Covid long : une bombe à retardement pour les travailleurs et les entreprises
22 mar 2024
6 min
Le Covid-19, c’est fini ! C’est du moins l’impression qui plane en France et dans le monde du travail depuis que les protocoles sanitaires ont été supprimés par le gouvernement en 2022. Pourtant, plusieurs scientifiques, économistes et associations de patients à l’international s’accordent pour dire que le Covid long est une bombe à retardement pour les travailleurs et les entreprises. Explications.
Auparavant contractuelle pour l’État, Pauline est désormais sans emploi. Âgée de 44 ans, son Covid long rythme son quotidien depuis le début de la pandémie. Aujourd’hui, ses deux enfants et elle vivent avec les 900 euros de son AAH (Allocation aux adultes handicapés) dont elle attend encore le renouvellement. « J’ai des problèmes neurologiques, respiratoires, musculaires, etc. Je ne suis plus en arrêt maladie et je n’ai pas d’ALD (Affection longue durée). Mon chômage va bientôt se terminer. Sans AAH, je serais au RSA, mais je préfère vivre sans rien que d’aller bosser quinze heures gratos pour l’État », déplore-t-elle dans un rire jaune.
Cette réalité, c’est celle de la plupart des patients affectés par un Covid long dont la prise en charge est jugée « insatisfaisante » dans un rapport du Comité de Veille et d’Anticipation des Risques Sanitaires (Covars). Dans une étude réalisée entre septembre et novembre 2022, Santé Publique France estimait déjà la prévalence du Covid long à environ 2 millions de personnes dont 30 % subissaient un impact fort ou très fort sur les activités quotidiennes. Selon le Covars, les coûts du Covid long risquent d’être élevés, notamment pour le marché du travail.
Fragilité, errance médicale et séquelles
Dans la revue Science, l’épidémiologiste Ziyad Al-Aly et le cardiologue Eric Topol décrivent le Covid long comme une maladie multisystémique qui impacte tout le système organique et qui ne concerne pas uniquement les personnes fragiles. Sur ce dernier point, Chiara, membre de l’Association pour la Réduction des Risques Aéroportés (ARRA), estime que la fragilité est un spectre qui nous concerne tous car « les personnes fragiles à 0 % n’existent pas ». « Le risque de Covid long peut toucher tout le monde : adultes, enfants, et même ceux sans facteurs de risques », renchérit Mylène Rahel Damamme, co-fondatrice d’#ApresJ20, l’association du Covid long en France. En l’absence d’un diagnostic biologique et d’un traitement, les multiples symptômes, présents depuis au moins quatre semaines et qui peuvent persister au-delà, restent difficiles à mettre en évidence, ce qui mène souvent à de l’errance médicale.
Si la fatigue et le brouillard cérébral sont souvent mentionnés, Ziyad Al-Aly a signalé dans The Guardian des « conditions chroniques qui vont littéralement laisser une cicatrice à vie », notamment sur les plans neurologique, cardiovasculaire et respiratoire. D’où son inquiétude partagée avec Eric Topol sur le danger que représentent les réinfections, même « légères ». À cela s’ajoute la persistance virale du SARS-CoV-2 dans l’organisme qui serait due à « des anomalies du système immunitaire » selon une étude de l’Inserm et l’Université Paris Cité.
Le Covid long pèse sur la productivité et l’emploi
Aux États-Unis, la calculette a déjà été dégainée : le coût du Covid long est estimé à 3 700 milliards de dollars sur cinq ans. En France, le Covars indique que les coûts sont « difficilement chiffrables mais incontestablement élevés ». Seulement, les effets se ressentent déjà car le comité note qu’avec « des salariés absents ou moins productifs », des dirigeants font part d’une préoccupation croissante « qui ne semble pas avoir été considérée à l’échelle des autorités sanitaires ».
Baisse de la productivité, pénuries de main d’œuvre et hausse de l’inactivité, tels sont les risques qui planent sur le marché du travail. D’après une étude internationale réalisée en 2021, sur une période de sept mois « 27 % des personnes souffrant de SPC (Syndrome Post-COVID-19, nom donné au Covid long par l’OMS, ndlr) travaillaient autant d’heures qu’avant de contracter le SPC » et « 23 % […] ne travaillaient plus du fait de leur pathologie ». En 2021, l’Institute for Fiscal Studies a estimé que le Covid long a entraîné « une perte de 4,4 millions d’heures de travail par semaine au Royaume-Uni ». Et aux États-Unis, la Brooking Institution a estimé qu’en 2022, sur 10,6 millions d’emplois vacants, 15% étaient potentiellement dûs au Covid long.
