Ils ont organisé les JO : « Après ça, j’imagine un quotidien pro plus fade ! »
Sep 19, 2024
7 mins
Journaliste chez Welcome to the Jungle
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Journaliste - Welcome to the Jungle
Journaliste @Welcome to the jungle
Salariés ayant passé des années à organiser les Jeux Olympiques ou bénévoles ayant donné deux semaines de leur vie, tous ont un point commun : ils ont vécu une expérience incroyable et sont en grosse redescente émotionnelle depuis que c'est terminé. Que faire quand le projet d'une vie touche à sa fin ? Nos 4 témoins racontent comment ils vivent l'après JO.
« Me demander de résumer les JO, c’est comme si on me demandait de résumer la vie tellement c’était dense ! » Hortense, régisseuse des opérations commerciales en Freelance
Les Jeux Olympiques sont terminés depuis deux semaines et je suis envahie par un grand vide et un grand soulagement ! Soulagée car je faisais partie des équipes qui ont été particulièrement dans le jus pendant le « game time » ! Mais passer de shifts avec des horaires parfois compliqués, où je marchais 20km par jour avec le casque vissé sur les oreilles et des infos en continu… pour retourner au silence complet, ça fait bizarre ! Étant en freelance depuis peu, je ne peux évidemment m’empêcher de me demander ce que la suite me réserve. D’autant qu’après avoir travaillé sur les JO, la barre est haute. Car ce n’est pas un festival qui a lieu tous les ans mais bien quelque chose qu’on ne vit qu’une seule fois dans sa vie. C’était une grande fierté d’avoir contribué à la réussite de cet événement sur lequel le monde entier avait les yeux rivés. Je pense que jamais, autant de personnes ne m’ont posé de questions sur mon travail. Être dans les « backstages », ça nourrit une grande curiosité. Mais il serait difficile d’expliquer la connexion qu’on a eue avec les équipes. Je n’ai jamais vécu une expérience humaine aussi intense. Même lorsqu’on commençait à 5h et qu’on enchaînait les galères, on avait une patate d’enfer.
J’ai collaboré avec des responsables de cantine, du ménage, des techniciens, des bénévoles, des personnes de tous âges et de tous horizons, et tout le monde se respectait énormément. Moi qui avais déjà l’esprit d’équipe et une grosse niaque, je sens que j’ai pris du galon et que j’ai appris la rigueur. J’aurais toujours beaucoup de tendresse pour cette expérience et me rappellerai pendant longtemps les moments forts que j’y ai vécus, comme lorsque l’équipe de volley française a remporté la médaille d’or ! Je me souviens qu’un soir, alors que je terminais à 1h du matin, je me suis assise près des anneaux olympiques avec mon manager pour souffler et il m’a dit : « Tu te rends compte que des gens du monde entier viennent pour voir là où tu bosses ? » Ça m’a fait un petit choc. Même si pour l’instant, je prévois surtout mes prochaines vacances, humainement, ça m’a changée de voir une telle passion.
