Si t'as pas fait un burn-out à 30 ans, t'as raté ta vie (pro) ?
Jul 25, 2024
8 mins
Empruntant le virage de la trentaine, je suis entouré de personnes qui ont « fait » leur burn out. Ce mal du siècle s’est invité dans notre vocabulaire et nos parcours de vie… Au point que je me demande égoïstement, si moi aussi, je me dirige vers un inexorable court-circuit professionnel ! Serait-ce inéluctable ?
Je l’avoue, je suis plutôt du genre hypocondriaque. Dès qu’une toux ou un rhume m’attrape, je me rue sur Doctissimo pour découvrir qu’il ne me reste plus que quelques jours à vivre. Alors, quand une nouvelle épidémie apparaît, je m’alarme. Ces derniers temps, chaque fois que je discute avec quelqu’un de mon entourage, il semble que le mot « burn-out » surgisse. Mes amis, mes collègues, les influenceurs que je suis sur Instagram… Tous semblent succomber à ce mal moderne. Et moi, trentenaire dans la tourmente de la vie professionnelle, je ne peux m’empêcher de me demander si je suis le prochain sur la liste.
Tout a commencé avec mon ami Paul. À 29 ans, il avait tout pour plaire : un job stable, une famille aimante, un chien mignon. Puis un jour, il s’effondre. Littéralement. Diagnostic : burn-out. J’étais abasourdi. Puis ce fut le tour de Clara, une collègue brillante, toujours souriante, maintenant en arrêt de travail depuis des mois. Le coup de grâce est venu d’Instagram, la plateforme où les gens affichent leurs vies parfaites qui a soudainement viré au sombre. Des influenceurs ou même des célébrités comme Selena Gomez ou Stromae ont ouvertement parlé de leur lutte contre l’épuisement professionnel. La tendance était partout, à tel point que j’ai commencé à me demander si je pouvais y échapper.
Le burn-out : un terme galvaudé ?
Face à cette avalanche de cas, je me suis d’abord demandé : est-ce que l’expression « burn-out » n’est pas un peu galvaudée ou surfaite ? C’est vrai, à côté de nouveaux mots comme hypersensible ou pervers narcissique, les burn-outés pouvaient se classer par là pour moi. « Faire un burn-out » est devenu une expression courante avec sa version épurée « être en burn ». Un terme tellement banalisé qu’il en perd pour moi son caractère de gravité. « Mon boss est en plein burn en ce moment », me glisse une amie. Et ça n’a pas l’air si préoccupant ou questionnable que cela au final. C’est ainsi devenu au mieux un rite de passage professionnel obligé, au pire des cas, un levier de storytelling linkediniesque. On connait tous ces histoires un brin caricaturales et parfaitement clichées, de ce cadre de la défense qui, après des années de stress intense, a trouvé refuge dans l’apiculture, de ce consultant devenu brasseur artisanal ou de ce manager reconverti en prof de yoga, estampillés du label “histoires inspirantes”.
Je suis tombé sur ces mots de l’humouriste Anne Sophie Girard qui a elle-même vécu un burn-out, raconté dans son livre Un esprit bof dans un corps pas ouf (Flammarion, 2023), : « Je n’ai jamais voulu être de ces gens qui disent « j’ai fait un burn-out » avec une suffisance insupportable, comme s’ils avaient fait, fabriqué, créé quelque chose. T’as rien fabriqué du tout ! Ça t’est tombé dessus ! Tu as subi un burn-out, c’est tout ! » De la même manière qu’un backpacker détestable annoncerait qu’il a « fait » Bali l’été dernier, le burn-out n’est-il qu’un énième item de cette course à la rayure de checklist qui remplit nos existences ? Avec une telle prolifération du terme, je me suis demandé : les récits de résilience après un burn-out font-ils partie d’un storytelling professionnel trop bien rodé pour légitimer une transformation radicale de la vie ? Au point de me demander, si comme la Rolex pour les 50 balais, est-ce que si on n’a pas fait son burn-out avant trente ans, cela veut dire qu’on a raté sa vie pro ?
