Célibataires par choix : ils privilégient le taf à l'amour
16 oct 2024
5 min
Pour certains salarié·es débutants dans la vie active, signer un CDI comporte une clause personnelle tacite : rester célibataire pour réussir. Par choix ou par contrainte, leur travail trop prenant, leur quête de stabilité pro ou leur ambition débordante, seraient ainsi incompatibles avec une relation amoureuse. Un statut de travailleur-célibataire qui touche plus les hommes que les femmes, et qui interroge sur les normes contemporaines du couple tout comme la place que l’on accorde au travail dans nos vies.
Un travail trop prenant = un frein aux relations ?
Valentin, consultant média de 31 ans, est familier de cette difficile équation : son travail est trop absorbant pour qu’il n’envisage de se caser. « J’ai un métier relationnel. Tous les jours de neuf heures à dix-neuf heures trente, je parle non stop avec des journalistes et des clients. Quand je rentre enfin chez moi le soir, je n’ai aucune envie de socialiser davantage. » Un rythme de vie intense, qui l’empêche, selon lui, d’avoir une relation amoureuse suivie. Ce dont Valentin a besoin après des journées usant ses batteries sociales, c’est de profiter de moments calmes en solitaire : « Et avec Internet et Netflix, c’est assez facile de se divertir seul. »
Pour autant, le consultant n’a pas tiré un trait sur l’amour définitivement, il l’envisage dans un avenir plus ou moins proche. Pour lui, tout découlera d’une situation professionnelle plus propice et d’un choix délibéré qu’il devra opérer. « Je sais qu’à un moment de ma vie, il va falloir que je choisisse entre un boulot épanouissant et une vie de famille » avance-t-il. Pour l’heure, des perspectives d’évolution bouchées dans l’agence qui l’emploie, ne lui font pas espérer une amélioration côté cœur. « L’idée c’est de faire mes classes ici, puis de chercher un autre poste. J’aimerais travailler dans une grosse structure avec tous les avantages d’une grande entreprise. C’est-à-dire, une charge de travail un peu moins conséquente, peut-être un peu plus de vacances, ce qui me permettrait de dégager du temps pour avoir des projets personnels. » Des desideratas qu’il résume en une phrase : « Un peu plus de temps, un peu plus d’argent. »
Si le jeune homme aspire à plus de ressources pour ses projets personnels, c’est qu’il envisage le couple comme un investissement : « Pour moi, être en couple, c’est quelque chose qui demande de l’engagement, du temps, de l’énergie et des disponibilités. » En attendant, comme près de 28% des Français interrogés pour une étude Ipsos 2022 pour Badoo, il assure aimer son célibat, ou en tout cas ne pas être malheureux de sa situation. Tout comme lui, d’après la même étude, 50% des célibataires envisagent une vie à deux, mais plus tard, quand les conditions matérielles le permettront. Une envie qui augmenterait avec l’âge, se faisant davantage ressentir chez les 35-45 ans.
La stabilité financière : la clé d’une relation amoureuse ?
Salarié dans un cabinet de conseil, Léandre, 30 ans, connaît lui aussi un célibat de début de carrière. Longtemps, le jeune homme a reporté l’idée de rencontrer une personne avec laquelle se mettre en couple aux calendes grecques. Précisément, cela aura duré l’intégralité de ses études et le début de sa vie active. Au point même de renoncer à des opportunités de vie amoureuse. « Si d’aventure je croisais la route d’une femme qui me plaisait sur cette poignée d’année, j’entamais une relation, mais elle n’atteignait jamais le stade de l’engagement. » L’instabilité professionnelle est la première raison de ce repoussement évoquée par le trentenaire. « J’ai vécu une expérience qui m’a convaincu que sans situation professionnelle stable, avoir une relation stable était compliqué ». Après une relation à distance de six mois, le jeune homme alors étudiant multiplie les aller-retours pour rendre visite à sa copine d’alors. Mais le manque de moyen explique, selon lui, la fin prématurée de cette histoire. Embauché aujourd’hui en CDI, il envisage enfin la vie à deux. « Vivre d’amour et d’eau fraîche est une vision bien naïve et romancée de la vie de couple à notre époque. » Il résume ainsi sa vision : « Pour moi, le CDI, c’est le starter pack de l’adulte. Maintenant que je peux “m’auto-suffire”, je suis à l’écoute du marché… de l’amour cette fois. Je sais que ça parait anti romantique au possible de compter ainsi, avant que quelqu’un ne compte pour soi, mais j’essaie d’être réaliste. »
Une crise du travail ou du couple ?
