Proposition de promotion : pourquoi est-ce difficile de dire « non merci » ?

12. 12. 2024

5 min.

Proposition de promotion : pourquoi est-ce difficile de dire « non merci » ?
autor
Romane Ganneval

Journaliste - Welcome to the Jungle

přispěvatel

Dire non à une promotion, c’est refuser une reconnaissance, aller à contre-courant des attentes, voire risquer d’être mal jugé. Pourtant, derrière l’apparente récompense, certaines ascensions mal pensées peuvent se transformer en piège, bouleversant équilibre et motivation. Vesna Pajovic, experte en recrutement au Mercato de l’emploi et Thomas Sentis, dirigeant du cabinet Le Mouton à Cinq Pattes, nous expliquent comment résister à la pression et faire le bon choix.

Être promu, c’est excitant, flatteur, mais contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce n’est pas toujours dans notre intérêt. Pourtant, quand sa manager lui a proposé de créer une équipe et de prendre la tête du pôle relations presse de la start-up, Lucie, 31 ans, n’a pas vraiment hésité. Ou si peu. « Je n’étais pas sûre d’être à la hauteur, mais j’avais peur de laisser passer une opportunité », se souvient-elle. Dans sa tête, une petite voix insistante murmurait : « et si je ratais ma chance ? » Après quatre ans à un poste qu’elle maîtrisait parfaitement et une légitimité forgée au fil du temps, Lucie semblait avoir toutes les cartes en main pour réussir. Malheureusement, le passage au management a bouleversé ses repères. Sa responsable, omniprésente, s’est mise à scruter chacune de ses décisions, à commenter chaque initiative, jusqu’à complètement empiéter sur son territoire.

Refuser une promotion, un aveu de faiblesse ?

« C’est paradoxal, mais plus j’ai gravi les échelons, moins j’ai eu de liberté », confie-t-elle, encore amère. Poussée à en faire toujours plus, Lucie a peu à peu perdu confiance en elle. Elle n’avait pas anticipé que ce « oui » entamerait la sérénité qu’elle avait construite dans son ancien rôle. Pour mettre fin à son calvaire, elle a finalement demandé une rupture conventionnelle. « À force de vouloir prouver ma valeur, je me suis épuisée, regrette-t-elle. Peut-être qu’un jour j’accepterais un poste avec autant de responsabilités, mais dans une entreprise où le rythme et la pression sont moins écrasants. »

Ce qu’a vécu Lucie est loin d’être un cas isolé. Et pour cause : dans le mot promotion se cache une promesse implicite : celle d’une progression, d’un épanouissement, d’une reconnaissance tangible des efforts fournis. C’est un symbole de réussite, une validation qui flatte autant l’ego que la carrière. Refuser un tel avancement, c’est aller à contre-courant d’une narration profondément ancrée, un peu comme si l’on refusait un cadeau précieux. « Quelque part, c’est renier un geste de reconnaissance de la hiérarchie, explique Vesna Pajovic, experte en recrutement au Mercato de l’Emploi. Dans certaines entreprises, notamment celles où la loyauté et l’engagement collectif priment sur les aspirations individuelles, refuser une promotion est presque impensable. » Certains employeurs peuvent interpréter un refus comme un manque d’investissement ou d’ambition. D’autres, comme un aveu de faiblesse, voire une incapacité à relever un défi.

« Dans le monde des start-ups, l’évolution de carrière est généralement assez rapide et la moyenne d’âge très jeune, remarque Lucie. À 30 ans, avoir sa propre équipe, c’est presque une norme. Dire non, c’était risquer de décevoir, d’être étiquetée comme quelqu’un sans ambition et risquer d’être placardisée. » Ce jugement implicite, diffus mais omniprésent, pèse lourd dans la décision. « Cette pression dépasse souvent la sphère professionnelle, les proches, parfois même les parents, ont du mal à comprendre pourquoi on dirait non à une telle opportunité », observe Thomas Sentis, dirigeant fondateur du cabinet de recrutement Le Mouton à Cinq Pattes.