Un vrai coup de chaud
J’exagère sans doute. Après tout, s’il semble être devenu le mot « à la mode » pour toute forme d’épuisement ou de stress des moins graves aux plus fortes, une rapide recherche m’a prouvé que le burn-out est bien plus qu’un simple coup de fatigue ou qu’un coup de com’ perso. Pour lutter contre mon scepticisme, je me penche sur du factuel : des chiffres. Et là, surprise ! Personne n’est d’accord : entre un Institut de veille sanitaire qui parle de 30 000 cas et Technologia qui avance 3,5 millions, la fourchette a carrément les dents du bonheur ! Pourquoi cet écart digne du sourire de Yannick Noah ? À cause d’un gros trou dans la raquette. : le burn-out n’est pas reconnu comme maladie professionnelle. Donc difficile d’établir des stats. C’est dans le jargon ce qu’on appelle une ALD, pour affection longue durée. Impossible de dire s’il y a aujourd’hui plus de burn-out qu’hier, ou si c’est simplement que l’on commence à identifier et reconnaître ce mal. Cet état d’épuisement émotionnel, mental et physique est causé par un stress prolongé ou excessif. Les personnes en burn-out ressentent un manque d’accomplissement personnel et une déconnexion avec leur travail. Le verbe anglais « to burn » pourrait se traduire par « se griller », à l’instar d’un court-circuit ou encore « s’éteindre » telle une bougie. On attribue en général à Herbert Freudenberger, professeur de psychologie sa description : « Les gens sont parfois victimes d’incendie, tout comme les immeubles » ; « Une fatigue qui ne cède pas au repos », tente pour sa part Sandrine Vialle-Lenoël, psychosociologue.
Bon, on sait désormais de quoi il s’agit. À cet escient, est-il possible d’installer un détecteur de fumée pour prévenir le brasier ?
Mon détecteur de fumée à l’épreuve de l’incendie professionnel
Assis à mon bureau, plongé dans mes pensées, entouré de témoignages de burn-out, moi dans tout ça, comment je fais pour ne pas flamber ? Il fait parfois chaud au boulot, mais entre une surchauffe et un simple problème de clim, comment faire la différence ? Il paraît qu’il faut garder à l’œil ses ennemis, alors je me renseigne sur le phénomène. Ma première interrogation est de déterminer si je suis un profil à risque.
Tirer un portrait robot du grand brûlé
S’il était d’abord observé dans les professions médicales, au fil du temps, le burn-out s’est propagé à toutes les professions et à tous les niveaux de postes. Les enseignants, les cadres du privé ou de la fonction publique, les entrepreneurs, les salariés en contact direct avec des clients, même les prêtres. Il n’épargne personne. Ce qui m’a frappé le plus, c’est cette statistique alarmante : les femmes sont 2 à 3 fois plus touchées par le burn-out que les hommes, selon des études de l’INRS en 2012 et de Technologia en 2014 (en raison d’une charge mentale et d’une pression à la réussite professionnelle plus intense, notamment). Comment peut-on ignorer une telle disparité ? Sans faire peser le poids de la responsabilité sur les individus, il existerait également des profils à risque, plus exposés que les autres. Certaines caractéristiques semblent récurrentes parmi ceux qui en souffrent : les perfectionnistes avec une forte conscience professionnelle, les personnes très engagées, qui investissent énormément de temps et d’énergie dans leur travail ou encore les travailleurs de longue durée qui passent des heures interminables sans prendre de vraies pauses. Ajoutons enfin que le désir de « faire ses preuves » ou encore de « prouver son ambition », caractéristique d’un problème de connaissance de ses propres limites, que l’on retrouve notamment chez les jeunes salariés, sont aussi des pentes glissantes. La génération Y étant particulièrement desservie par l’hyperconnexion, le multi-tasking ou le blurring (l’effacement de la frontière pro-privé).
Ces profils me rappellent étrangement quelqu’un que je connais bien… moi-même ! Il serait rassurant de me dire que le burn-out n’arrive qu’aux autres, mais la vérité est que personne ne semble à l’abri, pas même les gens qui paraissent les plus solides professionnellement parlant.
Scruter, mesurer ses constantes
Parler de burn-out sans évoquer l’environnement de travail, c’est un peu voir le problème d’un seul versant. J’entends souvent dans les récits de personnes concernées jaillir comme un bingo du burn-outé, les termes « sous l’eau », « sous staffé », « manager toxique », bref tout un cosme stressant dans lequel le travail trouve peu de reconnaissance. Il me paraît donc primordial de garder à l’œil mon rapport au travail. Alors, je reste attentif et mène une sorte d’auto-palpation, pour déceler des signes avant coureur de l’incendie. Le matin ou le soir, parfois en pleine journée, je tire mon analyse d’une fatigue excessive, d’une forme de cynisme, ou sur mes moments d’inefficacité. Pourquoi j’ai envoyé bouler Corentin aujourd’hui ? Cette irritabilité a-t-elle quelque chose à voir avec une charge de travail trop élevée ? Comment faire la différence entre perdre en motivation dans la routine quotidienne et savoir garder l’étincelle d’enthousiasme dans son travail ?
