« Green RH » : il est temps pour la fonction RH de faire sa révolution verte
16. 12. 2024
9 min.
Les ressources humaines n’ont désormais plus le choix : elles doivent être au cœur de la révolution verte. Pour la première fois, un guide propose de les accompagner dans tous les détails de cette transformation : « Green RH » (Éditions Dunod, 2024).
Pour un ouvrage aussi dense, entre positionnements stratégiques des entreprises, tutoriels d’application et cas d’entreprises détaillés et augmentés par QR codes, il fallait bien une triple expertise. Les trois auteurs ne sont autres qu’Olivier Meier, professeur des universités et fondateur de l’Observatoire ASAP « Action Sociétale et Action Publique », Antoine Poincaré, directeur de la Climate School d’AXA Climate et Michel Barabel, maître de conférences à l’université Paris-Est-Créteil. Rencontre avec ces deux derniers.
Votre livre Green RH pose l’idée que la fonction RH doit être la pierre angulaire de la transformation et de l’adaptation des entreprises aux dérèglements climatiques. Pourquoi ?
Michel Barabel : À partir du moment où nous allons entrer dans des stratégies d’adaptation aux changements climatiques, voire de lutte contre ces changements, le cœur du réacteur ce sera celles et ceux qui constituent l’organisation. Dès qu’on parle de changements de comportements, de culture, d’organisation, voire même de business, les principaux acteurs –et éventuellement les freins– de cette transformation sont les travailleurs, les managers, les dirigeants. L’humain est concerné, c’est donc la fonction RH, en copilotage avec le Comex et la RSE, qui doit créer la désirabilité de ces changements, et les orchestrer.
De longue date, les entreprises n’ont évolué sur le sujet que parce qu’il y avait de nouvelles lois et normes contraignantes, et certaines le font encore pour ces raisons… Pourtant, vous expliquez que les entreprises ont tout intérêt à être proactives et à innover.
Antoine Poincaré : C’est compliqué car elles n’ont pas forcément tout à y gagner, justement. C’est un pari de savoir quelle va être l’inflation réglementaire et/ou les changements de comportement des utilisateurs finaux… Mais si on regarde au lointain, les enjeux sont tellement énormes que l’entreprise doit, en tout cas, être en capacité de bouger très vite. Image, baisse de consommation… Les risques sur ces sujets sont nombreux. Et il arrivera un moment où l’on donnera un prix au carbone, voire aux externalités négatives sur l’environnement –comme la consommation excessive d’eau– : ce jour-là, cela se reflétera sur la compétitivité des entreprises.
M. B. : Aujourd’hui, les entreprises sont focalisées sur des priorités à court terme : le pouvoir d’achat, les soubresauts politiques… Mais celles qui ne prendront pas le virage « vert » risquent de se prendre un mur monumental, car on voit bien que la dégradation de l’environnement et du climat suit une courbe exponentielle, et cela n’est pas prêt de s’arrêter.
Une fois le constat posé, la fonction RH doit donc être considérablement transformée, et même devenir exemplaire sur le sujet. Comment s’y prendre ?
M. B. : Si on veut que l’ensemble de l’organisation réduise son empreinte carbone, à tous les niveaux des filières, services, métiers, individus… il faut que les politiques RH, la façon dont elles sont construites et déployées, aient l’empreinte carbone la plus faible. Il faut que les RH prouvent qu’on peut faire de la formation frugale, recycler des contenus, se poser les questions de l’intérêt d’un dispositif de formation, se raisonner sur tous les usages… L’exemplarité vient d’une approche congruente du sujet : décider d’être une fonction exemplaire, c’est l’être dans sa marque employeur, son recrutement, ses politiques de formation, son système de management de la performance, la rémunération, les compétences vertes… Rien ne doit se contredire.
Une des politiques RH les plus impactées par la prise de conscience écologique est le recrutement. Est-il désormais obligatoire d’avoir une marque employeur verte si l’on veut recruter ses nouveaux talents ?
A. P. : Aujourd’hui, aucune entreprise n’est irréprochable, loin s’en faut. Et celles qui tireront leur épingle du jeu –on propose dans l’ouvrage une méthodologie pour le faire– seront celles en capacité d’accepter réellement leurs dissonances, ce qu’elles font de bien ou de mal pour l’environnement. Il faut avoir le courage de faire son audit vert et, lors d’un entretien par exemple, pouvoir dire au candidat : « Sur le sujet de l’eau on a beaucoup travaillé, on est en avance sur nos concurrents ; par contre sur la pollution plastique nous ne sommes pas encore à nos objectifs. » C’est ça la marque employeur verte de demain, ne pas juste afficher un discours ultra-positif comme on peut le lire dans un rapport RSE.
