« Ce que j'ai appris de ma formation premier secours en santé mentale »

31 oct 2024

7 min

« Ce que j'ai appris de ma formation premier secours en santé mentale »
autorcolaborador

Sauriez-vous répondre à un.e collègue ou un.e proche qui se confie à vous lorsqu’il.elle traverse une mauvaise passe ? Avant cela, seriez-vous capable de repérer le mal-être d’une personne sans qu’elle ne vous en fasse part ? C’est pour répondre à ces questions que l’association PSSM (Premiers secours en santé mentale) a créé la formation de secourisme en santé mentale. Benoit, qui a suivi cette formation en 2022, nous raconte son expérience et les leçons qu’il en a tirées. Témoignage.

S’il fallait me présenter en 3 mots, voici ce que je vous dirais. Un, je m’appelle Benoit. Deux, je suis Head of Platform d’une petite entreprise qui permet de faire des consultations médicales en ligne. Mon intitulé de poste n’est pas très facile à comprendre, mais pour résumer, je dirige une équipe de développeurs travaillant sur la consolidation de notre plateforme de consultations en ligne. Trois, depuis 2022, je suis secouriste en santé mentale. C’est à dire que j’ai suivi une formation certifiée par Premiers Secours en Santé Mentale (PSSM) France, qui me permet de venir en aide aux personnes souffrant de troubles de la santé mentale, au même titre que les détenteurs du PSC1 (Prévention et secours civique) peuvent secourir celles qui viennent de subir un accident physique.

Une formation nouvelle, dont je n’avais jamais entendu parler

Même si l’activité de mon entreprise se situe dans le secteur de la santé, je n’ai jamais occupé de poste en lien direct avec le soin des personnes, alors rien n’indiquait que je serais un jour amené à me former à la santé mentale. Je suis un employé de bureau qui passe ses journées derrière un écran d’ordinateur, la tête plongée dans la programmation. On est assez loin des questions de santé ou de psychologie. En revanche, j’ai la chance d’être membre du CSE, ce qui m’amène parfois à écouter les salariés dont le moral n’est pas au beau fixe, ou qui rencontrent des problèmes au travail. Et dans ma vie privée, je pense tout de même avoir une petite sensibilité pour les questions de santé mentale : j’ai suivi une thérapie pendant quelques années et accompagné des proches dans les leurs. Alors, quand l’opportunité de suivre une formation de secouriste en santé mentale s’est présentée, j’ai tout de suite été partant.

« L’opportunité » s’appelle Joséphine. Cette collègue, avec laquelle je n’avais pas beaucoup de contacts à l’époque, a décidé de devenir formatrice PSSM en parallèle de son activité de salariée. C’est dans ce cadre qu’elle a proposé à mon entreprise d’inviter les employés volontaires à suivre une de ses sessions de formation. Je me suis donc inscrit, avec quelques collègues, en espérant pouvoir ajouter une corde à mon arc, notamment pour mon rôle au CSE.

Dans la session à laquelle j’ai participé, qui s’étalait sur deux journées entières, nous étions une quinzaine de participants. Parmi eux, des collègues, dont certains m’étaient proches et d’autres un peu moins, mais aussi des membres d’une association d’insertion de personnes en situation de handicap, dont les locaux hébergeaient notre session. On ne se connaissait donc pas tous, loin de là. Et pourtant tout s’est formidablement bien passé.

La formule A.É.R.E.R

Voici comment s’est déroulée la formation. Après une courte introduction, pendant laquelle notre formatrice s’est présentée et a refait l’historique de PSSM France. Nous avons appris que l’association n’existait que depuis 2018, et qu’elle tirait ses origines d’un organisme australien du début des années 2000, aujourd’hui nommé Mental Health First Aid, et qui vise à démocratiser les connaissances et bons réflexes en santé mentale à travers le monde. Chaque participant s’est également présenté en quelques mots. Nous sommes ensuite entrés dans le vif du sujet : les troubles de la santé mentale. Je dois avouer que je m’attendais à un contenu assez scolaire, une formatrice, un PowerPoint et nous qui prenons des notes. Finalement, j’ai été surpris par l’approche très humaine, basée sur la discussion et l’action. La session était découpée en une petite dizaine de modules, chacun abordant une grande famille de troubles de la santé mentale, comme les troubles alimentaires, les idées noires ou encore la dépression.

Tous les modules se déroulaient selon un même plan. Pour une entrée en douceur dans le sujet, nous regardions une courte vidéo dans laquelle deux personnages fictifs discutaient. Il pouvait s’agir de deux voisins, de collègues, d’un frère et une sœur… Les situations étaient assez variables. L’un d’eux présentait des symptômes du trouble étudié, tandis que l’autre réagissait à certains signaux plus ou moins correctement. À la fin de la vidéo, la formatrice enchaînait sur un temps d’échange et d’explications. Nous discutions alors ensemble de la scène que nous venions de visionner, en relevant ce qui nous avait surpris ou intéressé dans la réaction des personnages. Le dialogue était libre et sans jugement.

Ensuite, Joséphine, notre formatrice, faisait la description médicale de la famille de trouble étudiée, en se basant sur un livret distribué en début de session. Cela m’a permis de mieux connaître les caractéristiques propres à chaque type de trouble. Pour donner un peu de relief à cette partie qui était assez théorique, nous étions encouragés à partager nos expériences personnelles. Celles et ceux qui avaient connu une situation similaire à celle de la vidéo ou un proche souffrant du même trouble pouvaient nous faire part de leur histoire, et le groupe l’aidait à comprendre comment il ou elle aurait pu réagir.