D’après l’étude Badoo, le statut de célibataire s’il semble être source d’épanouissement, véhicule aussi des émotions négatives. Par exemple, si 52% d’entre eux se disent fiers de leur situation, 67% ont souvent ressenti de la tristesse et 62% de la frustration. Surtout, le célibat reste encore perçu comme un état transitoire, voire une source d’inquiétudes s’il devient durable. Car dans cette équation, le temps joue un rôle primordial.
Le manque du temps de qualité
Pour Margaux Terrou, sexologue à Boulogne-Billancourt, il est essentiel de souligner l’importance du « temps de qualité » dans une relation amoureuse, un paramètre qui devient difficile à gérer lorsque le travail accapare tout le temps et l’énergie. Lorsque des couples en difficulté viennent la consulter, la spécialiste a pour coutume de leur demander combien de temps de qualité les deux partenaires s’octroient au quotidien. Ce temps, elle le définit comme « les moments passés à discuter, à échanger, à partager, en excluant les tâches ménagères, la gestion des enfants et les gestes inscrits dans une routine et des réflexes du quotidien. » Et son constat est plutôt en défaveur de l’équilibre de vie de couple. « La plupart des couples passent à peine 30 minutes par jour de temps de qualité. Sur une journée de sept heures de travail, plus les heures passées dans les transports, c’est peu. » Le travail comme activité chronophage pourrait donc nuire à la construction d’une relation sérieuse.
Une vision stéréotypée du rôle de l’homme au travail qui se répercute dans le couple ?
Cette dichotomie entre carrière et vie sentimentale est encore trop souvent liée à une vision traditionnelle du rôle des hommes dans la société d’après notre experte « La notion de chef de famille a disparu des textes en 1975, mais dans les faits, beaucoup d’hommes continuent à penser qu’ils doivent d’abord assurer une stabilité financière avant de s’engager dans une relation », explique Margaux Terrou. Cela crée une pression, à la fois sur la réussite professionnelle et la formation d’une vie de couple. Enfin, elle constate que pour d’autres, le travail peut aussi devenir une excuse pour éviter de s’engager dans une relation. «C’est parfois plus facile de dire qu’on n’a pas le temps pour une relation que de se confronter à la vulnérabilité d’une histoire d’amour », conclut la sexologue. Face à cette réalité, le couple est alors relégué au second plan, derrière la réussite professionnelle.
Une injonction au bonheur à deux comme norme vacillante
La pression des schémas de société continue de peser sur les célibataires. Pour 40% d’entre eux, toujours selon la même étude Badoo, le bonheur nécessiterait d’être deux. Si bien qu’ils sont autant à se sentir « hors norme » en raison de leur statut. Pourtant avec l’allongement de la durée de vie, la hausse des divorces, et le recul de l’âge au premier mariage, le célibat gagne du terrain. La France comptait ainsi 18 millions de célibataires en 2017 d’après l’INSEE, une population qui aurait triplé entre 1962 et 2019 selon une autre étude. Par rapport aux décennies antérieures où une norme conjugale dominait encore, les choix de vie plus individualistes, les carrières professionnelles exigeantes, et la volonté de préserver son indépendance expliquent cette tendance à la hausse. De même que l’impact des changements socio-économiques : la montée du célibat est souvent corrélée à l’instabilité économique et aux difficultés de concilier vie professionnelle et personnelle, surtout pour les jeunes adultes et les trentenaires qui retardent la formation de couples stables. Alors que la carrière prend souvent le dessus, la recherche d’un équilibre entre vie professionnelle et personnelle reste un grand défi à surmonter pour bon nombre de jeunes salariés.
Article édité par Aurélie Cerffond ; Photo de Thomas Decamps
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