Managers : ces signes qu’un salarié est en difficulté (et nos conseils pour agir)

19. 12. 2024

10 min.

Managers : ces signes qu’un salarié est en difficulté (et nos conseils pour agir)
autor
Sarah Torné

Rédactrice & Copywriter B2B

přispěvatel

Changement d’attitude, baisse d’engagement , performances altérées… Certains signaux peuvent vous alerter sur le mal-être d’un membre de votre équipe. On vous dévoile comment apprendre à lire entre les lignes pour détecter, comprendre et agir face à ce passage à vide.

Piloter des projets, gérer les imprévus, fixer des objectifs… Le quotidien d’un manager ressemble souvent à une course contre la montre. Mais derrière la performance, une mission essentielle passe, parfois, au second plan : garantir des conditions de travail saines et équilibrées à son équipe. Aujourd’hui, selon un sondage OpinionWay de 2023, près d’un salarié sur deux se déclare en situation de détresse psychologique, et 70 % d’entre eux attribuent leur mal-être au moins partiellement au travail. Le problème ? Les signaux de mal-être sont rarement criants. Ils se glissent dans les silences, les retards, les changements d’habitude. Parfois subtils, ils sont souvent lourds de conséquences s’ils passent inaperçus. Alors, comment repérer ces indices avant qu’il ne soit trop tard ? Quels comportements doivent vraiment alerter ? Et surtout, comment intervenir avec tact, sans tomber dans l’intrusion ou le rôle du sauveur ?

Collaborateur en mauvaise passe : les signes qui ne trompent pas

Des habitudes de longue date qui déraillent

« Une personne qui s’isole de ses collègues ou change ses habitudes sociales, c’est un marqueur fort. Si on ne va pas au contact, on risque de passer à côté de son mal-être », alerte Jeanne Collin-Vacher, psychologue du travail et fondatrice d’Écosystème Qualité de Vie au Travail. L’être humain, en général, est étonnamment constant. Si un salarié arrive toujours à 9h03 avec son café serré, il aura tendance à rester fidèle à ce rituel. Alors quand un comportement familier s’étiole, mieux vaut rester attentif. D’autant que certains changements sont plus difficiles à cerner que d’autres, et davantage encore avec le travail hybride ou multi-sites. Pour Jeanne Collin-Vacher, tout repose sur une question de durée : « Une fin de semaine difficile, ça arrive à tout le monde. Mais dès que ce climat s’installe sur la durée, c’est un signe qu’une personne traverse une réelle difficulté. » Inutile, pour autant, de paniquer à chaque éclat de voix, l’idée étant simplement de rester à l’écoute. Si des variations de ce type perdurent au-delà de deux semaines, mieux vaut prendre le temps d’en discuter.

Une baisse de performance qui pointe

« Thomas était notre champion de la rigueur. C’était le premier à arriver aux réunions, toujours carré. Quand il avait une deadline, je savais qu’elle serait respectée, voire anticipée », se remémore Camille, manager de 34 ans, avant de constater un changement de comportement, presque imperceptible, chez son collaborateur. « Sur le moment, je me suis dit qu’il avait peut-être un coup de mou passager, comme ça arrive à tout le monde. Mais ça s’est répété. Il oubliait des étapes dans ses livrables, et j’ai commencé à recevoir des retours moins positifs de la part de ses collègues. » De quoi mettre la puce à l’oreille de cette responsable marketing qui opte pour la discussion, l’objectif n’étant pas de pointer du doigt, mais de comprendre : s’agit-il d’une surcharge, d’une perte de motivation ou d’un problème personnel qui grignote la concentration ? « Au début, il a minimisé. Puis, il a fini par m’expliquer qu’il avait pris du retard sur un gros projet, et que plus il essayait de rattraper, plus il accumulait de petites erreurs. Il se mettait une pression énorme pour tout gérer seul, sans oser demander de l’aide par peur de paraître incompétent », ajoute Camille. Une baisse de performance est rarement instantanée : elle s’installe progressivement, rendant parfois difficile de déterminer quand la sonnette d’alarme doit être tirée.