Après, il faut rester objectif : certains sondages affirment que les travailleurs recherchent en priorité des entreprises « vertes », mais les DRH à qui l’on parle voient encore souvent en priorité des demandes sur le salaire, le télétravail, les avantages… loin devant les politiques environnementales. Aujourd’hui, l’argument vert ne fonctionne que pour une partie du marché du travail. Il faut ainsi voir les opérations « activistes » qui ont lieu sur les campus de Polytechnique ou d’HEC : ce sont ces étudiants et futurs diplômés très employables qui sont concernés. Si les entreprises veulent continuer à attirer des talents issus des plus grandes écoles, elles doivent bouger sur ces sujets, c’est une évidence stratégique.
Les équipes RH sont-elles prêtes, lors des recrutements, à répondre à ce genre de public exigeant ?
M. B. : Non, et c’est une partie importante de notre ouvrage : il y a un vrai enjeu de formation des recruteurs. Avant de pouvoir parler de manière honnête devant un candidat, il faut déjà avoir un bon niveau de connaissance de ces sujets. Il faut donner accès aux recruteurs aux chiffres clés au sein de l’entreprise, par rapport à leur secteur. C’est un investissement important, mais qui sera bénéfique rapidement et à très long terme.
A. P. : Si les équipes RH ne sont pas formées à ces questions ou semblent les minimiser, le risque réputationnel est fort. On n’est pas à l’abri que le candidat ressorte et en parle autour de lui, sur les réseaux par exemple. On peut faire un parallèle avec les politiques de parité. Depuis dix ans, on n’imagine plus un recruteur faire l’impasse sur la parité au prétexte qu’il a d’autres sujets prioritaires ! La seconde chose, c’est que la réglementation européenne qui arrive, la CSRD (directive relative à la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises, ndlr), va rendre transparentes et donc comparables les données environnementales et sociales des entreprises. Demain, les candidats seront d’autant plus connaisseurs et alertes sur ces sujets. Par ailleurs, nous ne sommes pas à l’abri que des services se montent, à la Glassdoor, sur l’impact des entreprises, avec de vrais rating de notes.
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Vous parlez également de l’importance de « verdir les fiches de poste ». Qu’entendez-vous par là ?
A. P. : C’est intégrer la dimension « environnement » dans chaque métier. Pour cela, il faut se poser la question de l’impact de la transition, à l’échelle de chaque famille de métiers. On en parlait pour le chargé de recrutement : c’est ajouter à ses fonctions le fait d’être en capacité de répondre aux questions d’un candidat sur la politique environnementale de l’entreprise, par exemple. Pour un profil Tech, ce sera peut-être maîtriser des techniques low tech.
M. B. : Finalement, c’est rajouter des connaissances, compétences et comportements sur chaque fiche de poste. À ce propos, LinkedIn a dévoilé une vaste enquête démontrant que les candidats qui présentaient des compétences vertes augmentaient de manière considérable leur employabilité (1,5 fois de chance d’être recruté, ndlr). Ce qui montre bien que les boîtes anticipent déjà ces transformations et cherchent à recruter pour verdir leur organisation.
Au-delà de la simple fonction RH, vous expliquez que chaque salarié devra bientôt être éduqué sur ces sujets-là. Est-ce un vœu pieu ?
A. P. : L’idée qu’il faut former tous les collaborateurs est arrivée en France par la Fresque du Climat. Aujourd’hui, beaucoup d’entreprises l’ont faite, mais avec deux limites : une limite de faisabilité (difficile de bloquer des demi-journées de travail pour tout le monde, problème des équipes à l’international) et de l’autre côté, une limite d’applicabilité (le but était d’expliquer le rapport du GIEC, mais sans expliquer comment agir). C’est là que nous, à la Climate School, sommes arrivés pour répondre à ces problématiques. Nous avons donc développé une formation en ligne et en multiples langues, et nous expliquons ce que l’adaptation environnementale peut signifier pour une boîte, pour un métier, avec chaque enjeu spécifique. Ce parti pris de former tout le monde est désormais admis quasi partout en France, à commencer par les grosses entreprises du CAC40.
M. B. : En France, il y a cette particularité culturelle, une certaine méfiance de la hiérarchie, qui fait qu’on a besoin de faire converger l’ensemble des collaborateurs sur un diagnostic et un lexique communs. Pour éviter les polémiques, il faut que les plus sceptiques comme les plus éco-conscients partagent une même vision. C’est le préalable pour pouvoir lancer des actions, en évitant les résistances variables en fonction de l’idéologie ou de la vision qu’on a du sujet.
Comme exemple de grande entreprise qui a entrepris d’éduquer l’ensemble de ses collaborateurs et collaboratrices sur sa situation et ses actions, vous citez le Groupe Total et son guide interne, intitulé « Un dîner presque parfait ».
