Ménopause : ce tabou qui pénalise toujours la carrière des femmes
02. 11. 2023
6 min.
Si les entreprises ont su progressivement intégrer des démarches en faveur des règles et de la maternité à leur politique de qualité de vie au travail, la ménopause reste à la traîne. Un manquement crucial, alors que les symptômes peuvent impacter de façon durable le quotidien professionnel des femmes.
La ménopause, grande absente des politiques de RSE ? À l’évidence oui, du moins en France. Malgré l’écho croissant que connaît la journée mondiale de la ménopause dans les médias le 18 octobre, elle reste l’un des grands tabous dans la sphère de l’entreprise. Pourtant, ouvrir le dialogue et briser les solitudes, dans un espace professionnel trop peu sensibilisé sur la question, est essentiel pour assurer la continuité de la carrière professionnelle des femmes de plus de 50 ans, sans que les symptômes ne deviennent un frein.
Des chiffres et des clichés, mais peu de représentation
Si la prise de parole sur la ménopause a tant de mal à émerger, notamment dans la sphère professionnelle, c’est d’abord en raison du pouvoir des clichés. Comprenez : la cinquantaine n’est pas synonyme de retraite ou de fin de carrière pour les travailleuses. Depuis les années 1990, l’emploi des femmes de 50 à 64 ans ne cesse de croître pour atteindre 64,4 % en 2020, d’après une étude de l’Insee. « Malgré quelques progrès ces dernières années, le taux d’emploi des 55-64 ans est en France l’un des plus faibles de la zone euro. Alors que les réformes successives des retraites exigent des actifs qu’ils cotisent plus longtemps pour toucher une pension digne de ce nom, les employeurs, eux, se refusent à les valoriser », constate Laetitia Vitaud.
Dans les esprits, la fin des règles est donc à dissocier de la longévité de la carrière professionnelle. Or, à date, sa perception n’est pas franchement positive. En 2023, 35 % des Français pensent que la ménopause a un impact dans le cadre professionnel, et 28 % estiment que celui-ci est négatif, d’après l’étude de la MGEN et de la Fondation des Femmes menée par Kantar. « Si le tabou de l’âge touche aussi les hommes, il est incomparablement plus violent chez les femmes, car l’âgisme envers elles se double de sexisme. Même leur apparence physique peut être un frein plus fort à l’embauche. Or, c’est précisément parce que ce vivier des femmes de 45-65 ans est tellement sous-exploité – y compris celui des plus diplômées – qu’il pourrait représenter, pour les entreprises qui s’y intéressent, des opportunités extraordinaires », renchérit encore l’experte en futur du travail.
S’ajoute à la problématique de la considération de la ménopause un défaut de représentation. En 2016, Sophie Dancourt lance son média J’ai Piscine avec Simone, pour documenter le cruel manque de représentation des femmes actives de plus de 50 ans. « Plus je travaillais sur le sujet, plus j’ai compris qu’il impliquait des problématiques sous-jacentes au rôle-modèle : comment sortir du jeunisme quand on ne propose aucune visibilité à des femmes qui vieillissent ? Le vieillissement est un sujet politique, intime et économique, mais aussi un problème genré : il diffère pour les femmes et les hommes. À l’âgisme s’ajoute le sexisme pour les femmes, et cela est induit par l’arrivée de la ménopause autour de la cinquantaine. C’est un état physiologique qui pénalise les femmes par le regard que la société porte sur cette période de vie », pose cette spécialiste.
Des préjugés nourris par le silence
Comment parler de la ménopause quand le sujet est encore considéré comme privé, voire tabou ? Quand l’absence de communication et d’information nuit à sa bonne appréhension ? « Certaines femmes vivent la ménopause comme une libération, mais je constate que cela s’opère aussi dans beaucoup de solitude. Les femmes ne sont pas informées », souligne Sophie Dancourt. Même constat pour Aude Hayot, la créatrice du podcast La fin des règles : le silence est de mise lorsqu’il s’agit d’aborder la ménopause. Bien qu’ayant rencontré un vif succès en mettant en lumière le rapport des femmes par rapport à cette période de leur vie, la podcasteuse fait face à certaines réticences, notamment lorsqu’il s’agit de trouver des interlocutrices. « Les femmes abordent rarement le sujet, voire l’évitent », remarque-t-elle.
Son projet naît du constat de l’absence d’informations claires sur le sujet, au sein du corps médical comme dans son entourage. Le débat outre-Manche sur l’instauration d’un congé ménopause la convainc de la nécessité de libérer la parole. Suite à l’initiative inédite de Channel 4 d’instaurer une politique interne dédiée en 2019, le gouvernement britannique s’empare de la question pour proposer le vote d’une loi au Parlement (finalement rejetée en janvier dernier). « J’ai été impressionnée : ils avaient des chiffres sur la ménopause au travail. Par exemple, certaines femmes refusent des promotions à cause de leurs symptômes. Les chiffres n’existent pas en France et j’ai créé mon podcast afin d’informer les femmes avant que ça leur tombe dessus », rembobine Aude Hayot.