Des émotions qui s’expriment en pagaille

Certains collaborateurs n’exprimeront jamais explicitement leur détresse, mais leurs émotions, elles, finiront par parler pour eux. Un soupir ici ou un signe de fatigue là sont autant de marqueurs qui méritent d’être considérés. « Le signal le plus marqué selon moi, ce sont les écarts à la moyenne : quelqu’un qui devient discret alors qu’il a l’habitude d’être expansif, quelqu’un de très calme qui s’énerve tout à coup en réunion… Quelqu’un qui est hors personnage, ça doit alerter », prévient Alexis Eve, CEO de Yaniro. Si certains salariés se replient sur eux-mêmes, d’autres préfèrent laisser leurs émotions exploser. Ainsi, une remarque anodine en réunion peut déclencher une réaction disproportionnée, quand une petite frustration devient une colère visible. Quand ils se répètent, ces excès méritent une attention particulière, plutôt que d’être minimisés par peur de s’immiscer ou de dramatiser. Cela ne signifie pas néanmoins que de telles attitudes soient jugées ou réprimandées à chaud. « On ne doit pas punir le collaborateur d’être hors personnage. On ne va pas lui dire “C’était quoi cette sortie de route ?”. Il faut provoquer un 1-to-1 et poser les bonnes questions », conseille le coach de managers et dirigeants.

Des changements physiques qui s’imposent

Les signes d’un mal-être ne se limitent pas à l’émotionnel ou au comportement. Certains changements physiques (prise ou perte de poids, traits tirés…), bien qu’ils soient délicats à aborder dans un cadre professionnel, sont souvent des manifestations extérieures d’un stress prolongé ou d’un mal-être intérieur. « Toujours souriante et pleine d’énergie, Elise est le genre de collaboratrice sur qui on peut compter. Un matin, alors que je faisais le tour des équipes, j’ai remarqué qu’elle semblait plus cernée. Puis, au fil des semaines, je l’ai trouvée amaigrie », relate Sophie, directrice des opérations de 40 ans. Hésitante sur la bonne posture à adopter, cette dernière décide finalement de parler en douceur : « Je lui ai dit simplement : “Élise, tu as l’air fatiguée en ce moment. Si jamais tu veux en parler ou si je peux t’aider, fais-moi signe”. Au début, elle m’a assuré que tout allait bien, mais sa voix tremblait. Quelques jours plus tard, elle a fini par m’avouer qu’elle traversait une période compliquée : son père était gravement malade et elle jonglait entre le travail, l’hôpital et ses responsabilités familiales. »

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7 conseils pour accompagner un collaborateur qui va mal (sans le fliquer)

Conseil n°1 : instaurez un relationnel avec chaque collaborateur

« On est souvent trop en surface : on recrute, on intègre, mais on s’arrête là. On manque d’entretiens pour apprendre à se connaître, comprendre ce qui motive chacun et partager ses attentes en matière de fonctionnement », souligne Jeanne Collin-Vacher. Ces moments d’échange sont pourtant essentiels pour créer un climat de confiance où il est plus facile ensuite de détecter et d’aborder les problèmes. « Dire : “Ma porte est ouverte” peut sembler une bonne pratique, mais elle est insuffisante. Les collaborateurs ont souvent peur de déranger, ne se rendent pas toujours compte eux-mêmes qu’ils vont mal ou sont freinés par la relation d’autorité », remarque Alexis Eve. En bref, c’est au manager de prendre l’initiative de ces échanges et de créer des espaces d’écoute.

Pour cela, rien de tel que des 1-to-1 réguliers, même courts. Ces entretiens permettent de sortir des discussions purement centrées sur les projets et d’aller explorer des aspects plus humains. « Être au quotidien ensemble, ce n’est pas pareil que d’avoir des espaces dédiés pour échanger. Il faut ritualiser ces moments », insiste Jeanne Collin-Vacher. Et dans ce cadre, les questions peuvent être simples : « Comment te sens-tu ? », « Quelle est ta météo intérieure cette semaine ? », ou encore « Qu’est-ce qui te met en difficulté en ce moment ? » Même si, au départ, ces échanges peuvent sembler redondants, leur régularité finit par instaurer un cadre précieux pour tous, où le collaborateur se sent écouté. « C’est une action préventive », conclut la psychologue du travail.