Une mise en scène qui ne favorise pas la prise de recul

L’annonce d’une promotion n’est pas un banal échange. Il y a une dramaturgie, pensée pour suspendre le temps, prendre le temps de flatter l’égo et féliciter. Généralement, cela se passe derrière une porte close, dans un bureau trop bien rangé. Le manager attend, le regard sérieux, et quand il prend la parole, son ton est plus grave, presque cérémoniel. Les mots sont pesés, délivrés avec une lenteur étudiée pour marquer l’instant. Le salarié, lui, se retrouve là, à la fois flatté et un peu pris au dépourvu, spectateur d’un scénario qu’il n’a pas toujours choisi, mais dont il est pourtant le personnage principal. Dans cette bulle où tout semble suspendu, où l’enjeu se mêle à l’émotion, la question d’un refus paraît incongrue, presque déplacée. Dans ce contexte, qui oserait dire : « Je ne suis pas sûr·e que ce soit pour moi ? »

« Dans ces moments, le salarié est en quelque sorte pris au piège, observe Vesna Pajovic. Ce n’est pas une conversation à armes égales, puisque seule la hiérarchie détient les règles du jeu. » Il faudrait pourtant s’extraire du décor, briser cette atmosphère, et demander du temps. Non pour gagner du répit, mais pour reprendre la main, redevenir le maître de sa propre trajectoire. D’abord, quand une telle annonce est faite, il est important de revenir sur ce que l’on a accompli, ce que l’on a échoué, ce que l’on aspire à construire. Mais aussi examiner en détail les contours du poste proposé avec lucidité : quelles sont les compétences nécessaires pour performer ? Quelles sont les contraintes imposées ? Quels sacrifices attend-on ? Il est important de pouvoir anticiper l’impact de cette nouvelle position sur sa vie, son temps, son équilibre. « Si après cette phase de réflexion, vous pensez accepter, identifiez les besoins d’accompagnement pour réussir la transition. Par exemple, vous pouvez dire : “Je suis motivé, mais j’aurai besoin de soutien sur les aspects analytiques comme les KPI”, conseille Thomas Sentis. Et si vous refusez, il faut rester constructif : “Je suis flatté par cette proposition, mais cette évolution n’est pas alignée avec mon projet professionnel.” Une telle démarche sera bien perçue par l’entreprise, car elle montre que vous avez fait preuve de réflexion et d’engagement. » Gagner du temps en réfléchissant dès le départ permet d’éviter les désillusions et les déconvenues.

Un doute, pas de doute

Marie (1), cheffe de produit dans le secteur industriel, a connu une ascension éclair. Après une alternance prometteuse, elle décroche un poste dans une petite entreprise de l’Est de la France où son potentiel est immédiatement remarqué. Quelques mois plus tard, les dirigeants lui proposent de prendre la tête du département marketing et communication et de siéger au Codir. À 25 ans, la jeune femme trouve cette progression presque trop rapide pour être réelle. Pourtant, galvanisée par les compliments et les promesses d’un avenir brillant, elle accepte.

Mais les beaux discours ne tardent pas à s’effacer sous le poids de la réalité. Très vite, les illusions de Marie se brisent : l’ambiance est toxique, son équipe est composée de salariés placés dans son service faute d’avoir trouvé mieux ailleurs, et on lui demande d’endosser des pratiques contraires à ses valeurs. « On nous demandait de mentir, de cacher des vérités gênantes. Les humiliations étaient fréquentes, et l’atmosphère frôlait la dérive sectaire », confie-t-elle, encore marquée par cette période. Après sept mois insoutenables, elle demande une rupture conventionnelle. « Cette expérience m’a appris à lire entre les lignes, à repérer les signaux d’alerte, mais surtout, elle m’a permis de définir ce que je voulais vraiment dans mon travail et dans ma vie. »

Le parcours de Marie met en lumière une réalité souvent négligée : quand un doute persiste au moment d’accepter une promotion, c’est rarement sans raison. Derrière la belle opportunité peut se cacher un loup. Peut-être est-ce la nature même du rôle – devenir manager, une voie encore perçue comme la seule option pour progresser dans la plupart des entreprises – qui ne nous correspond pas, ou peut-être que cette annonce arrive à un moment qui pourrait entraver d’autres projets personnels. « Il est essentiel de comprendre qu’une promotion n’est pas forcément synonyme de réussite. Elle doit avant tout être cohérente avec les aspirations et les compétences de la personne concernée », souligne Vesna Pajovic. Le management, par exemple, n’est pas une récompense mais une vocation. Forcer quelqu’un à y entrer par défaut, c’est risquer de briser son équilibre, à la fois personnel et professionnel. Lucie et Marie le savent désormais : une promotion doit s’accompagner d’un alignement clair entre ce que l’entreprise attend et ce que l’on est prêt à donner. Et que dire non, c’est parfois dire oui à soi-même.

Article écrit par Romane Ganneval, édité par Camille Perdriaud ; Photo de Thomas Decamps

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