J’en suis même venu à élaborer une petite grille pour observer ces constantes :
Une échelle de mon niveau de stress
Sur une échelle de 1 à 10, je note quotidiennement mon niveau de stress.
Un journal du sommeil
Je vérifie mon application de sommeil pour voir si mes nuits sont réparatrices.
Un check-in émotionnel
Je note mes émotions principales chaque soir.
Une check-list de mes tâches quotidienne pour estimer ma motivation
Est-ce que je procrastine ? Si oui, combien de tâches ai-je reportées aujourd’hui ?
Une auto-palpation mentale
Ai-je encore envie de me lever le matin pour aller travailler ?
Pour déterminer si on est en burn-out, il existe même pléthore de tests faciles à trouver sur internet. Mon préféré est celui de Maslach qui évalue trois dimensions principales : l’épuisement émotionnel, la dépersonnalisation et le sentiment de diminution de l’accomplissement personnel. Irritabilité, fatigue, migraine, difficulté à gérer ses émotions, troubles gastro-intestinaux (les voies du burn-out ne sont pas si impénétrables), je me surprends à passer ces symptômes à la loupe régulièrement. Je sais, cela peut sembler abusif, mais la prévention vaut mieux que la guérison. D’autant que que le burn-out est vraiment d’une fourberie sans nom : enfermé dans leurs symptômes, la plupart des gens ne le voient pas arriver, tirent sur la corde et au moment où ils s’en aperçoivent, sont déjà sur un point de non retour. Et il n’a rien d’un phénomène soudain, mais il s’agit bien d’un processus durant lequel on peut se plonger dans le déni, la culpabilité, voire être envahi d’un sentiment d’impuissance. Par exemple, d’après une étude menée sur un échantillon de salariés, 50 % de l’ensemble des moins de 35 ans n’évoqueraient pas leur burn-out avec leur employeur ou leur manager car ils auraient « peur » qu’il en soit gêné. Alors, il n’y a pas de mal à se scruter d’aussi prêt et de s’informer avant d’en arriver là.
Mieux vaut prévenir que guérir
Pour le prévenir, je mets aussi en place une liste de « bonnes pratiques », glanées ça et là. Je m’efforce de garder un équilibre sain entre vie professionnelle et personnelle. J’essaie de déconnecter réellement pendant les vacances, de faire de l’exercice régulièrement, et de pratiquer la méditation. Ma check-list anti burn-out inclut des pauses régulières, des limites claires entre boulot et vie privée, de l’activité physique, de la méditation et des exercices d’écriture pour vider son sac les jours. Enfin, il ne faut pas hésiter à demander de l’aide extérieure. Tous ces « trucs » ne garantissent en rien de ne pas succomber au burn-out, qui à la différence de la varicelle, ne vaccine pas une fois qu’on l’a choppé. Le risque de rechute s’élève même de 30 à 40 %. Contrairement à ce que dit l’adage, la foudre tombe parfois au même endroit deux fois.
La réalité est que le burn-out est un phénomène complexe et omniprésent. Avec ma vigilance et mes stratégies de prévention, je suis déterminé à ne pas fléchir. Mais cela est-il vraiment suffisant ? Si j’ai conscience que la vie professionnelle ne doit pas être une course vers l’épuisement et que je veille sur ma santé mentale comme du lait sur le feu, je ne me fais pas d’illusions : c’est aussi une façon (paradoxalement, prenante et épuisante) de ne pas céder à la panique que de prétendre que burn-out n’est pas une fatalité. Pour certains, il est devenu une « nouvelle condition humaine » dans notre société moderne. Loin de laisser entendre qu’il est à la portée des individus de s’en préserver seuls, il s’agit au contraire d’une problématique collective qui concerne managers et organisations, dont la responsabilité reste majeure en termes de santé mentale des salariés. En fin de compte, il ne s’agit pas seulement de mon petit nombril, mais d’un défi commun pour notre société. Bref, le burn-out parlons-en encore… Sans le banaliser.
Article écrit par Manuel Avenel et édité par Aurélie Cerffond ; photo par Thomas Decamps.
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