Conseil n°2 : appuyez-vous sur de l’observable

« Ne dites pas “Tu t’isoles”, mais plutôt “J’ai vu que tu ne viens plus au café avec nous ces derniers temps”. Ce sont les faits et non une interprétation qui permettent d’ouvrir un dialogue sans heurt », conseille Jeanne Collin-Vacher. Pour aborder un collaborateur qui semble en difficulté, inutile donc de jouer les devins ou d’émettre des jugements de valeur, tels que « Tu sembles démotivé » ou « On dirait que tu ne prends plus ton travail à cœur ».

Bien que prononcées le plus souvent avec de bonnes intentions, ces phrases risquent de mettre la personne sur la défensive ou de créer un sentiment d’incompréhension. Il est davantage préférable de baser l’échange sur des faits observables. « J’ai remarqué que tu arrives en retard depuis deux semaines » ou encore « Tu n’as pas pris la parole lors des trois dernières réunions » sont des observations concrètes qui permettent de poser un cadre neutre où le salarié ne se sent pas jugé, mais simplement invité à s’exprimer.

Conseil n°3 : insistez un peu, mais tout en douceur

Quand un collaborateur semble en difficulté mais nie tout problème, il peut être tentant de prendre ses paroles pour argent comptant et de ne pas insister. « Il faut s’attendre à ce que la personne n’exprime pas tout de suite sa problématique. Elle ne va pas forcément tout dire, surtout au premier abord. Mais si les signes sont là, il est important de ne pas lâcher », insiste cependant Jeanne Collin-Vacher. L’idée n’est pas de forcer la discussion, mais de reformuler avec douceur, en s’appuyant sur les faits : « Tu me dis que tout va bien, mais ce que j’observe, c’est que tu as envoyé plusieurs emails tard le soir cette semaine et que tu sembles plus fatigué que d’habitude. Ça m’inquiète et c’est mon rôle de m’assurer que tu es dans de bonnes conditions pour travailler ».

S’il peut être judicieux de laisser un temps de réflexion au collaborateur pour se sentir prêt, il reste important de lui montrer combien cette situation vous préoccupe sincèrement. « Si la personne continue de nier, proposez d’y revenir plus tard. On peut dire : “Je te propose qu’on en reparle la semaine prochaine. Je veux juste m’assurer que tout va bien pour toi.” Parfois, le temps de réflexion permet au collaborateur de mieux formuler ce qu’il ressent ou d’accepter de partager. Dormir dessus, ce n’est pas qu’une expression. Laissez du temps, mais ne laissez pas la situation se refermer sans suivi », constate Jeanne Collin-Vacher.

Conseil n°4 : écoutez avant de chercher une solution

Dans une situation où un collaborateur partage ses difficultés, la tentation peut être grande de vouloir immédiatement trouver une solution. Pourtant, se précipiter dans l’action peut faire plus de mal que de bien. « Il faut d’abord laisser la personne exprimer sa problématique. Si on part directement sur une solution, on risque de louper la véritable analyse du problème », pose encore la psychologue du travail. Dit autrement, l’objectif est d’écouter activement et de favoriser l’expression, sans interruption ni conclusion hâtive. Ce qui semble être une charge de travail trop lourde peut, en réalité, cacher des difficultés plus spécifiques, comme un dossier complexe, un manque d’information sur un outil ou une communication floue au sein de l’équipe.

« Si on ne prend pas le temps d’explorer, on passe à côté de l’essentiel. Posez des questions ouvertes : “Qu’est-ce qui te met en difficulté en ce moment ?”, “Y a-t-il un élément précis qui te bloque ?”. Cela aide à aller au cœur du problème », conseille également Alexis Eve. Une fois que la problématique est clairement identifiée, il est possible d’avancer sur des bases concrètes. Cela signifie co-construire une réponse adaptée avec le collaborateur, plutôt que de proposer une solution toute faite. Cette démarche renforce la confiance et donne à la personne le sentiment d’être pleinement écoutée et soutenue.

