Rencontre avec « 4 Day Week Global », ceux qui ont impulsé la semaine de 4 jours
15 mar 2024
15 min
Difficile de croire qu’une néo-zélandaise est à l’origine du raz-de-marée « Semaine de quatre jours » qui a déferlé sur le monde. Aujourd’hui, le mouvement s’étend de la France au Brésil, de l’Allemagne aux Émirats arabes unis. Aux États-Unis, ce sont 81 des salariés à plein temps qui l’appellent de leurs vœux, fortement soutenus par d’importants syndicats.
Tout a commencé en 2018, lorsqu’un entrepreneur d’Auckland, Andrew Barnes, a décidé de tester l’idée au sein de son entreprise Perpetual Guardian.
Devant l’intérêt suscité dans d’autres pays par son initiative et avec l’envie de partager son expérience, Andrew Barnes a fondé 4 Day Week Global, association à but non lucratif. Il s’est fait le chantre de son modèle 100/80/100 : où comment atteindre 100 % de résultats en 80 % du temps, tout en continuant à payer les salaires à 100 %. L’association a soutenu le programme pilote mené par le Royaume-Uni auprès de 61 entreprises et leurs 3 000 salariés au total. Son rapport le plus récent relate un essai mené en Afrique du Sud. Andrew Barnes et 4 Day Week Global sont devenus des références sur la semaine de 4 jours et sa mise en place pour tous.
Welcome to the Jungle est allé à la rencontre de Dale Whelehan, expert en bien-être et science du comportement, ambassadeur de la semaine de 4 jours, et, depuis 2023, à la tête de 4 Day Week Global. Il a évoqué pour nous l’adoption du modèle 100/80/100 selon les pays et les métiers, et les prochaines étapes qu’il prévoit pour que l’impressionnant mouvement mondial ne s’essouffle pas.
Parlez-nous de votre rôle chez 4 Day Week Global et des actions que vous menez
Je suis arrivé il y a environ un an, mais avant ça j’ai participé à la grande campagne en Irlande pendant deux ans. Ma mission était de dessiner l’avenir de 4 Day Global en tant qu’organisation. À la base, c’était un groupe d’ambassadeurs et ambassadrices pour la semaine de 4 jours. On s’appuyait sur les recherches préliminaires réalisées par les fondateurs dans leur propre entreprise. Bientôt, les études pilotes qui ont été menées sont devenues un vrai facteur différenciant pour nous, en tant que business. Donc à mesure que le sujet a continué à prendre de l’ampleur, on a nous aussi grandi pour être à la hauteur des besoins exprimés. Nous sommes aujourd’hui une entreprise à vocation sociale, avec des offres pour des entreprises de toutes tailles qui veulent se diriger vers la semaine de 4 jours. Dans notre mission, il y a aussi le fait de fournir des ressources utiles pour que les gens puissent l’implémenter le mieux possible. On fait également de la pédagogie, en expliquant en quoi ce rythme peut être bénéfique à l’échelle de la société, sur des sujets comme l’environnement, l’égalité et la santé.
Comment est financé 4 Day Week Global ?
Notre principale source de financement, ce sont les entreprises qui utilisent nos services. Ce que nous facturons pour le programme pilote dépend de la taille de la structure. Nos effectifs ont grimpé de 53 % en un an, parce que le nombre d’entreprises intéressées a augmenté. Elles veulent à leur tour tester la semaine de 4 jours.
De notre côté, on veut continuer de grossir, donc réfléchir à ce qui peut nous assurer des revenus stables. Nous avons trois nouvelles offres. La première est un cours en ligne sur les fondamentaux, ça dure 6 heures et on explique comment mettre en place la semaine de 4 jours. C’est ouvert aux entreprises et aux individus. La deuxième, c’est le programme pilote, qui dure 6 mois, avec une intervention de notre part et un accompagnement au changement. La dernière, c’est du consulting sur-mesure. Nous avons eu six clients en consulting au cours des douze derniers mois, et on compte faire grandir cette partie de notre activité, parce que le marché est en pleine croissance et se diversifie.
Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur la méthode 100/80/100 ?
Quand Andrew Barnes et Charlotte Lockhart, les fondateurs, ont voulu implémenter la semaine de 4 jours dans leur propre entreprise, Perpetual Guardian, ils ont pris la productivité comme référence. Andrew avait parcouru pas mal d’études expliquant que les gens gagnent en productivité quand ils ont plus de temps off pour se reposer et récupérer. La méthode 100/80/100 a clairement été définie dans une perspective business : comment conserver le même rendement au travail, en moins de temps ? Ça repose sur la loi de Parkinson [qui explique qu’un travail s’étale toujours sur la durée qu’on lui alloue, alors même qu’on aurait pu le faire en moins de temps, ndlr]. En quelques années, on a appliqué et testé la méthode dans plus de 350 entreprises. Ça nous a donné un vrai tour d’horizon des manières dont ce rythme de 4 jours hebdomadaires peut être implémenté.
« Il nous fallait des preuves de concept, comme dans l’industrie ou d’autres secteurs, pouvoir montrer que ça marche, qu’on n’est pas seulement dans le vœu pieux. » - Dale Whelehan, 4 Day Week Global.
Comment ont démarré les programmes pilotes qu’on a pu voir à des échelles nationales ?
Partout dans le monde, l’idée germait de réduire le temps de travail. Perpetual Guardian était en présentation itinérante dans le monde entier pour présenter son retour d’expérience, et Andrew Barnes s’est tourné vers plusieurs pays pour engager un peu plus la discussion. Il a reçu un vrai écho aux US, en Irlande et au UK. C’est de là qu’est venue l’idée de lancer des programmes pilotes : avoir de la matière, pouvoir poser des bases d’échanges et de réflexions. Il nous fallait des preuves de concept, comme dans l’industrie ou d’autres secteurs, pouvoir montrer que ça marche, qu’on n’est pas seulement dans le vœu pieux.