Si le passage de la ménopause n’a pas d’impact sur la longévité de l’emploi, il peut, en revanche, se répercuter sur les perspectives d’évolution de carrière. « La ménopause arrive à un moment paradoxal où les femmes sont au summum de leur expertise, avec une plus grande liberté car elles bénéficient d’une disponibilité plus proche de celle des hommes. Certes, les représentations changent et la société bouge, mais il va falloir infuser ces perspectives au sein des entreprises et on n’y est pas du tout aujourd’hui », souligne Sophie Dancourt. Pour preuve, moins de 10 % des Français estiment que la ménopause est un sujet d’entreprise, comme le pointe l’étude de la MGEN et de la Fondation des Femmes. Si les objectifs sont hauts, ils ne sont pas inatteignables pour autant selon Aude Hayot : « Si on a été capable de faire exploser le tabou des règles, alors on peut le faire exploser de la même manière avec la ménopause. C’est juste une question de temps. »
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Des symptômes pas toujours faciles à vivre
« La ménopause est un passage obligé d’une très grande inégalité entre les femmes : pour certaines elle est très compliquée, tandis que pour d’autres elle se passe bien. Cela peut, malgré tout, être une étape où l’on est plus vulnérable, et qui va impacter l’estime de soi », explique Judith Castro, co-fondatrice des organismes de formation engagés dans la construction d’un monde du travail plus égalitaire Symbolones et Le BAM Lab. Bouffées de chaleur, trouble du sommeil ou de l’humeur, état dépressif… Les nombreux symptômes peuvent peser sur le quotidien, notamment professionnel. « On situe l’âge moyen de la ménopause à 51 ans, avec des symptômes qui peuvent s’étendre sur plusieurs années. Et il ne faut pas oublier la préménopause qui peut survenir durant la quarantaine. On peut facilement imaginer des femmes affectées par ces symptômes sur une période de temps longue », ajoute-t-elle. D’où la nécessité de décloisonner le sujet de son caractère intime, pour mieux l’intégrer dans les politiques RH au travail.
Et les hommes dans tout ça ? Les seniors masculins sont touchés différemment par les variations d’hormones liées à l’âge. L’andropause désigne une baisse de la testostérone, qui peut être progressive, sur plusieurs années. Elle n’est pas non plus systématique, contrairement à la ménopause : certains hommes ne présentent pas de symptômes. Dans les chiffres, elle touche entre 5 et 10 % des hommes -quand la ménopause, elle, impacte 100 % des femmes passant la cinquantaine. Les initiatives de sensibilisation à la ménopause et d’adaptation du cadre de travail permettraient donc d’équilibrer la balance, en rendant le passage de ce cap plus facile à vivre.
Le tout sans bouleverser l’organisation ou outrepasser les limites que chacun·e se fixe concernant son intimité. « Tant de femmes talentueuses voudraient travailler plus mais sont forcées de s’enfermer dans le dépit et le ressentiment. Parfois dès la quarantaine, certaines d’entre elles apprennent à ne vivre leurs rêves professionnels que par procuration, à travers leur conjoint ou leurs enfants. Beaucoup de celles qui échappent à cette malédiction y parviennent grâce à l’entrepreneuriat, faute de trouver des employeurs prêts à leur donner leur chance. Puisqu’il y a peu d’entreprises qui savent valoriser ce vivier-là, celles qui le feront auront des atouts que la concurrence n’a pas », remarque l’experte Laetitia Vitaud.
Ménopause et politique RH : un équilibre à trouver
« On peut inclure la ménopause à une politique de qualité de vie au travail globale, sans grand bouleversement, ni qu’elle soit stigmatisante, car les femmes n’ont pas forcément envie de parler de ça, considère Sophie Dancourt. Cela passe par un travail plus flexible sur les horaires et le présentiel, ou adapter la charge de travail. » Rien d’extraordinaire pour les organisations, qui ont largement adopté le télétravail depuis la pandémie. Mais avant ces initiatives, l’essentiel est de libérer la parole. « À mes yeux, la présence des hommes peut constituer un obstacle pour libérer la parole sur le sujet dans un lieu de travail. Des groupes de discussion bienveillants entre femmes concernées, où la confiance est déjà installée, pourraient être un contexte de partage plus favorable », soulève Judith Castro.
Avoir une culture d’entreprise suffisamment ouverte, sans stigmatiser les femmes impliquées, est également essentiel pour Aude Hayot : « Les premières étapes, c’est d’annoncer qu’on a une politique dédiée à la ménopause, et de faire de la formation auprès des managers pour qu’ils soient informés sans devenir trop intrusifs. » Justement, en 2023, Axa a lancé son programme WeCare pour accompagner ses salariés à l’échelle mondiale. Il est complété par le dispositif de santé HealthyYou, qui offre des avantages tels qu’une assistance psychologique, des services de téléconsultation, des bilans de santé et une couverture financière minimale en cas de cancer. Il s’enrichit également, cette année, d’un accompagnement dédié aux personnes impactées par les troubles hormonaux.
« Nous allons un pas plus loin pour favoriser un environnement de travail encore plus inclusif aux salariés souffrant de problèmes de santé liés aux menstruations, à la ménopause ou à l’andropause. On se fonde, tout d’abord, sur une forte diffusion d’informations, et complétons cette base de connaissances avec des aménagements de travail explicites pour les collaborateurs concernés. Par exemple, la possibilité de télétravailler toute la semaine pour les individus qui en ont besoin », explique Karima Silvent, la DRH du groupe. Des initiatives qui mériteraient de se généraliser pour assurer l’avenir des entreprises selon Sophie Dancourt : « Ces sujets auront bientôt une répercussion économique sur les entreprises. D’autant plus en France, avec la réforme des retraites de 2023. » Avec l’âge légal de départ à la retraite relevé à 64 ans et les enjeux de rétention des collaborateurs, l’inclusion de la ménopause dans les politiques RH n’est effectivement plus qu’une question de temps.
Article édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps.
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