Conseil n°5 : identifiez si votre salarié est en zone de danger

Pour accompagner efficacement vos collaborateurs, il est essentiel de savoir évaluer leur état mental et émotionnel. Alexis Eve propose une méthode simple et visuelle  avec une signalétique en trois couleurs , où chaque collaborateur peut être positionné en fonction de son niveau de bien-être :

  • Vert : tout va bien, le collaborateur est engagé et en pleine possession de ses moyens
  • Orange : le collaborateur montre des signes de difficulté. Ce n’est pas encore critique, mais il est temps d’intervenir pour éviter une dégradation
  • Rouge : la situation est critique. Le collaborateur est en souffrance, épuisé ou en danger d’épuisement

« Lorsque quelqu’un est dans le rouge, chaque jour sans action augmente le risque d’épuisement ou de burn-out », prévient Alexis Eve. Une zone critique qu’il compare à la situation d’un athlète qui continuerait à s’entraîner malgré une blessure, chaque effort supplémentaire augmentant, de fait, le risque de rupture. La zone orange, quant à elle, doit être perçue comme une opportunité : c’est un espace tampon pour agir avant que le collaborateur ne bascule. Le rôle du manager est d’être attentif aux signaux et de passer rapidement à l’action dès que cette zone est atteinte. Cela peut signifier alléger la charge de travail, ajuster les priorités ou proposer un soutien (RH, médecine du travail…).

Conseil n°6 : jouez sur les leviers « moyens » et « exigences »

Pour aider un collaborateur en difficulté, il faut évaluer l’équilibre entre les moyens mis à sa disposition et les exigences qui lui sont imposées pour atteindre ses objectifs. Lorsque les moyens sont suffisants pour répondre aux exigences, l’équilibre est stable. Mais si les attentes deviennent trop élevées par rapport aux ressources disponibles, le collaborateur court droit vers l’épuisement.

Deux leviers permettent alors de rétablir cet équilibre :

  • Réduire les exigences : cela peut signifier revoir les objectifs à la baisse, en réduisant la qualité d’un livrable ou en ajustant les délais.
  • Augmenter les moyens : cela passe par fournir plus de ressources, déléguer une partie des tâches ou offrir un soutien technique ou humain supplémentaire.

Le manager doit également aider le collaborateur à éviter les exigences auto-imposées. « Les gens se mettent souvent des objectifs irréalistes sur les épaules, même quand ce n’est pas demandé. En tant que manager, il faut leur rappeler que tout n’a pas besoin d’être parfait », plaide Alexis Eve. Une analyse qui mérite d’être collaborative pour travailler aux côtés du collaborateur à trouver les bonnes solutions. « Faites une liste des options possibles, puis prenez la responsabilité de choisir et de prioriser. Cela décharge la personne d’un poids décisionnel supplémentaire », ajoute le coach de managers.

Conseil n°7 : sachez passer le relais

Limiter son implication personnelle est parfois plus difficile qu’il n’y paraît. Lorsque vous appréciez votre équipe, il peut être tentant de vouloir tout régler par vous-même. « Souvent, le manager veut aider, surtout quand la situation le touche personnellement. Mais ce n’est pas son rôle, et surtout il n’est pas compétent. Sa responsabilité va plutôt être de proposer des aménagements de travail pour aider la personne à dépasser sa situation, et non de suivre ou résoudre cette dernière », prévient Jeanne Collin-Vacher. Plutôt que d’activer le « syndrome du sauveur », mieux vaut donc savoir reconnaître ses limites et offrir au collaborateur l’accès à des ressources adaptées. Parce qu’elles dépassent vos compétences ou votre rôle, certaines situations nécessitent de savoir passer la main.

Pour les problématiques liées au travail – comme une charge excessive, un conflit d’équipe ou un besoin de formation –, les ressources humaines sont vos alliés privilégiés pour dénouer les tensions, tout en restant dans votre champ d’action. En revanche, en cas de difficultés personnelles comme un divorce, une situation d’endettement, une maladie ou encore un deuil, il est essentiel d’orienter le collaborateur vers des professionnels compétents, comme la médecine du travail ou un psychologue. Ces experts disposent des outils et des connaissances nécessaires pour offrir un accompagnement adapté à chaque situation. « C’est le rôle du manager d’informer des aides possibles qui existent dans l’organisation et éventuellement en dehors. Vous pouvez, par exemple, dresser et partager la liste des interlocuteurs avec des coordonnées », propose la psychologue du travail.

Chaque signal capté et chaque action entreprise est une opportunité d’aider un collaborateur à retrouver son équilibre, de renforcer la dynamique de votre équipe et in fine de créer un environnement de travail plus sain.

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Article rédigé par Sarah Torné et édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps