Managers : comment accompagner un collaborateur que vous n'appréciez pas ?
13. 11. 2024
6 min.
SOS MANAGERS EN DÉTRESSE - Quand vous avez été promu·e manager, vous étiez (avouez-le) loin d’imaginer ce que diriger une équipe impliquait vraiment. Car trouver le juste équilibre entre leadership, bienveillance et équité, en autres choses, relève dans certaines situations du parcours du combattant. Dans cette série, notre expert du Lab Ludovic Girodon vous offre enfin les clés pour sortir la tête de l’eau face à vos problématiques du quotidien. Managers, suivez le guide !
Manager une équipe, c’est gérer des personnalités variées. Et parfois, il faut bien le dire, on ne « matche » tout simplement pas avec certaines. Quelles qu’en soient les raisons – divergences de valeurs, styles de travail incompatibles ou simples différences de caractère – la difficulté à collaborer peut rapidement devenir un obstacle pour le manager et l’équipe. Alors, comment s’assurer que cette absence d’affinité ne nuise ni à l’équité des décisions, ni à la cohésion ? Suzanne (1), Nathalie (1) et Thomas (1) ont, chacun à leur façon, vécu cette épreuve, et reviennent sur les défis rencontrés et les leçons qu’ils en ont tiré sous l’œil expert de Ludovic Girodon, coach de dirigeants et auteur du livre Dream Team (Marabout, 2024).
« J’ai fini par lui confier de moins en moins de projets »
Nathalie, ex-responsable éditoriale, n’oublie pas l’erreur de management qui a marqué le début de sa carrière : recruter une amie. « On s’entend bien en dehors du travail, alors quand l’opportunité se présente, je n’hésite pas. Mais très vite, je comprends que nous ne sommes pas faites pour travailler ensemble », confie-t-elle. Sa nouvelle collaboratrice adopte rapidement des comportements qui irritent toute l’équipe. « Elle parle fort et sans arrêt dans l’open space, n’a aucune conscience des limites professionnelles… Et surtout, elle fait du mauvais travail, toute l’équipe est constamment obligée de repasser derrière elle », se remémore-t-elle. Rapidement, Nathalie se retrouve face à un dilemme : « J’essaie de la soutenir, de l’intégrer. Mais au fil du temps, je finis par lui confier de moins en moins de projets. Je n’ai plus confiance en elle. ». Les échanges se limitent alors au strict minimum et les remarques deviennent plus tranchantes, presque automatiques. Une atmosphère glaciale s’installe entre elles. La collaboratrice et amie sent le vent tourner, se retrouvant même isolée, ce qui exacerbe encore davantage les tensions. Quelques semaines plus tard, elle claque la porte, sans préavis. « C’est un coup dur. Surtout que l’équipe, déjà agacée par la situation, se retrouve à devoir absorber la charge de travail laissée par son départ », raconte Nathalie.
L’œil de l’expert : «Prenez le temps de co-construire un document de référence avec l’équipe, un mode d’emploi collectif qui précise les règles du jeu et les attentes », conseille Ludovic Girodon. L’objectif ? Établir un cadre commun qui guide les comportements et décisions, évitant ainsi les malentendus et les interprétations hasardeuses. Un processus qui aide à la fois à ce que chacun se sente responsabilisé et investi dans le respect de ces règles, mais qui aide aussi à désamorcer les biais inconscients. Par exemple, si des critères sont établis ensemble pour le partage des projets ou la gestion du télétravail, il est plus difficile de les contourner en fonction des affinités personnelles. Co-construire ce document peut aussi être l’occasion de clarifier des aspects souvent négligés : la gestion des imprévus, la manière de communiquer les feedbacks ou encore les comportements attendus dans l’équipe.
Si le problème provient, en revanche, de comportements ou valeurs incompatibles au sein de l’équipe, la séparation peut être une solution. « Un manager doit rester professionnel, mais si l’antipathie impacte le fonctionnement de l’équipe et crée du ressentiment, il faut agir. » Pour lui, notre expert est impératif de ne pas laisser la situation se dégrader au point de miner la cohésion et la performance collective.
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« On a fini par se confronter en pleine réunion »
Thomas, chef de projet dans une agence de communication, se souvient parfaitement du jour où ses tensions avec un collaborateur ont éclaté au grand jour. « Lui et moi, on n’a jamais vraiment trouvé un terrain d’entente. Il voulait imposer sa façon de faire, et moi, j’étais habitué à un style de management plus… collaboratif. » Les premières frictions se manifestent lors des réunions d’équipe : « Il m’interrompt constamment, s’approprie des projets qui ne sont pas les siens. Ça m’agace profondément et, à force, je commence à le contrer ouvertement. » La situation atteint son paroxysme lors d’une réunion avec un gros client. « Je suis en train de pitcher, et là, il me coupe la parole pour me contredire publiquement. J’étais à bout de nerf. On finit par se disputer devant tout le monde, et la réunion se termine en désastre, avoue Thomas, avant de poursuivre. Le client était mécontent, et l’image de l’équipe en a pris un coup. ». Cette confrontation publique ne passe pas inaperçue. Le directeur de l’agence convoque les deux rivaux, furieux de la scène qui s’est déroulée sous les yeux du client. « Il nous a dit qu’il ne tolérerait plus ce genre de comportement et qu’on devait régler nos différends ou envisager de quitter l’équipe. Ça a été un électrochoc pour nous deux », raconte Thomas.
