris Interactive, 2022). Mais derrière les rêves, la réalité du marché du travail déçoit souvent. Dans les faits, les jeunes diplômés se tournent encore et toujours vers les mêmes jobs que leurs prédécesseurs, la finance ou le conseil notamment. Les nouvelles mentalités ont-elles encore du mal à s’incarner dans le monde du travail ? L’écart est-il encore trop grand entre les ambitions utopiques dans la génération Z et les politiques des entreprises ? Nos témoins du jour ont choisi, parfois à regret, un premier job bien loin de leurs convictions.
« Je me sens parfois coupable d’avoir abandonné mes convictions pour la sécurité d’un emploi bien rémunéré » Samia (1), 29 ans, avocate
Depuis le début de mes études de droit, j’ai toujours eu une ambition claire : défendre les droits de l’Homme et aider les personnes défavorisées. Mon rêve était de travailler au sein d’une ONG ou d’une association juridique à but social, où je pourrais véritablement faire une différence dans la vie des gens.
Après avoir obtenu mon diplôme, j’ai commencé à chercher des opportunités dans ces domaines. Malheureusement, je me suis vite rendu compte que les postes dans des ONG étaient rares et extrêmement compétitifs. J’ai envoyé de nombreuses candidatures, mais j’ai essuyé des refus les uns après les autres.
Mes recherches ont duré six mois. Ma faible épargne fondait comme neige au soleil et j’ai commencé à me décourager, à douter de mes ambitions initiales. J’ai fini par me demander si je devais élargir mes recherches d’emploi et considérer d’autres domaines du droit. J’ai commencé à postuler dans des cabinets d’avocat et j’ai finalement reçu une réponse positive d’un cabinet réputé spécialisé dans les litiges commerciaux.
J’ai eu du mal à accepter de me retrouver dans une entreprise où les priorités étaient principalement financières, sans considération pour les questions sociales qui me tenaient à cœur. Mais je dois avouer que ça m’apporte au quotidien une certaine stabilité, émotionnelle et financière. Malgré tout, je me sens parfois coupable d’avoir abandonné mes convictions pour la sécurité d’un emploi bien rémunéré.
C’est pourquoi j’ai récemment décidé de m’engager dans du pro bono en dehors de mon travail. Ainsi j’utilise également mes compétences juridiques pour défendre des causes qui me touchent profondément. C’est une grande source de satisfaction, même si ça n’a pas totalement apaisé mon sentiment de décalage au travail. Je me demande souvent si je pourrais un jour trouver un équilibre, un moyen de concilier mon métier d’avocate avec mon désir de contribuer positivement à la société.
« Je sais maintenant qu’il est tout aussi important de trouver un équilibre dans son travail et de se préserver » Julien (1), 25 ans, Coordinateur de projet
J’ai toujours eu envie de contribuer à une cause qui dépasse mes intérêts personnels. Il y a peu, je croyais encore fermement que travailler dans le milieu de l’Economie Sociale et Solidaire était la voie royale pour donner un sens plus profond à ma carrière. C’est pourquoi je me suis démené pour trouver un stage de fin d’études dans ce secteur. Malheureusement, je suis parti au bout de quelques mois, au bord du burn-out.
Au départ, j’étais à fond. La mission de l’organisation pour laquelle je travaillais m’inspirait tellement, j’avais l’impression de contribuer à faire changer les choses. Cependant, j’ai rapidement compris que la culture de cette entreprise était toxique. On me demandait de travailler énormément, souvent au-delà des heures légales de mon stage, au nom de « la cause ». Le sentiment d’urgence était constant, et l’équilibre entre ma vie professionnelle et ma vie personnelle devenait de plus en plus précaire. J’ai constaté que prendre du temps pour moi ou ma famille était souvent mal vu : nous étions censés donner tout ce que nous avions.
Cet environnement de travail a fini par affecter ma santé mentale et physique. Je me sentais épuisé et vidé. J’ai réalisé que je mettais mon bien-être de côté pour le celui du collectif. À tel point que j’ai commencé à questionner mes choix de carrière, et à me demander si c’était vraiment le chemin que je voulais emprunter.
