« Pour recruter efficacement, il faut traiter les candidats comme des clients »
06. 11. 2024
5 min.
Journaliste, éditrice et auteure de documentaires pour la jeunesse
Destinés autant aux recruteurs internes et externes qu’aux dirigeants et aux managers, « Permis de recruter » vient de paraître aux éditions Eyrolles. Du sourcing à la marque employeur en passant par l’expérience candidat et l’évaluation, les auteurs, Elise Moron et Léo Bernard, abordent tous les aspects du recrutement : une fonction hautement stratégique, qui reste encore le parent pauvre des RH.
Permis de recruter, l’ouvrage que vous avez coécrit est une sorte de « livre dont tu es le héros » (livre immersif à choix multiple, ndlr) qui invite les recruteurs à se challenger. Le choix de cette forme ludique et participative est-elle aussi une tentative de renverser la vision des managers et des dirigeants sur le recrutement ?
Elise Moron : Oui exactement. Avec ce livre, l’une de nos intentions est de responsabiliser les dirigeants et les managers aux enjeux du recrutement. Le recruteur ne recrute pas, mais il épaule le manager ou le dirigeant qui, lui, prend la décision finale. Or, si ces derniers ne sont pas évangélisés aux bonnes pratiques, ils prennent le risque de se tromper.
Léo Bernard : En France, il n’existe pas assez de livres sur le recrutement. On en retrouve une poignée écrits par des professeurs et une plus petite encore destinée soit aux dirigeants, soit aux professionnels du recrutement. Permis de recruter se veut la synthèse de ces approches, avec l’ajout d’une dimension ultra pratico-pratique. Aujourd’hui, le recrutement n’est toujours pas un pilier fondamental des écoles de commerce et n’est pas suffisamment enseigné en master RH, et nous souhaitons remédier à cette situation. C’est aussi la raison pour laquelle, avec Elise, nous avons créé Blendy, une formation au recrutement qui se destine aux recruteurs comme aux managers.
Quels sont les grands défis actuels du recrutement ?
Elise Moron : Pendant longtemps, le défi principal était de chercher et trouver les candidats. Les recruteurs visaient le mouton à 5 pattes, c’est-à-dire le candidat parfait, celui qui a 5 ans d’expérience, a fait HEC ou l’ESSEC, tout en étant junior et payé à 25k. Aujourd’hui, l’enjeu consiste à séduire le candidat, l’embarquer, le convaincre et in fine, le recruter. Pour y parvenir, il convient de soigner son approche, mais aussi de mettre en place une stratégie de nurturing, qui permette de garder le lien avec le candidat tout au long du process pour le convertir à chaque étape et faire en sorte qu’il n’en sorte pas. Le recrutement reste complexe et exige davantage de compétences que par le passé. Il faut maîtriser des techniques empruntées à différents métiers, celles qui sont utilisées pour séduire, embarquer, convaincre et « closer » les clients. Car oui, si on veut recruter efficacement, il faut traiter les candidats comme des clients.
Léo Bernard : Trouver des candidats, rédiger des annonces attractives, valoriser la marque employeur, savoir évaluer les candidats et mesurer leur expérience représentent les défis historiques du recrutement. À ces problématiques, s’ajoutent aujourd’hui les outils numériques – LinkedIn qui n’existait pas il y a 10 ans est devenu l’automatisme n°1 du recrutement et de la marque employeur –, mais aussi l’IA générative qui permet d’automatiser des tâches à faible valeur ajoutée. Le recruteur doit donc être un « T-Shaped recruiter » : un expert qui maîtrise d’autres disciplines, comme la psychologie pour comprendre et déjouer les biais cognitifs, le marketing et le growth marketing pour recruter de manière plus stratégique en appliquant les méthodes de parcours client, le commercial pour le pitch de qualité ou pour négocier en fin de process), la data…
Loin d’une fonction support, vous défendez l’idée que le recrutement est un axe stratégique.
