Apprendre des meilleurs : l'autodérision avec... David Castello-Lopes !

Journaliste protéiforme, humoriste passionné par les petits riens au déhanché ravageur, David Castello-Lopes cartonne avec son spectacle “Authentique”. Toujours le premier à rire de ses cernes, de la perte très lente et continue de ses cheveux ou de sa carrure de sportif, il nous raconte l’importance de cultiver l’autodérision pour dédramatiser ses échecs et ses maladresses. D’après son expérience, si l’autodérision est un rempart salvateur dans une société qui exclut tout ce qui n’est pas parfait, il ne faudrait pas dépasser une certaine limite et aller jusqu’à dévaluer ce que l’on fait vraiment bien !

Ce personnage que vous mettez en scène sur les réseaux sociaux qui se moque constamment de son visage et de son corps pas très sportif, reflète-t-il votre vraie personnalité ou est-ce un personnage que vous avez créé spécialement pour vos vidéos ?

David Castello Lopes : Nous avons tous nos faiblesses, nos défauts, nos particularités, nos petitesses. Plutôt que d’en faire abstraction, de vouloir les enfouir pour que personne ne les remarque, c’est toujours plus sympathique d’en parler ouvertement. Après, on ne peut pas rire de tout : il y a des sujets trop sensibles, qui font mal ou dont on a encore honte. Pouvoir rire de certains aspects négatifs de notre personne suggère d’avoir fait un peu la paix avec soi-même et ça prend du temps. Parlons cheveux deux minutes. J’ai commencé à les perdre doucement à 22 ans. Il y a quelques années, je n’aurais pas pu en rire parce que j’espérais encore pouvoir trouver le remède pour remonter cette pente capillaire effrayante. Mais les années ont passé et même si ça me brise encore le cœur, j’ai fini par accepter qu’un jour je n’aurais plus de cheveux et je peux en parler publiquement.

Freud disait que l’humour était une façon stratégique de libérer une angoisse inconsciente, est-ce qu’on peut dire qu’avec l’autodérision, vous faites diversion ?

Le mot inconscient est très important chez Freud et dans mon cas, c’est plutôt le contraire puisque j’ai largement conscientisé mes angoisses ! Pendant des années, j’étais anxieux parce que je me considérais comme une merde - bon je n’ai pas passé quinze ans de ma vie à jouer aux jeux vidéos en fumant des pétards, ce qui est MON image du gros glandeur - mais les faits allaient plutôt dans mon sens. Depuis que ça va mieux professionnellement, c’est plus simple. Il m’arrive encore de stresser parce que je dois bien faire certaines choses, mais c’est ce que je qualifierais de « stress normal ». Je crois que parfois, le fait de « devoir » travailler peut être assez salvateur pour toutes les personnes qui ne sont pas très stables psychologiquement et dont je fais partie. Quand le monde s’écroule autour de toi, tu as envie de rester le plus longtemps possible dans ton lit, mais comme tu as des choses à faire, tu te bouges et ça va mieux après.

L’autodérision nécessite une excellente connaissance de soi, puisque se moquer de son côté râleur ou arrogant n’est drôle que s’il y a une part de vrai… Mais avec toutes vos activités, est-ce que vous avez encore le temps pour l’introspection ?

On dit souvent que les hommes sont très mauvais en multi-tasking, mais quand on prend un taxi, quand on marche dans la rue, que l’on fait la cuisine…, on peut penser à autre chose. Récemment, j’ai lu quelque chose qui m’a un peu soulagé parce que je pensais être le seul à le faire, mais prendre des douches permet de stimuler la réflexion. Quand je bloque un peu ou quand j’ai besoin de me retrouver avec moi-même, il m’arrive de prendre des douches même si je suis propre. Après je vous rassure tout de suite, il ne m’est jamais arrivé de prendre plus d’une douche inutile par jour.

« Ce n’est pas parce que je fais des blagues sur mes cernes, ma carrure ou mes cheveux, que je permets aux personnes que je ne connais pas ou qui ne sont pas bienveillantes de le faire à ma place. »

Au début de notre discussion, vous parliez de distance nécessaire avec soi-même, mais l’autodérision a-t-elle toujours été une force dans votre vie ? Et quand est-ce que vous avez commencé à l’utiliser ?

