Ce que La Belle et la bête peut vous apprendre sur la rétention des salariés
31. 1. 2022
3 min.
Un prince transformé en bête, séquestrant une femme pour se faire aimer d’elle et retrouver son apparence humaine… A priori pas très lié au management ! Pourtant, entre rétention, fidélisation et démission, le conte mènerait-il à la marque employeur ?
Je vous vois venir : mais comment ce thème sexiste et violent pourrait-il avoir quoi que ce soit à nous apprendre sur la rétention d’adultes consentant·es en entreprise ? N’est-ce pas un peu comme demander à Barbe Bleue de nous donner une leçon d’empathie ? Ou pour prendre un exemple dans le monde réel, n’est-ce pas comme demander à Monsanto de nous livrer une leçon d’écologie ?
La snob que je suis préfère nettement la version poétique de Jean Cocteau (1946). Mais puisque je me suis fixée le défi de faire cette série d’articles sur les dessins animés, c’est sur la version d’animation de 1991 que je vais fonder mon propos. C’est un défi parce que… je n’ai pas vu ce film étant enfant ! En 1991, pour tout dire, j’avais 13 ans et je ne me sentais pas vraiment concernée par l’univers enchanté des princesses. 1991, pour moi, c’était l’année où, dans un tout autre genre, je suis allée en salle admirer les beaux muscles de la badass Sarah Connor (interprétée par Linda Hamilton) dans Terminator 2.
Rien à voir donc avec l’histoire de la Bête qui, à cause de son apparence, pense qu’elle mettra plus de chances de son côté en gardant une femme prisonnière pour en être aimée. Pas étonnant qu’on ait interprété ce classique comme une illustration du syndrome de Stockholm, ce phénomène psychologique observé dans les années 1970 chez les otages ayant vécu une période prolongée avec leur geôlier, jusqu’à finir par éprouver une sorte d’empathie pleine d’émotions vis-à-vis d’eux.
Quel rapport avec le monde de l’entreprise et la rétention des salarié·e·s me direz-vous ? J’en vois au moins trois :
La rétention ne reflète pas forcément la réussite RH
La rétention, c’est-à-dire le fait que les salarié·es ne partent pas, est généralement présentée comme un objectif stratégique. Mais on oublie souvent de préciser que les organisations qui ont les meilleurs taux de rétention sont souvent celles dans lesquelles les salarié·es sont prisonnier·ères. L’érection de barrières à la sortie, sous la forme de clause de non concurrence, par exemple, est une pratique courante aux États-Unis ; l’assurance maladie y est aussi un moyen de garder les salarié·es prisonnier·ères (une démission vous fait perdre votre couverture).
Quand on reste quelque part, c’est soit parce qu’on y est bien, soit parce qu’on n’a nulle part d’autre où aller. Les organisations qui découragent voire empêchent la mobilité de leurs salarié·es souscrivent à la logique de l’enfermement. Par exemple, il y a peu de mobilité à l’Éducation nationale et beaucoup d’enseignant·es pensent n’avoir nulle part où aller. Si votre employabilité (désirabilité) se dégrade au fur et à mesure des années dans une organisation, alors vous y resterez par la force des choses, mais est-ce vraiment un bien ?
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La fidélisation démarre vraiment lorsqu’on ouvre les portes
Belle se met à aimer la Bête précisément quand elle lui donne sa liberté, la laisse partir avec les moyens de se mouvoir et même des richesses qui lui donnent de l’indépendance. Elle lui offre un miroir qui la garde informée de ce qui se passe au château (et de ses états d’âme). C’est quand elle ne la retient plus que Belle la trouve d’autant plus aimable et qu’elle souhaite regagner le château. Quand elle devient enfin plus sage, la Bête comprend qu’il faut laisser la cage ouverte pour que l’oiseau puisse mieux revenir.
Dans leur livre The Alliance: Managing Talent in the Networked Age, Reid Hoffman (le fondateur de LinkedIn), Ben Casnocha et Chris Yeh expliquent qu’une nouvelle « alliance » doit être développée entre l’entreprise et les salarié·es pour faire d’eux/elles des agent·es libres qui grandissent grâce à leur expérience. Il faudrait, expliquent les auteurs de cet ouvrage, considérer les salarié·es « comme des alliés et non comme des membres de la famille ». Les salarié·es donnent le meilleur d’eux/elles-mêmes au travail. En échange, l’employeur·e les aide à bâtir leur carrière sur le long terme, sans forcément leur faire croire que leur emploi actuel durera éternellement.
Payer ses salarié·es pour qu’ils/elles démissionnent, ça n’est pas absurde
La Bête aurait pu aller encore plus loin et payer Belle pour qu’elle quitte le château. Elle aurait peut-être souhaité y rester avec encore plus d’ardeur. La pratique qui consiste à payer ses salarié·es pour qu’ils/elles démissionnent a été inventée par Zappos, une startup de vente de chaussures fondée en 2009 par le légendaire Tony Hsieh. Après une expérience immersive d’une semaine complète, Zappos offrait une prime de départ aux nouvelles recrues. « Si vous démissionnez aujourd’hui, nous vous rétribuerons pour les heures de travail effectuées et nous vous offrons de surcroît une prime de 1 000 dollars. » Le raisonnement est simple : si vous vous laissez tenter par l’offre dès la fin de la première semaine, alors votre niveau d’engagement est faible et il vaut mieux le savoir vite. Ce n’est pas tout : ceux/celles qui la refusent s’impliquent davantage : leur « sacrifice » ajoute une charge émotionnelle qui renforce leur loyauté.
En bref, quand on vous forme, qu’on vous fait grandir et qu’on vous arme pour mieux réussir à l’extérieur (tout en vous maintenant informé·e de tout ce qui se passe chez vous grâce à un miroir magique, ou juste une newsletter et des événements), alors d’une manière ou d’une autre, vous aurez plus envie de revenir, plein·e d’amour et de motivation, ou d’envoyer des client·e·s, des candidate·s et des allié·e·s… qui feront grandir l’employeur. Merci la Bête !
Photo par Thomas Decamps
Article édité par Mélissa Darré
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