Minima Gesté, la drag queen engagée qui brille en entreprise
Jul 11, 2024
7 mins
« En tant que drag queen, j’adore quand on parle de moi. » Minima Gesté se livre volontiers, surtout lorsqu'il s'agit des bingos qu'elle anime en entreprise pour sensibiliser à la cause LGBTQIA+. En juillet 2024, elle portera la flamme olympique à Paris, symbole d’un parcours unique et engagé. Portrait.
« Quelqu’un peut m’apporter un verre d’eau ou un coca ? » Dans la touffeur d’une journée de juin, bien heureusement au 7e étage climatisé de la tour Accor d’Issy-les-Moulineaux, Minima se prépare. Bottes à talons hauts, jupe, maillot de rugby floqué « Les Gaillards » (un club inclusif) et visage maquillé, elle détonne par sa stature surplombante et sa palette de couleurs dans cet univers aux standards vestimentaires professionnels forcément moins flashy. « Si je parle là, vous m’entendez là-bas ? » Au programme ce soir, un évènement d’entreprise en faveur de l’inclusion et de la diversité tenu dans le cadre d’un ERG (employee resources group). En trois étapes, Minima donnera une interview, se prêtera au jeu du questions-réponses, puis illuminera les convives d’un bingo musical dont elle a le secret.
« Ne vous censurez pas, il n’y a pas de question bête », rassure-t-elle pour inciter la prise de parole. La centaine de salariés du groupe Accor présents n’est pas venue uniquement pour taper gratos dans les donuts Krispy Kreme aux couleurs de l’arc-en-ciel ou pour chômer quelques heures de travail. Pour certains, c’est tout simplement la première fois qu’ils voient une drag queen « en vrai ». « On dit il ou elle ? », demande une collaboratrice. « Quel prénom adresser à une personne qui a fait une transition de genre ? », interroge un autre. Lui est venu montrer son soutien, discuter d’un monde qu’il ne connaît pas et s’enrichir ; il est parrain d’une personne transgenre et a aussi côtoyé par le passé Amélie, une collègue transgenre. L’heure est à l’échange bienveillant, ponctué de traits d’humour mêlant dérision et auto-dérision. Une poignée d’heures que Minima aurait pensé impossibles il y a encore deux ans, lorsqu’elle raccrochait les crampons d’une autre vie pro, pour se consacrer à temps plein à l’art du drag.
« Travelotte de profession mais ingénieur de formation »
Premier de la classe, Arthur de son prénom civil quitte sa ville natale de Toulouse après un Bac S pour se diriger vers une prépa puis une école d’ingé à Grenoble. Il entame sa carrière dans un Paris marqué par le débat et les manifestations autour du mariage pour tous en 2013. En colère, le jeune homme qui a découvert son homosexualité à l’adolescence souhaite afficher haut et fort sa fierté « d’être pédé ». Contrecarrant cette homophobie crasse, il veut démultiplier sa facette rutilante. Quelques épisodes de RuPaul Drag Race bingewatchés, puis une rencontre un soir d’ivresse aux Buttes-Chaumont avec une drag, et c’est le déclic. Il s’initie à cet art, d’abord pour le fun entre copines et pour ne pas payer l’entrée des boîtes. L’idée d’en faire un side-project n’est alors pas à l’ordre du jour quand « Minima » voit le jour. Et plutôt comme une extension de la personnalité d’Arthur que comme une pure création. « Minima c’est Arthur, en plus libre », lâche-t-elle. Garçon très efféminé, qu’on a toujours traité de « chose pas bien féminine ou de tapette », Minima explore cette image pour mieux la réaffirmer. Le drag est issu de la communauté LGBTGIA+, qui entend récupérer les stéréotypes de genre pouvant être lancés aux visages des personnes homo ou trans. « Il s’agit de transgresser les normes de sexualité selon lesquelles on ne serait pas des vrais mecs. Dans une idéologie où la femme est le sexe faible, je souhaite montrer ce que moi je pense qu’une meuf est et peut faire. »
Devenir drag pour sortir du placard
Avec huit années de drag, la petite reine a-t-elle vu les choses évoluer dans la société ? Aujourd’hui, tout le monde connaît l’émission Drag Race France et la transidentité est représentée au Festival de Cannes. Néanmoins, ces « signaux positifs » n’oblitèrent pas les agressions, les suicides chez les jeunes personnes de la communauté (comme Lucas, ce collégien de 13 ans décédé en 2023), les publications transphobes et autres propositions de lois polémiques. Alors sommes-nous vraiment dans un monde qui bouge ? Lorsque Minima sillonne Paris à biclou pour honorer ses nombreux rendez-vous, les regards qui obliquent vers elle, les têtes qui se tournent, elle n’en fait pas cas. Car c’est le but de jurer dans la grisaille de Paname. Mais les remarques et les propos rances, les paroles homophobes et transphobes (qui sont un délit et pas une opinion) peuvent causer des dommages irréparables. « Je me suis déjà fait péter la gueule parce que je suis gay », raconte celle qui malgré une force apparente, peut aussi rentrer chez elle découragée.