Après de nombreuses discussions avec mes proches et mon école, j’ai finalement décidé d’interrompre mon stage. Ça n’a pas été facile, je me sentais coupable de quitter une organisation qui œuvrait pour une cause importante. Mais j’ai compris qu’il était essentiel de prendre soin de moi-même avant de pouvoir continuer à soutenir les autres. Pour mon premier job, j’ai décidé de rejoindre une entreprise sans but éthique, où l’accent était davantage mis sur le bien-être des employés et un équilibre sain entre vie professionnelle et vie personnelle.
Bien que je sois toujours passionné par les enjeux sociaux, je sais maintenant qu’il est tout aussi important de trouver un équilibre dans son travail et de se préserver. Ma courte expérience m’a appris que travailler pour une cause plus grande que soi ne doit pas signifier sacrifier sa propre santé et son bonheur.
Aujourd’hui, je suis en paix avec ma décision et j’ai trouvé un nouvel équilibre dans mon travail. J’ai toujours à cœur de contribuer à la société de manière positive, mais je sais que je peux faire une différence à ma manière, tout en prenant soin de moi et en m’accordant le temps nécessaire pour ma propre croissance.
« Je suis convaincue que chaque étape que je franchis dans mon entreprise actuelle me rapproche de mon objectif » Léa (1), 26 ans, Ingénieure en génie civil
Je suis passionnée par l’écologie depuis toujours, c’est un engagement très important pour moi, qui se répercute dans tout mon quotidien : je ne prends plus l’avion, je ne mange plus de viande, je n’achète plus de vêtements neufs… Logiquement, je souhaitais que cet engagement se concrétise aussi dans ma carrière. C’est pourquoi, une fois mon diplôme en poche, je me suis mise à rechercher des opportunités dans le secteur de l’ingénierie verte. Malheureusement, je me suis vite rendu compte que les offres d’emploi dans ce domaine étaient quasi inexistantes. Les entreprises qui se préoccupaient réellement de l’impact environnemental de leurs projets étaient peu nombreuses, surtout dans ma région.
Une fois confrontée à cette réalité, j’étais face à deux choix : continuer de chercher en vain, ou prendre un job dans une entreprise plus traditionnelle. J’ai finalement accepté un poste dans une entreprise de construction, qui, je dois l’avouer, ne se soucie pas trop de l’environnement. C’était un choix pragmatique pour lancer ma carrière et acquérir de l’expérience.
Je ne me suis pas résignée pour autant à abandonner mes idéaux. Depuis mon arrivée dans l’entreprise, j’ai commencé à suggérer des pratiques plus durables et respectueuses de l’environnement. J’ai par exemple proposé des alternatives écoresponsables dans la sélection des matériaux, dans les processus de construction et dans la gestion des déchets…
Bien sûr ce n’est pas toujours facile de faire entendre ma voix dans ce milieu où l’écologie est souvent reléguée au second plan. Mais je persévère, car je suis convaincue que chaque petite initiative peut faire une différence. Petit à petit, je sens que je réussis à sensibiliser certaines personnes dans l’entreprise et à mettre en place des pratiques plus durables sur certains projets.
Parallèlement, je continue de regarder régulièrement les offres d’emploi dans le secteur de l’ingénierie verte. Je participe à des événements de réseautage et je suis à l’affût des projets qui partagent mes valeurs. Je reste déterminée à ne pas renoncer à mes convictions. Je sais que mon parcours professionnel peut prendre du temps avant d’être parfaitement aligné avec mes aspirations, mais je suis convaincue que chaque étape que je franchis dans mon entreprise actuelle me rapproche de cet objectif.
Si d’autres personnes sont dans le même cas que moi, je veux qu’elles sachent que leur engagement peut inspirer d’autres personnes au sein de leur entreprise et contribuer à promouvoir des changements positifs, même dans des environnements professionnels moins sensibles aux enjeux environnementaux.
(1) Les prénoms ont été modifiés
Article édité par Gabrielle Predko, photo Thomas Decamps pour WTTJ
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