Elise Moron : Oui totalement. Le recruteur n’a rien d’un exécutant. Pour qu’une entreprise puisse innover et être compétitive sur son marché, elle a besoin des bons profils aux bons endroits capables de créer, marketer et vendre ses services et/ou produits. Le recrutement est donc éminemment business et la plupart des dirigeants à succès dédient plus de la moitié de leur temps à trouver ces bonnes personnes. Google a ainsi 8 fois plus de recruteurs par employé que le reste des sociétés du Fortune 500. Ils ont saisi l’importance d’avoir les meilleurs dans leurs équipes pour innover en continu.
Léo Bernard : Nous militons d’ailleurs pour que les recruteurs soient représentés au plus haut niveau des entreprises, et aient leur place dans les CODIR ou COMEX. Ils doivent être formés, outillés et respectés. C’est le triptyque essentiel. Les personnes qui s’occupent de recruter doivent avoir les moyens de leurs ambitions.
Permis de recruter est un ouvrage pratique issu de vos expériences respectives : Elise, comme chasseuse de tête et Léo, en tant que recruteur et manager recrutement en interne. Vous y abordez notamment l’importance du kick-off meeting en lieu et place du simple brief. Pourquoi cet échange est-il si important ?
Elise Moron : Préparer la chasse de façon précise et rigoureuse est une nécessité pour s’assurer de son succès. La plupart des erreurs de recrutement viennent d’un mauvais brief. C’est pourquoi le kick-off meeting est un investissement « temps » nécessaire pour s’assurer qu’on va dans la bonne direction et qu’on parle la même langue. Si un recruteur travaille pendant des semaines pour inviter des candidats en entretien qui se font finalement recaler par les managers, c’est une perte de temps et d’argent pour tout le monde. Sans oublier que cette mauvaise expérience candidat représente un risque accru pour la marque employeur. Le kick-off que nous partageons contient plus de 46 questions pour cerner avec précision ce besoin.
Léo Bernard : 46 questions, cela peut paraître beaucoup, mais il s’agit surtout de faire de son mieux en tendant vers un idéal. Bien évidemment, tout dépend du contexte dans lequel le recrutement a lieu. Le kick-off reste un outil qui peut s’adapter aux différentes circonstances. Il permet aussi de répartir les tâches entre le recruteur, le manager et le responsable RH, afin de bien définir les rôles de chacun, car le recrutement est un sport d’équipe.
Autre piste intéressante, vous militez pour que les « hiring managers » soient notés par les recruteurs et inversement. Pour quelles raisons ?
Elise Moron : Un bon manager devrait passer 50 % de temps à recruter son équipe et 50 % à la faire performer. Or, dans la réalité, nombre d’entre eux délèguent la totalité du recrutement aux recruteurs avec un brief lapidaire et le considèrent comme un exécutant, alors qu’il est un expert. Ce système de notation réciproque -qui pourrait être indexé sur l’obtention d’un variable- permettrait de rendre stratégique, aux yeux des managers, l’activité même de recrutement, et de mettre au même niveau le recruteur et le manager.
Léo Bernard : Et puis, il est impossible de perfectionner ce qu’on ne mesure pas. Cette évaluation au service de l’efficacité favoriserait la montée en compétences du manager sur le recrutement, et d’améliorer la collaboration entre les managers et les recruteurs.
En épilogue, vous abordez l’enjeu le plus crucial selon vous : la conduite du changement. Comment doit-elle se mener ?
Elise Moron : « Les recruteurs sont les individus les plus importants dans chaque entreprise, mais seulement s’ils trouvent le courage, pas seulement de s’adapter, mais d’initier le changement ! », disait Katrina Collier. C’est une citation qu’on adore, issue de son livre Robot Proof Recruite. Cette phrase résume à elle seule le message que l’on cherche à véhiculer : c’est aux équipes recrutement de faire bouger les lignes !
Léo Bernard : Et ça ne concerne pas que les équipes recrutement en réalité ! Comme ce livre se destine aussi aux « non recruteurs », nous espérons un électrochoc à la lecture. L’objectif du livre est bien de permettre à tous et toutes, à la fois d’éviter les plus grosses erreurs de recrutement, mais aussi et surtout d’avoir une meilleure compréhension des enjeux pour améliorer leur collaboration avec les recruteurs, et/ou adopter leurs techniques pour recruter efficacement pour eux-mêmes.
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Article rédigé par Sophie Dussaussois et édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps.
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