Puis nous avons consacré le dernier temps du module à une mise en application du plan d’action à la base de tout notre apprentissage de secouriste. Il s’agit de 5 étapes à suivre, dont l’ordre est facile à retenir grâce à un moyen mnémotechnique basé sur l’acronyme A.É.R.E.R., qui vaut pour « Accompagner », « Écouter », « Réconforter », « Encourager » et « Renseigner ». L’exercice se présentait sous la forme d’un jeu de rôle. L’un des participants se mettait dans la peau d’une personne en situation de trouble de santé mentale tandis qu’un autre tentait de lui venir en aide en déroulant le plan d’action A.É.R.E.R. Je n’ai jamais été un bon acteur, mais c’était fait dans la bienveillance alors cela n’a pas été un exercice trop difficile. D’autant plus que nous n’étions pas abandonné à notre tâche ! Ceux qui jouaient la personne en souffrance disposaient d’un script pour essayer d’être réalistes et les secouristes étaient quant à eux toujours soutenus par le groupe, qui leur venait en aide lorsque cela était nécessaire.

Une expérience enrichissante

Le résultat, c’est que je suis ravi d’avoir suivi cette formation ! J’ai passé un très bon moment, dans un espace où la bienveillance et la transparence étaient totales. Même lorsque certain.e.s disaient des choses surprenantes, je n’ai jamais vu aucun sourire narquois ni senti de jugement de la part du groupe. Lorsqu’on ne se sentait pas à l’aise avec un sujet en particulier, comme le suicide par exemple, qui peut être difficile à gérer si on en a été affecté au cours de sa vie, on était autorisés à quitter la salle le temps de la discussion, sans avoir à se justifier. Et puis, parler aussi librement et longuement de ces questions, c’est quelque chose que je n’avais jamais expérimenté avant et que je n’ai pas revécu depuis. La santé mentale est encore un tabou dans notre société et le fait de pouvoir en parler en partageant nos propres expériences nous a permis de créer un lien fort. J’ai même sympathisé avec des collègues que je n’aurais pas eu le plaisir de connaître autrement.

J’ai découvert énormément de choses sur les troubles existants, et deux ans après la session je me sers toujours du guide de 150 pages qui venait avec la formation. Dans ma vie personnelle, mais aussi au travail, j’ai appris à écouter différemment, à être dans un état de veille permanent. Désormais, je suis plus attentif à ce que j’appelle les « bruits faibles ». Ce sont ces éléments de langage, ces mots clés qu’on rencontre chaque jour mais qui en disent long sur l’état mental d’une personne.

Retour à la réalité

Au niveau professionnel, la formation m’a forcément apporté un plus dans mon approche du management. Personnellement, je n’ai jamais été obsédé par les chiffres ou les résultats. Ce qui m’intéresse, c’est l’humain. Mon but, c’est de permettre à mon équipe d’être dans les meilleures dispositions possibles pour faire son travail. Et ce que j’ai appris pendant ces deux jours m’aide beaucoup dans mes relations, par l’écoute que je peux offrir aux membres de ma team et ma capacité à anticiper ce qui pourrait venir les perturber. Avec ma casquette de membre du CSE, j’ai aussi pu accompagner un salarié qui souffrait de harcèlement en dehors du travail. Cela s’est bien passé et mon collègue a réussi à surmonter cette épreuve. Même lorsque la source de mal-être est extérieure à l’entreprise, le malheur se manifeste partout, à la maison comme au bureau, et le travail est aussi là pour servir de soutien émotionnel dans les moments difficiles. C’est en tout cas ma manière de voir les choses.

Peu de temps après la formation, le destin a voulu que je me retrouve face à une personne qui traversait une vraie mauvaise passe et qui avait des tendances suicidaires. Sans la formation, je n’aurais pas su gérer cet appel à l’aide. Je n’aurais pas réussi à adopter la bonne écoute ni à trouver les bons mots. Par exemple, avant de devenir secouriste, je ne savais pas du tout que dans ce genre de situations le sujet de la mort devait être abordé sans attendre et sans détour. On est souvent freiné par peur de donner des idées ou d’encourager un passage à l’acte, mais en fait c’est tout le contraire. Dépasser le tabou du suicide permet de se rendre compte du niveau de gravité de la situation et de se positionner en conséquence. C’est sans doute ce qui a sauvé cette personne au bord du gouffre lorsqu’elle est venue solliciter mon aide.

Plus récemment, j’ai aussi pu soutenir le jeune fils d’une amie qui a eu le malheur de découvrir le corps de son père après qu’il se soit donné la mort. En reprenant la méthode A.É.R.E.R. nous sommes allés à son rythme, c’est-à-dire en attendant qu’il se sente prêt à nous en parler. Aujourd’hui, c’est un adolescent comme les autres malgré cette terrible épreuve qui a bouleversé sa vie. Je suis heureux d’avoir pu l’aider et reconnaissant de ce que la formation PSSM m’a apporté. Au passage, notre formatrice nous a aussi appris à nous protéger nous-mêmes. Car lorsqu’on accompagne des gens en souffrance, cela peut être traumatique, et il est primordial de penser également à sa propre santé mentale.

Je suis heureux d’avoir pu suivre cette formation de secouriste en santé mentale. Au-delà du super moment passé pendant ces deux jours, c’est une expérience qui a profondément changé ma vie et qui est bénéfique à tout le monde : à ceux que je peux aider et à moi-même. Il n’y a que du bon à prendre et ce sont des sujets sur lesquels nous devrions tous en connaître davantage. Nous avons plus de pouvoir que nous le pensons sur le bien-être des autres, et j’ai compris que l’écoute et la discussion peuvent vraiment sauver des vies.

Article écrit par Alexandre Nessler, édité par Manuel Avenel, photgraphie par Thomas Decamps.

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