Look des managers : l'habit fait-il le boss ?
13. 3. 2024
4 min.
De la décontraction des boss de la tech à l’élégance de ceux de la finance, le look des managers est un outil de communication. Mais attention, si esthétique rime avec éthique, soigner son apparence ne garantit pas un style de management exemplaire.
Depuis les années 2000, beaucoup de dirigeants ont fait tomber la chemise. Plus besoin d’être engoncé dans un costume-cravate pour renvoyer une image d’autorité. Si le déclin du costume est sans précédent (les ventes ont chuté de 58 % entre 2011 et 2019), le choix du look reste toujours aussi important. Baskets blanches ou chaussures en cuir cirées ? Tenue décontractée ou stricte ? La coupe de votre pantalon ou les motifs sur votre cravate renvoient un message à vos collaborateurs. Décryptage avec Florence Abitbol et Aloïs Guinut.
Être ou paraître ?
Le look peut jouer un rôle important dans la façon dont un ou une boss est perçu. Des vêtements bien ajustés et des couleurs harmonieuses véhiculent a priori une image de confiance, de compétence et de sérieux. Et ça marche dans l’autre sens ! Un « fashion faux pas » peut ternir votre image professionnelle et nuire à votre crédibilité. « Quand quelqu’un gère 500 personnes, et qu’il coordonne mal son pantalon avec sa chemise, les gens peuvent se permettre de se moquer et, in fine, de sous-estimer ses compétences », affirme la conseillère en image Aloïs Guinut.
Toutefois, il faut rester prudent. Tout miser sur le style ne suffit pas à incarner les valeurs que l’on défend. Florence Abitbol, doctorante en esthétique et sciences de l’art, souligne que « derrière un look très cool peut se cacher une autre réalité ». Sophia Amoruso, fondatrice de Nasty Gal et autrice de Girlboss, illustre ce décalage. Elle portait des pièces vintage tout droit venues des seventies avec des couleurs chaudes, vibrantes et chaleureuses… ce qui ne l’empêchait pas d’exercer un management bien toxique. « Il ne faut pas confondre éthique et esthétique », souligne la doctorante. S’habiller reste un jeu qui permet de choisir soi-même les cordes sensibles que l’on veut faire vibrer chez l’autre.
Même s’il n’y a pas de lien avéré entre style vestimentaire et style managérial, le vêtement reste un outil de communication… Que ce soit pour se conformer ou se distinguer, préférer un vêtement à un autre n’est pas un choix sans conséquences. « Pour les hommes qui ont des boîtes de software, il est important qu’ils ne ressemblent pas au nerd qui sort de sa grotte. En général, ceux qui viennent me voir sont des CEO qui ont l’impression qu’ils ne représentent pas assez bien leurs entreprises », relève Aloïs. Souvent à leur dépens, les leaders comprennent que le look est avant tout un symbole. Alors, dans ce langage de l’apparence, quelles pièces font leur effet ?
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Le dressing des leaders scruté à la loupe
La doudoune (sans manches)
Qui ne se souvient pas de l’appel d’Élisabeth Borne à la sobriété énergétique… en doudoune. Dans sa veste matelassée bleue, l’ex Première ministre s’était montrée exemplaire pour convaincre les Français de baisser leur chauffage. En doudoune, le ou la leader devient « accessible ». Un humain comme les autres qui applique les règles qu’il impose aux autres. Ce vêtement fut d’abord porté par ceux qui travaillent en plein air (fleuriste, maraîcher, chef de chantier…), mais depuis quelques années, c’est dans les bureaux qu’il fait des ravages. Adoptée par Jeff Bezos, la doudoune (sans manches) est devenue un indispensable. Aloïs Guinut explique : « Les hommes à doudoune sans manches renvoient une vibe qui veut dire “je ne m’embarrasse pas de considérations superficielles, je suis dans l’efficacité” ». Plus besoin de perdre du temps à enlever et remettre des couches, la doudoune sans manches maintient au chaud sans étouffer. Aujourd’hui, elle incarne aussi une culture d’entreprise. Elle est devenue l’uniforme de la Start-up Nation. Elle est associée à un style managérial axé sur la créativité et l’innovation. Débarrassé de toute contrainte de mouvement, le leader à doudoune ne marque plus de différences hiérarchiques, mais cherche plutôt à les abolir. Loin d’être logé dans sa tour d’argent, la doudoune lui accorde une posture plus transversale au sein de l’entreprise.
Le costard-cravate ou le tailleur
On pense ici à l’exigence de Miranda Priestly dans Le diable s’habille en Prada (2006). Tirée à quatre épingles tous les matins, aucun cheveu ne dépasse. Tout est parfaitement millimétré. Sans grande surprise, son style de management correspond assez bien à ses tenues : strict et tyrannique. La styliste Aloïs est catégorique : « L’art du costume, c’est d’asseoir son autorité ». Aussi formel soit-il, le costard-cravate (ou le tailleur) fut pendant longtemps le choix numéro 1 pour aller travailler. Désormais laissé de côté pour le style business casual, il est jugé ringard et peu confort par les millenials et la gen Z. Mais alors qui sont ces boss qui persistent et pourquoi ? Eh bien, pour gagner la crédibilité nécessaire auprès de leurs clients, certaines professions ne peuvent pas se passer du costume-cravate. Banque, assurance, finance… « Ceux qui résistent travaillent dans des milieux très conservateurs. On va rarement voir quelqu’un dans une agence de pub avoir l’excentricité de porter un costume ou un tailleur. Cela se raréfie énormément et devient plutôt anachronique. Alors qu’avant c’était un choix par défaut, aujourd’hui c’est un choix délibéré pour se donner une assise », ajoute Aloïs Guinut.
Les outsiders…
Il y aura toujours des boss pour briser les codes. Dans la série The Office, Dwight porte jusqu’à la fin sa traditionnelle chemise à manches courtes jaunâtre et son costume en tweed. À rebours de la mode, c’est un personnage de manager qui s’écarte des normes établies tant dans son style vestimentaire que dans sa façon de gérer son équipe. Excentriques et alternatifs, les « outsiders » n’ont pas peur d’exprimer leur créativité et leur individualité. Aloïs Guinut prend aussi l’exemple de Jean-Pierre Dupire, l’ancien PDG d’Invicta. Avec ses incontournables lunettes noires et sa barbe drue, son look atypique oscille entre biker, rocker et trader. La conseillère en image analyse : « Sur les photos dédiées à la communication, il avait quand même un costume, mais il y avait toujours un détail qui sortait du cadre. Cela voulait dire : “je connais les codes, mais je suis assez doué et sûr de moi pour ne pas m’y conformer” ».
D’une manière générale, pour Florence Abitbol, le travail n’est pas « le lieu où l’on va pouvoir s’exprimer, être soi et unique ». Forcés de se conformer pour gravir les échelons, peu de leaders sortent réellement du lot. Cependant, il y en a : « Si l’on est suffisamment à l’aise dans son entreprise et que l’on cherche à être dans une forme de communication de soi, s’habiller de façon décalée peut être un moyen de s’exprimer et de générer des conversations autres ». En bref, les outsiders n’ont pas une vision du travail exclusivement basée sur la productivité et le professionnalisme. Ce sont des boss qui prennent des risques et qui tentent de trancher avec le poids des traditions… managériales et vestimentaires.
Article écrit par Gabrielle Meulle, édité par Ariane Picoche, photo : Thomas Decamps pour WTTJ
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