Je dirais que c’est assez instinctif. Quand je prends le temps d’observer les personnes que j’aime bien, je remarque tout de suite qu’elles rient beaucoup d’elles-mêmes. Autre point important, je n’ai jamais supporté les personnes qui passaient leur temps à expliquer à quel point elles étaient géniales ! Ça me fait penser à un collectionneur d’art que j’ai rencontré et dont je devais écrire les mémoires. J’ai passé plusieurs jours en sa compagnie et quand j’ai essayé d’aborder la question de l’échec, il m’a dit des phrases du genre : « Oui là je me suis planté, MAIS ça m’a quand même permis de faire ça et puis ça…» Il était incapable de dire que parfois il était juste nul. Il n’avait aucune distance. Mais ce n’est pas parce qu’on n’a pas tout le temps été parfait que tout va s’écrouler !

Après, quand est-ce que j’ai commencé à utiliser l’autodérision ? Pas tout de suite pour la simple et bonne raison que les enfants sont trop premier degré et n’ont aucune distance avec eux-mêmes. Dans mon cas, il n’y a pas eu de moment charnière, mais j’ai toujours adoré le monologue de Cyrano de Bergerac. Pour ceux qui auraient oublié, il y a un mec pas très sympa qui dit à Cyrano qu’il a un grand nez, ce que le principal intéressé ne prend pas très bien. Après, il fait sa magnifique tirade en vers qu’il clôture ainsi : « Je me les sers moi-même, avec assez de verve, mais je ne permets pas qu’un autre me les serve. » En gros, ce n’est pas parce que je fais des blagues sur mes cernes, sur ma carrure ou sur mes cheveux que je permets aux personnes que je ne connais pas ou qui ne sont pas bienveillantes de le faire à ma place.

Est-ce que c’est une façon de couper l’herbe sous le pied de vos détracteurs ? Après tout, que peut-on dire à une personne qui rit déjà d’elle-même ?

Complètement ! Ça me fait un peu penser à mon père (le photographe Gérard Castello-Lopes, ndlr) qui passait son temps à rire de lui, mais qui était très susceptible en même temps. Il était le seul à pouvoir décider quand on avait le droit de dire du mal de lui.

Est-ce que ça ne libère pas également de la course à la perfection ?

Je ne sais pas si ça libère, mais je pense que l’autodérision permet aux personnes qui s’y frottent de tendre vers quelque chose d’un peu mieux.

« Oui j’ai foiré tous les concours que j’ai passés dans ma vie (Sciences Po, Cuej, ESJ Lille, CFJ…), et oui pendant des années, j’avais vraiment l’impression d’être nul et inutile. Mais aujourd’hui, je sais que ce n’est pas SI grave. »

Je ne sais pas si vous êtes au fait, mais un chercheur en humour américain a démontré que prendre l’habitude de rire de soi améliore l’optimisme, ce qui renforce la résilience et nous permet de nous épanouir face à l’adversité… Un cercle vertueux. Mais quel a été le rôle de l’autodérision dans votre parcours professionnel ?

Je sais que ma réponse va un peu vous décevoir : si je peux dire que l’humour a été central dans mon parcours professionnel, l’autodérision n’a été que le plus beau des ingrédients. Je ne peux malheureusement pas dire que ce soit primordial parce que d’autres humoristes vont plus loin que moi sur ce sujet. Prenez l’humoriste Guillaume Bats qui vient de nous quitter et qui était sévèrement handicapé. Lui, l’autodérision, c’était sa vie. Pas moi. À moins que… Est-ce que vous n’êtes pas en train de me dire que vous êtes venue me poser des questions sur l’autodérision parce que tout le monde rit du fait que je suis moche et nul ?

Plus sérieusement, est-ce que ça a été une façon habile de transformer certaines de vos maladresses, erreurs ou échecs en moments plutôt agréables ?

C’est évident ! Et ça rejoint un peu l’idée qu’on s’en sort toujours avec l’autodérision. Oui j’ai foiré tous les concours que j’ai passés dans ma vie (Sciences Po, Cuej, ESJ Lille, CFJ…), oui les personnes autour de moi on réussit beaucoup plus tôt que moi, oui pendant des années, j’avais vraiment l’impression d’être nul et inutile. Mais aujourd’hui, je peux vous dire que même si je suis toujours un peu crispé sur ces sujets, je sais que ce n’est pas SI grave. Après, au fond de moi, est-ce je pense encore que toutes les personnes qui ont réussi ces concours sont quand même meilleures que moi ? Oui… Quand j’y pense, faut peut-être que je retourne travailler ma paix intérieure.