« Pour rien au monde je ne vendrais ma tenue de bénévole », Juddy 20 ans, étudiante en informatique
Un formulaire interminable de candidature, rempli aléatoirement, sous les ordres de ma famille, a sans doute été la meilleure décision de mon année ! Alors que je ne voyais initialement pas l’intérêt d’être bénévole, j’ai finalement vécu une expérience de dingue que je ne peux m’empêcher de partager. Poussée par ma sœur, j’ai signé sans trop de convictions et ai d’abord regretté, en recevant en début d’année une lettre qui m’annonçait mon placement aux accréditations. Déjà déçue que la mission n’ait rien à voir avec le sport, je me suis prise une deuxième douche froide en découvrant que mes horaires indiquaient 6h30 du matin. L’enfer absolu pour ma personne qui était censée être en vacances ! Plus les JO approchaient, plus je regrettais ma décision jusqu’au premier jour où j’ai finalement compris… qu’il n’y avait pas meilleure mission pour moi ! Être aux accréditations est un travail qui demande d’être à l’aise à l’oral, or je suis trilingue en français anglais et arabe. En plus, je travaillais avec une petite équipe de personnes d’âges et d’horizons complètement différents et l’ambiance était incroyable. Quand on a fait connaissance, chacun a listé les célébrités qu’il souhaiterait voir pendant l’événement. J’ai répondu sans hésiter Patrick Bruel, étant fan de lui, tout comme ma mère. Et quelques jours plus tard, alors que j’étais plongée dans mon ordinateur, j’ai levé les yeux et il se tenait devant moi ! Je l’ai regardé, il m’a regardé, j’ai cru halluciner. Je lui ai fait son accréditation (en tremblant) et j’en ai profité pour lui dire que j’étais à son concert deux mois auparavant. Il a été super gentil, comme la plupart du beau monde qu’on a vu passer : Yannick Noah, Léa Salamé… tous nous disaient que notre bonne humeur était contagieuse !
Il faut dire que dans Paris d’une manière générale, l’ambiance était fabuleuse. Je marchais fièrement avec ma tenue de bénévole dans les rues et quand je vois que certains les revendent, ça me rend triste. Cela va à l’encontre de l’éthique du bénévolat : on était là pour aider et jamais je n’aurais pensé me faire un bénéfice. Aujourd’hui dans mon placard, cet uniforme représente l’expérience géniale que j’ai vécue et je le regarde avec un peu de tristesse en me disant que c’est déjà fini. On s’est revus depuis avec les autres bénévoles parce que personne n’était prêt à se dire au revoir si brutalement. En plus, n’ayant pas pu participer aux paralympiques à cause de la rentrée, revenir à la réalité a été d’autant plus dur. Mais de retour sur les bancs de l’amphi, on me demande comment étaient mes vacances et j’en profite pour raconter mon expérience, ce qui me la fait revivre un peu !
« L’arrêt des Jeux a un effet bi-goût : entre nostalgie et soulagement », Cassandre 31 ans, juriste
Il y a trois ans j’ai quitté un CDI au sein d’une grande maison de Couture pour rejoindre le Comité d’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques. Un job à durée limitée, dont la date de fin aura pris effet à la publication des ces lignes. Est-ce que je regrette mon choix ? Pas un instant! Si c’était à refaire, je re-signerai tout de suite tant j’ai vécu une expérience exceptionnelle, aussi bien professionnelle que personnelle. Déjà, l’événement a été une grande réussite, et le fait d’y avoir participé me confère un sentiment de fierté, ce qui, à la base, n’était pas gagné. Je rasais presque les murs au début quand je disais bosser pour les JO, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui heureusement. Surtout, j’ai vécu des choses extraordinaires : après avoir négocié les contrats licences pour les produits dérivés et les boutiques officielles, j’ai quitté la direction juridique pour endosser la casquette de coordinatrice des opérations commerciales. Un job de terrain, où j’ai vu pour la première fois l’application concrète de mon travail. C’est d’autant plus précieux que ça n’arrive jamais dans mon boulot : quand on est juriste, on travaille toujours derrière un ordinateur. J’ai désormais une autre vision et des compétences en plus qui vont m’aider dans ma carrière. Et puis, j’ai adoré l’ambiance des derniers mois. Avec le public, les athlètes, les membres du comité, on vivait dans une bulle enchanteresse hors du temps. Une intensité qui a créé des liens forts avec ma nouvelle équipe composée de profils super différents qui venaient de la France entière. Soudés, on travaillait et vivait ensemble, dans une ambiance parfois stressante mais la plupart du temps festive, comme une colonie de vacances.