L’œil de l’expert : Ludovic Girodon souligne l’importance de comprendre l’origine des tensions pour éviter que des désaccords dégénèrent en confrontations publiques. « Il s’agit de se poser la question : pourquoi je n’apprécie pas cette personne ? Cela peut être lié à des modes de fonctionnement différents. Par exemple, quelqu’un qui travaille à la dernière minute alors que j’aime anticiper. » Analyser ces divergences permet de mieux saisir ce qui crée le malaise. Ensuite, l’expert conseille de mettre en place une communication ouverte avec le collaborateur concerné : « Il faut discuter de ce que chacun attend de l’autre. Qu’est-ce que j’attends de toi en tant que collaborateur, et qu’attends-tu de moi en tant que manager ? » Ces échanges aident à établir un cadre clair et à reconnaître que les différences ne sont pas nécessairement mauvaises, mais peuvent créer de l’inconfort. « L’objectif est de mettre tout cela sur la table. Rien que le fait d’en parler peut dégonfler la situation et permettre d’établir un mode de fonctionnement qui réponde aux besoins des deux parties, sans trop contraindre l’un ou l’autre. »
Aussi, la clé d’une gestion équitable commence par des réunions individuelles bien orchestrées. « Planifiez des 1-to-1 avec la même fréquence et durée pour chaque collaborateur, que vous soyez sur la même longueur d’onde ou non », souligne-t-il. Rien de tel pour rappeler à chacun sa valeur dans l’équipe et instaurer un climat de respect. « Il faut ne pas céder à la tentation d’éviter ou de raccourcir ces moments. Il faut même être plus rigoureux dans la préparation comme dans la tenue qu’avec les collaborateurs qu’on apprécie », insiste encore Ludovic Girodon.
« Je devais lutter tous les jours contre moi-même »
Responsable communication dans une start-up en pleine croissance, Suzanne se retrouve à manager une toute nouvelle équipe après le départ des premiers employés avec qui elle partageait des années de camaraderie. « Je me retrouve seule avec des collègues plus jeunes, plus “frais”, qui n’ont pas vécu les bouleversements passés de la boîte », raconte-t-elle. La transition est brutale et l’absence de connexion avec sa nouvelle équipe n’arrange rien. « Peut-être que c’est lié à ma rancœur d’avoir perdu mes anciens collègues, ou simplement un manque de “fit”, mais le feeling n’est pas là », confie-t-elle. Si entre eux la cohésion est naturelle -ils rient ensemble et se voient en dehors du travail- Suzanne, elle, peine à s’intégrer. « Les afterworks sont un enfer, je n’aime pas les sujets de discussion, je me sens complètement en décalage. »
Une dissonance qui se reflète aussi dans leur façon de travailler : « Mes nouveaux collègues râlent sans cesse, rechignent à prendre des responsabilités et sont très territoriaux. Ils sont sur la défensive dès que je suggère quelque chose. Chacun semble obsédé par sa réussite personnelle plutôt que par le succès collectif. » Une attitude qu’elle perçoit comme un manque de solidarité, à l’opposé de l’entraide qu’elle connaissait auparavant. Autant de divergences qui rendent son rôle de manager éprouvant. « C’est l’horreur de devoir enchaîner les 1-to-1 avec eux pendant des après-midis entiers. Chaque réunion est un combat intérieur pour rester empathique et neutre », avoue-t-elle. Une situation qui finit par peser lourd, trop lourd. « Petit à petit, je commence à ressentir des maux physiques, des insomnies et un épuisement généralisé. Chaque interaction devient une source de stress, et j’en viens à demander le télétravail à 100 % juste pour éviter ces échanges éprouvants », raconte-t-elle.
L’œil de l’expert : pour Ludovic Girodon, ce type de situation est plus fréquent qu’on ne le pense : « Les relations humaines en management reflètent ce qui se passe dans la vie personnelle : il y a des gens avec qui le courant passe naturellement et d’autres avec qui c’est plus laborieux. » Quand la communication est en berne, poser les bonnes questions devient une stratégie de survie. « Les personnes avec lesquelles nous nous entendons le moins bien sont souvent celles que nous comprenons le moins. Il faut donc creuser davantage pour saisir ce qu’elles pensent », souligne notre expert. Exit les questions fermées qui coupent court à la conversation ou les simples formalités qui survolent le problème sans le toucher. Mieux vaut privilégier les questions ouvertes et réfléchies, comme « Est-ce que tout est clair pour toi ? » ou « As-tu tout ce dont tu as besoin pour avancer ? », ouvrent la voie à une meilleure compréhension des blocages et des attentes.
Sans compter qu’il est donc normal pour un manager de ressentir des affinités ou des antipathies envers certains membres de son équipe. Cependant, ignorer ces ressentis ou rester dans l’expectative peut être risqué. « Le vrai danger, c’est de nourrir son désamour, de finir par consacrer moins de temps à la personne en question et de laisser s’installer une distance », avertit Ludovic Girodon. Cela peut créer un cercle vicieux où le manager se montre plus dur et moins compréhensif envers le collaborateur concerné, ce qui risque de déséquilibrer la relation et d’affecter l’équité au sein de l’équipe. Si le dialogue et les tentatives d’ajustement n’apportent pas de résultats et que la santé mentale du manager en souffre, il peut être nécessaire de faire un choix difficile : quitter l’équipe ou la structure. « Parfois, savoir partir est le meilleur moyen de préserver son bien-être et de permettre à l’équipe de retrouver un équilibre », conclut l’expert.
Le management est un défi constant qui requiert empathie, professionnalisme et capacité à prendre du recul. Pour parvenir à naviguer parmi les relations complexes, tout en préservant l’équité et la performance de son équipe, il est important de créer et protéger un cadre sain et clair. C’est l’assurance de sortir des situations tendues avec professionnalisme et, qui sait, un peu plus de sérénité.
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(1) Les prénoms ont été modifiés
Article rédigé par Sarah Torné et édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps.
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