Une vague d’incapacité de grande échelle
Du côté des malades, les conséquences sont d’autant plus délétères. En 2021, une étude réalisée sur 1 000 patients en France a montré que « 48 % estiment ne plus être en mesure de réaliser certaines activités comme la conduite automobile ou les tâches ménagère ». Ces difficultés, Pauline ne les connaît que trop bien : « Je ne peux pas faire mes courses, prendre la voiture, et emmener mes enfants à l’école mais on me demande de retourner au travail ? C’est inconcevable. »
Aux États-Unis, entre 2021 et 2022, le nombre de personnes handicapées travaillant ou cherchant un travail a augmenté de 23 %, en partie à cause du Covid long. « À chaque infection, on peut passer de la catégorie valide à invalide », s’inquiète Solenn, co-fondatrice de Winslow Santé Publique. À 42 ans, Cécile (1), ancienne infirmière libérale à domicile, essaye tant bien que mal de retrouver un emploi mais ses contaminations à répétition l’ont handicapée et précarisée. L’an dernier, elle a été forcée de vendre sa maison. « J’aimerais obtenir une RQTH, mais la partie administrative est laborieuse. Ça demande trop d’énergie, d’autant plus qu’on est mal informé sur les démarches », déplore-t-elle. Mais pour Pauline, même les aides ne suffisent pas : « Avoir un travail aménagé, c’est le parcours du combattant. Tout le monde s’en fout de la RQTH. Même France Travail est à la ramasse quand on parle de handicap. »
Alors que le Covid long peut être reconnu comme un handicap outre-Atlantique depuis 2021, il n’est toujours pas référencé comme une ALD spécifique en France et la plateforme de recensement des malades promise depuis début 2022 par le gouvernement n’est toujours pas là. Des retards qui interrogent face à « la plus grande vague d’incapacité de l’Histoire de l’humanité » qui connaît actuellement un rebond aux États-Unis. Chez nos voisins allemands, le Ministre de la Santé prend lui le risque du Covid long très au sérieux, et se réjouit que les employeurs soient encore tenus responsables en cas d’infections de leurs salariés.
Des initiatives isolées dans un monde du travail à la traîne
Mylène Rahel Damamme, de l’association #ApresJ20, est malade depuis quatre ans mais toujours en poste. Victime de malaises post-effort, elle a dû s’adapter : « J’ai adopté la technique du pacing pour planifier, fractionner, prioriser mes tâches et éviter les activités énergivores. » Mais ce qui a surtout changé sa vie de salariée, c’est qu’en tant que responsable du reporting de durabilité au sein de Decathlon, elle a pu sensibiliser le groupe entier à la problématique du Covid long. « Mes responsables et la Mission Handicap de Decathlon ont fait preuve d’une solidarité à toute épreuve, notamment pour ma demande de RQTH. Ils se sont montrés flexibles en facilitant mon retour avec des phases étendues de télétravail. Une journée de sensibilisation a même été instaurée le 21 juin ! »
En France, Decathlon fait figure d’exception. Le Covid long est bien loin d’être inscrit dans les priorités des entreprises. Pourtant, le Covars indique que dans un sondage réalisé en 2023, la moitié des médecins du travail interrogés le considèrent comme « un réel problème de santé au travail » et la Société Française de Santé au Travail estime que le retour en entreprise est freiné par « le scepticisme des employeurs et des collègues et par l’absence de politique de management du SPC dans la majorité des entreprises ». Les syndicats sont aussi à la traîne. « Il y a des exceptions comme le STJV (le Syndicat des Travailleurs et Travailleuses du Jeu Vidéo ndlr.) qui communique sur le sujet et a un protocole sanitaire pour leurs événements. Sinon, c’est un peu le désert », reconnaît Florian, membre de l’ARRA.
Quelles solutions face au virus ?
Des mesures existent pour que les entreprises s’adaptent aux malades et limitent les infections, car comme l’explique Chiara de l’ARRA : « Tout ce qui se passe dans les entreprises n’est pas séparé du reste de la société. » L’association #ApresJ20 a publié une page sur le Covid long au travail s’appuyant sur des préconisations internationales, dont deux guides réalisés par l’Agence Européenne pour la Sécurité et la Santé au travail (AESST) : un pour les travailleurs et un autre pour les employeurs. Parmi les mesures recommandées par l’AESST : accorder plus de flexibilité mais surtout, renouer avec la distanciation sociale et le port du masque.
Autre piste, l’amélioration de la qualité de l’air en intérieur, dont l’efficacité a déjà été prouvée face à la transmission par aérosols du SARS-CoV-2. Une mesure souvent jugée coûteuse. Pourtant, à l’international, des études tendent à démontrer que les bénéfices dépassent les coûts, parfois très largement. Aux États-Unis, où le gouvernement incite les entreprises à agir, une amélioration de la qualité de l’air en intérieur permettrait un retour sur investissement jusqu’à 800 dollars par employé par an.
Être inactif dans une société où « travailler est un devoir »
Cet hiver, le Covid-19 circulait encore activement dans l’Hexagone. Des travailleurs et travailleuses, comme Pauline et Cécile, ne sont plus en capacité de travailler. Pourtant, les récents signaux envoyés par le gouvernement inquiètent associations, malades et personnes handicapées : contrôles renforcés des arrêts maladies, délais de traitement trop longs pour les demandes de RQTH et de AAH, économies envisagées sur les ALD, réforme du RSA, etc. Dans une société où « travailler est un devoir », il convient de se demander ce qu’il advient des personnes jugées « improductives ». Pessimiste, Cécile s’inquiète de la suite : « On a l’impression d’être proche de la fin de vie. D’ailleurs, on se sent presque concerné par le sujet de l’euthanasie et du suicide assisté. Ce n’est pas très jovial, mais c’est la réalité. »
(1) Le prénom du témoin a été modifié pour préserver son anonymat.
Article écrit par Etienne Brichet et edité par Clémence Lesacq - Photo Thomas Decamps pour WTTJ
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