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Le monde de l’entreprise est-il un reflet de la société ? Globalement, c’est un sentiment très positif qui règne chez Minima. 10 ans passés dans des PME et multinationales, et elle n’a jamais connu d’événement pour la diversité et l’inclusion comme ceux qu’elle anime aujourd’hui. Cela témoigne bien d’une ouverture et d’une intention de créer un endroit safe pour les personnes LGBTQIA+. Primordial, explique-t-elle. « Lorsque je n’étais pas out, je passais mon temps à me demander comment j’allais éviter de parler de mon mec. » Cacher son orientation sexuelle reviendrait d’ailleurs à faire chuter la productivité des salariés concernés de 26 %. « Or, comme tout salarié, on veut que nos KPI soient bons ! » Comment être un bon allié ? Comment créer un environnement qui ne juge pas ? Très douée en impro, Minima prend le micro plusieurs heures par semaine pour annoncer des numéros et des quines dans le cadre de bingos qui sont surtout un porte-voix pour parler de choses plus sérieuses. Selon elle, tout commence par arrêter de présumer du genre ou de l’orientation sexuelle de ses collègues. L’emploi de termes épicènes peut aussi aider : « Essayez un “tu vis avec quelqu’un ?” plutôt que “tu vis seul ou avec ta copine ?” », propose Minima pour les discussions au coin de la machine à café. Une façon d’éviter un mensonge ou un coming out forcé. Aujourd’hui, la présence d’une personne ostensiblement queer et flamboyante comme Minima dans une entreprise comme Accor, démontre que les organisations sont accueillantes. « Et en plus, on nous paye pour ça ! », se réjouit l’artiste.
« Come as you are »
Pour se mettre dans la peau de Minima, la drag compte deux grosses heures de préparation et se considère encore comme plutôt rapide, quand d’autres peuvent y passer le double de temps. Parmi les artefacts de cette transformation physique : corset, faux-cils, perruques, soutif, talons et maquillage. « Se mettre cette quantité de maquillage sur le visage avec cette chaleur, c’est infecte ! ». Chronophage, douloureuse, elle l’admet, la mue n’est pas toujours agréable. Alors, aux périodes de doute, il lui faut chercher son « pourquoi ».
Être drag pour Minima, c’est d’abord s’aider et s’aimer soi-même, se trouver plus beau-belle et s’affirmer. C’est ensuite un rôle de phare, de repère au sein de la communauté LGBTQIA+. Une zone tampon contre l’intolérance, car comme elle l’affirme : « Ce sera toujours la drag qui sera la plus folle, la plus conne et la plus exubérante de la soirée ». “Come as you are”, reprend-elle un sourire accroché aux lèvres. Enfin, dans un troisième cercle concentrique, son rôle dans la société est de montrer toutes les possibilités en dehors de l’hétéronormalité et du cisgenrisme. « Si des normes sociales existent, on peut très bien s’en débarrasser et vivre de la manière la plus libre possible », martèle-elle.
Bossy « Drag Quine »
Pour régner sur les nuits parisiennes, il lui faut faire attention à elle et entretenir une hygiène de vie exigeante. Veiller à son alimentation, faire du sport, avoir un bon sommeil (une gageure dans le milieu de la nuit), c’est la règle de trois de Minima. « Et à 33 ans, se mettre plein de crème sur la gueule aussi. » Pendant les périodes de rush, elle prend « un truc horrible de startuper de l’enfer », autrement dit, un repas en poudre qui lui apporte tous les nutriments en un shaker. De quoi survivre au rythme de l’animation de trois bookings par jour en entreprise.
Cheffe et unique salariée de son entreprise, elle a développé ce côté « bossy » qui la rend parfois directive. Une qualité essentielle pour qui entend programmer seule ses journées au cordeau et pour ne pas se faire marcher dessus. « Certains jours, je me réveille à 7 h 30 pour partir à 11 h direction Puteaux pour un évènement d’entreprise. Ensuite, j’ai un call avec un journaliste, puis un temps de repos avant de reprendre le soir. » Elle pratique la règle des 80-20 : 80 % d’apparitions publiques en bars spécialisés dans l’animation, le blind test, le hosting brunch et le bingo drag génèrent 20 % de son chiffre d’affaires, et 80 % de son CA s’appuient sur ses interventions en entreprises, qui elles correspondent à 20 % de ses apparitions.
« Cent balles pour une apparition, ce n’est pas assez. Si on a passé 3 h à se préparer, qu’on prend en compte le déplacement et les 20 % de l’URSSAF, on est à perte. » Si ses activités sont désormais encadrées par le développement d’agences comme Pop Models, Drag Queen c’est avant tout une carrière faite de débrouillardise plutôt que la voie royale. Alors, entre copines drag, la solidarité est de mise. C’est à qui tuyautera l’adresse d’une soirée, ou prêtera ses talons taille 43. Car l’art du drag coûte cher et reste précaire, peu peuvent en vivre pleinement. « Je suis l’exception qui confirme la règle. »
Le retour de flamme
Quand Anne Hidalgo lui envoie un DM sur Instagram en octobre 2023 pour lui proposer de participer aux présélections afin de porter la flamme olympique, Minima exulte. « J’ai cru à une tentative de phishing et qu’elle allait me demander 200 balles », s’étonne encore celle qui sera officiellement sélectionnée après « 8500 formulaires cerfa et 250 lettres de motivation. »
Pourtant, quand la mairie de Paris consacre un portrait vidéo pour présenter sa nouvelle porteuse, s’ensuit une déferlante de commentaires haineux. « Brûle en enfer » ; « Vas en asile » ; « Pourquoi devrions-nous confier la flamme olympique à un homme qui imite vulgairement la femme ? »… « J’avais oublié que des gens pouvaient penser que c’était juste nul que j’existe », commente Minima. Elle poursuit, loin de baisser les bras : « Tant qu’il y aura de l’homophobie ou de la transphobie, tant qu’il y aura des gens qui meurent, on continuera. » Le 14 juillet prochain, avec ou sans talons hauts, rien n’est décidé, Minima portera bien le flambeau. Et qui de mieux qu’elle pour incarner cette manifestation des valeurs positives du sport associées à la symbolique du feu ? Une mission qui s’annonce « a minima » flamboyante.
Article écrit par Manuel Avenel, édité par Ariane Picoche, photos : Thomas Decamps pour WTTJ
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