C’est sûr qu’après ça, j’imagine un quotidien plus classique, mais à la fois, c’est aussi une forme de soulagement. Cette intensité n’est pas tenable sur la durée, là nous étions sur le pont 6 jours sur 7, avec des shifts de 10H, en horaires décalés, je marchais 15 Km par jour… C’est la première fois que je ressentais vraiment de la fatigue physique, étant plutôt habituée à la fatigue intellectuelle. Sans compter que c’est compliqué pour la vie personnelle car on voit peu ses proches dans ses conditions et quand on est avec eux, on est juste crevé ! Autant dire que mon conjoint, bien que très conciliant, est content que ça se termine lui aussi. C’est ce qui fait que je me raisonne et que je ne sombre pas dans la nostalgie. J’en garde plein de bons souvenirs, de nouveaux amis aussi, mais je ne vais pas m’arrêter avec les Jeux. J’ai d’ailleurs déjà trouvé un autre job de juriste dans la mode, et même si je reprends le chemin de la vie de bureau, je me sens différente : désormais je ne me ferme plus aucune porte.
« J’ai vécu un peu comme un deuil la fin de nos projets », Malena 27 ans, cheffe de projet à l’Olympiade Culturelle
Beaucoup l’ignorent mais travailler pour les JO est un projet de longue haleine qui, de la candidature aux Jeux, s’étire sur 8 ans. Personnellement, je bosse pour l’Olympiade Culturelle depuis mon stage de fin d’études, il y a 4 ans. Ma mission est d’élaborer un programme culturel afin de tisser des liens entre l’art et le sport. On a construit l’architecture de l’Olympiade Culturelle puis livré et labélisé 2500 projets qui représentent plus de 100 000 événements en deux ans. Par exemple « La très grande forme », de la compagnie Volubilis, 12 danseurs professionnels qui ont transmis une chorégraphie de 50 minutes à 700 amateurs et qui a donné lieu à une restitution sur le parvis de l’hôtel de ville. On a également programmé à l’Olympia pour faire se réunir Bob Beamon en collaboration avec Ibrahim Maalouf ou encore, créé le projet un peu fou d’une piscine dans le parking de l’Olympia qui s’appelle Out of the blue, réalisé par deux apnéistes…
Depuis le mois de mars, c’est vraiment le rush et ça a fait monter la sauce jusqu’aux Jeux. On peut dire que je suis rentrée en rythme de festival et étant tous les week-end sur site à bouger en permanence. Paradoxalement, c’est pendant les Jeux que ça s’est calmé pour moi, à tel point que j’ai même pu assister à des épreuves. Mon contrat se termine le 31 octobre par une période d’évaluation, de clôture des comptes et de publication d’un livre bilan sur l’Olympiade Culturelle. Là ça y est, c’est vraiment fini et j’ai vécu un peu comme un deuil à la fin de nos projets. C’est vertigineux d’imaginer la suite. Il y a ce sentiment de quitter une petite maison où nous sommes passés de 400 collègues à 4000, tous réunis autour d’un projet ultra motivant. J’ai cette impression qu’il va falloir tout recommencer à zéro et j’ai aussi la crainte de rechercher un job aussi stimulant sans pouvoir jamais le retrouver. On parle du plus gros évènement planétaire et ce que j’ai vécu là, je sais que ne le revivrai pas. J’ai touché à tous les corps de métiers (la comm’, la prod’, la technique, l’administratif) normalement très compartimentés, suis devenue cheffe de projet 3 ans après la fin de mes études, appris à évoluer dans l’urgence, car les Jeux sont comme une énorme start-up dont on doit créer les process en quatre ans et il faut être flexible. J’appréhende dans le sens où ce n’est pas tous les jours que l’on peut travailler avec une telle diversité de disciplines et de lieux, sur des projets aussi hybrides. Je suis fière d’avoir mené des projets visant à rendre la culture accessible. Je vais maintenant aborder un métier à échelle plus humaine et moins transdisciplinaire et aussi embrayer sur un rythme plus normal et cadré, ce qui me fera aussi le plus grand bien.
Article écrit par Aurélie Cerffond, Gabrielle Predko, Manuel Avenel et Camille Perdriaud. Photos : Thomas Decamps pour WTTJ
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