A. P. : Oui. TotalEnergies a édité ce guide, qui contient les éléments de langage que doit connaître chaque collaborateur dans sa vie privée. Cela a été pensé au moment des fêtes de Noël, pour pouvoir réagir à l’oncle ou la tante qui vous attaquerait sur le fait que vous travaillez pour une entreprise « trop polluante »… Je pense que l’idée de publier ce genre de guide pour une entreprise est plutôt une bonne pratique. Toute la différence ensuite sera entre les organisations qui ont un discours équilibré et proche de la réalité physique et économique, et celles qui en feront uniquement un outil de promotion.
M. B. : Ce qui est intéressant ici, c’est que si certaines entreprises se lancent dans ce genre de projet, c’est que leurs collaborateurs ont fait remonter leur gêne voire leur mal-être du fait d’être challengés sur leur emploi dans leur vie personnelle. C’est donc un vrai sujet de fidélisation et de rétention.
Les incidences de l’éco-anxiété sur la santé mentale sont désormais étudiées, et l’on sait qu’elles peuvent nuire à la productivité et donc aux entreprises par ricochet. Vous, vous proposez de transformer cette éco-anxiété en levier d’action pour les organisations. Mais comment faire ?
M. B. : Ce qui génère l’éco-anxiété, ce sont les postures passives : quand les individus se disent que tout va mal, qu’on n’y peut rien et donc n’agissent pas. La première chose à faire pour une entreprise est d’écouter ces salariés, les aider à partager ce qu’ils ressentent. On sait que le fait d’exprimer une émotion négative, c’est déjà la réduire de 50 %. La deuxième chose est qu’il faut le bon moteur de transformation, celui qui dit qu’on croit en un avenir meilleur, bien qu’on ait conscience des immenses difficultés à venir. Et pour aller vers cet avenir, il faut mettre les personnes en position d’acteurs, en valorisant leurs compétences et en les projetant vers des solutions. Par petites victoires, cela remontera les niveaux d’espoir, de confiance, de résilience et leur donnera envie de s’investir encore plus fortement.
Vous dites que le management traditionnel ne permettra pas la transition verte. Pourquoi ?
M. B. : Le management traditionnel, avec ces figures de managers tout-puissants, a été inventé au cœur de la seconde révolution industrielle pour accompagner un modèle de développement des organisations avec toujours plus de croissance, peu importe les externalités négatives envers la planète et les générations futures. Ce manager, qui s’exprime dans des organisations extrêmement descendantes et silotées, est totalement incompatible avec des modes frugaux, intuitifs, avec les idées collectives. Il faut une nouvelle figure, que nous appelons « l’éco-leader » qui privilégie une performance durable pour l’ensemble des parties prenantes, dont la planète. On voit ainsi des entrepreneurs comme Sylvain Breuzard de Norsys, qui vient d’intégrer la nature dans son board comme l’un de ses actionnaires.
Dans une organisation qui voudrait réellement engager tous ses collaborateurs dans le mouvement green, vous insistez sur l’importance du « bottom-up », ou le fait de faire appel à tous les salariés qui pensent déjà ces sujets. Vous évoquez ainsi les « collectifs engagés ». Comment l’organisation peut-elle s’articuler avec eux ?
A. P. : Ces collectifs de collaborateurs engagés émergent souvent naturellement dans les entreprises. Et leur statut est flou : ils ressemblent à un corps intermédiaire, sans être élus. Moi, ma recommandation numéro une serait que les RH reçoivent les leaders de ces collectifs et dialoguent avec eux. Mais il ne s’agit pas de vouloir noyauter le mouvement, comme si on en avait peur et qu’on voulait le contrôler. Pour avoir rencontré beaucoup de ces collectifs, ce qui est intéressant c’est que souvent ce ne sont pas des mouvements simplement contestataires, mais des individus qui veulent proposer des solutions pour l’entreprise, ou parfois juste échanger entre eux sur leurs bonnes pratiques personnelles.
En conclusion, vous espérez que votre ouvrage (et toutes les initiatives d’entreprises qu’il répertorie) soit bientôt obsolète, car ce serait la preuve que les avancées se multiplient pour l’environnement. Depuis que vous avez envoyé votre livre sous presse, en mars 2024, les lignes ont-elles bougé ?
A. P. : Globalement, on voit plutôt des tendances méta de retour en arrière, comme le recul de la Directive CRSD, car les enjeux de pouvoir d’achat et économiques priment sur le climat. Mais a contrario, on observe dans les entreprises de vraies prises de conscience et initiatives. Un phénomène micro que j’aime bien pour illustrer ça c’est la tendance qui émerge des « temps de trajet responsables », ou l’idée d’offrir des journées de congés supplémentaires à un salarié qui utilise un moyen de transport bas carbone pour ses vacances. Cette politique a eu un fort écho médiatique récemment et tente même désormais les DRH des grands groupes. Il faut espérer que les choses avancent, mais aujourd’hui ce sont les entreprises qui sont les actrices du mouvement.
Article écrit par Clémence Lesacq Gosset et édité par Ariane Picoche, photo Thomas Decamps pour WTTJ
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