Ça peut également être utile quand on est manager puisque les chefs qui savent rire d’eux-mêmes sont considérés comme plus sympathiques, dignes de confiance, humbles et attentionnés. Vous n’êtes plus chef aujourd’hui, mais l’avez été au service vidéo du Monde. Est-ce que vous étiez un bon manager ?

Même si avec l’humour tout passe mieux, quand j’étais chef du service vidéo, j’ai compris un peu trop tard qu’il fallait parfois un peu sacrifier la qualité pour que tout le monde se sente bien. Après, la question que je me pose encore aujourd’hui : pourquoi quand on fait un retour négatif, certaines personnes ont tendance à le faire en employant un ton désagréable ? Comme une double peine. Personnellement, je suis un grand adepte du shit sandwich, la technique qu’on utilise quand quelqu’un te rend un truc pas terrible et que tu lui dis : « Il y a tout ce qu’il faut, le montage est dynamique, en revanche, faut que tu enlèves tous ces plans, que tu ailles en tourner d’autres, mais franchement, c’est super. » Pain, merde, pain.

On dit qu’il faut concentrer ses tentatives d’autodérision sur des sujets qui ne remettent JAMAIS en cause une expertise dans un domaine qu’on est censé maîtriser, qu’en pensez-vous ?

Je suis totalement d’accord ! Je ne fais pas d’autodérision sur le montage, le rythme de mes vidéos, ni mon accent dans les langues étrangères qui sont des choses que je sais que je fais bien. Des critiques là dessus, même avec des blagues, ça serait injuste. Donc, ne dénigrez jamais votre travail !

C’est vrai que personne n’aimerait se faire opérer par un chirurgien qui fait des blagues parce qu’il lui arrive d’avoir la main qui tremble.

Ça me fait penser à une anecdote personnelle. Il y a quelques années, j’ai été opéré et je me souviens que l’anesthésiste s’énervait un peu contre l’infirmière parce qu’elle n’avait pas fait la bonne perf et même si je ne disais rien, je pensais très très fort : « Mais vous n’allez quand même pas me charcuter ma race, si vous ne savez pas ce que vous faites ! » Ils parlaient de moi comme d’un objet. « Qu’est-ce que vous faites Véronique ? Vous savez très bien que ce n’est pas comme ça qu’on nettoie une table. »

Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un qui veut essayer l’autodérision dans un cadre professionnel et qui n’y est pas coutumier ?

J’ai envie de dire vas-y, au pire, ce n’est pas grave. De toute façon, tu ne peux pas passer ta vie à dire que du bien de toi, alors apaise-toi et lance toi. Et si tu penses que ça va te rendre plus fragile, que ça va davantage t’exposer, tu te trompes. Tu vas être perçu comme plus sympathique, on va plus t’aimer et on va te trouver plus fin.

Vous ne pensez pas à une mise en garde en particulier ?

Ça me fait penser à un livre de l’auteur américain David Lodge qui écrit beaucoup sur le milieu universitaire. Dans une scène, des professeurs de littérature se lancent dans un exercice d’autodérision en disant devant les autres, le titre d’un classique de la littérature qu’ils n’ont pas lu et qu’ils auraient dû lire compte tenu de leur travail. Chacun prend la parole et tout le monde rigole. Dans l’assemblée, il y a un type un peu bourru qui s’apprête à avoir une promotion et qui n’a visiblement pas vraiment compris le jeu. Quand son tour arrive, il dit « Hamlet ». Gros blanc, il est allé trop loin. Ensuite, la vie du gars bascule et il n’a pas sa promotion. Donc attention, à ne pas franchir une certaine limite !

Où faut-il mettre la limite ?

Par exemple, dans un entretien d’embauche, j’estime que c’est super d’avoir un peu d’autodérision. Je me souviens que lorsque j’ai passé mon entretien au Monde, j’ai fait des blagues pendant le repas. Tous les chefs déjeunaient et je n’arrivais pas à avaler une bouchée parce que j’étais stressé. Comme tout le monde le sentait, j’ai fini par le dire à voix haute et on a ri. En revanche si tu lances frontalement en entretien : « Moi, arriver à l’heure ça me casse un peu les couilles. » Ce n’est pas possible. Pourquoi ? Parce que tu viens de transmettre une information qui est bien trop problématique. Donc, je dirais que l’autodérision c’est positif parce que c’est plus authentique, mais attention quand même aux excès de vérité.

Retrouvez David Castello Lopes au théâtre du Rempart du 7 au 29 juillet à Avignon, puis en tournée en France à partir du 21 septembre 2023.

Article édité par Gabrielle Predko ; photo par Thomas Decamps.