En Irlande, là où la campagne a été la première à nous fournir de la data, les gens étaient très dubitatifs, réclamaient des données chiffrées. Aujourd’hui, on est dans une phase différente, les gens sont passés d’un scepticisme global à une posture davantage dans le : « OK, ça marche. Mais dans mon secteur, c’est juste impossible. » Le prochain challenge est donc de montrer que la semaine de 4 jours peut tout à fait fonctionner dans différents secteurs, que ce soit dans les usines ou dans la santé, et de produire des exemples de best practices. Ça permettra aussi à tout le monde de comprendre que réduire le rythme hebdo ne veut pas dire : “on coupe 20 % partout” et voilà. C’est beaucoup plus compliqué que cela, avec des réflexions fines à avoir selon chaque organisation.
Vous faut-il l’accord des autorités gouvernementales pour lancer un programme pilote ? Ou bien est-ce que vous embarquez des entreprises du pays et avancer sans que l’État n’y jette un œil ?
Ça dépend à chaque fois du pays. En 2023, on a publié cinq rapports, fruits de cinq programmes pilotes très différents. En Afrique du Sud, l’essai a été mené par une seule personne, Karen Lowe. Le concept l’a fortement intéressée et elle a voulu le tester dans sa propre entreprise. Elle a donc monté 4 Day Week South Africa, une association à but non lucratif. Elle a convaincu d’autres entreprises de la suivre dans cette démarche de programme pilote. Au UK, il y a 4 Day Week campaign, un lobby qui travaille main dans la main avec un think-tank baptisé Autonomy. À eux deux, ils ont recruté des entreprises volontaires, d’abord au UK, puis aux USA et pour l’Australie, la Nouvelle-Zélande et des îles voisines du Pacifique. Et là on vient de terminer le premier pilote financé par l’État, au Portugal. Les résultats sont assez prometteurs. Le rapport final sort ce mois-ci, en mars, mais une première version a été publiée en décembre. Il y a actuellement un essai à l’échelle nationale en Espagne, mais nous ne sommes intervenus que dans les phases initiales. La ville de Valence a lancé son propre programme pilote un peu par hasard, pendant un mois qui comptait déjà 3 jours fériés. Les autorités municipales ont décidé d’en faire glisser un quatrième, normalement sur un autre mois, à la suite des premiers, pour avoir 4 semaines de 4 jours et évaluer le résultat à l’échelle de la ville. Et sinon, nous n’avons pas été impliqués dans le processus, mais nous allons accompagner le programme pilote que va financer le gouvernement belge [sous entendu : aucun argent public ne sera dépensé en frais de consulting, ndlr.].
Ce qui nous intéresse n’est pas tant le financement par l’État que l’implication de personnes assez audacieuses et fonceuses pour impulser le mouvement dans leur pays. Nous essayons de trouver des personnalités qui ont une certaine influence, qui savent mettre en œuvre un élan social, en le contextualisant pour qu’il colle à la situation de leur pays. Un en an, on a signé une série de nouveaux partenariats nationaux [à la fois avec des individus et des organisations] en Norvège, en Suède, en France, en Italie, aux Pays-Bas, en Belgique et en Allemagne. Dans les 12 mois à venir, le dialogue va s’ouvrir au sein de chaque pays sur ce rythme de 4 jours hebdo.
Quand vous concevez ces programmes pilotes, vous les adaptez à la culture et aux lois en vigueur dans chaque pays ?
Nous sommes une petite équipe de 13 chez 4 Day Week Global, ce qui est peu, mais nous avons un modèle de partenariat dans plusieurs pays. Ces antennes locales ont accès à nos ressources, les adaptent, et prennent un pourcentage sur ce que nous facturons pour le programme pilote. En retour, elles assurent une partie de la coordination sur place.
Si je prends l’exemple le plus récent, à savoir le Brésil, on a dû tout traduire en portugais. Nous avons de la chance de représenter jusqu’à 10 langues différentes chez 4 Day Week Global ! En Allemagne, nous alternons entre l’allemand et l’anglais : certains ateliers et masterclasses sont assurés par notre équipe donc en anglais, d’autres par notre partenaire allemand, qui aborde justement la question de la législation et du temps de travail. De manière générale, nous évitons d’aborder les sujets juridiques. Notre mission, c’est d’encourager les programmes pilotes, qui, dans la majorité des cas, ne requièrent aucun ajustement au niveau de la loi. Et je pense que notre pratique va rester celle-là : 4 Day Week Global qui observe et soutient le programme pilote, mais laisse la question légale entre les mains de ses partenaires locaux.
Le dernier maillon de cette chaîne, et un maillon indispensable à la réussite du mouvement, ce sont les équipes de recherches indépendantes qui évaluent les résultats des différentes initiatives et les transitions effectuées. Nous disposons de programmes de recherche au Boston College [États-Unis] et à l’université de Cambridge [Royaume-Uni]. Les équipes y font de la recherche qualitative auprès des personnes qui prennent part aux programmes pilotes. Et il y a les partenaires sur place, des chercheuses et chercheurs qui regardent tout ça à la loupe nationale ou régionale. En Afrique du Sud, la Stellenbosch Business School mène par exemple des enquêtes sur ce qu’on appelle le load shedding [« délestage » énergétique consistant à couper le courant dans certaines zones en alternance] et l’impact du temps de travail sur la crise de l’énergie dans le pays. En Allemagne, l’université de Münster se penche sur l’effet de la semaine de 4 jours sur l’économie nationale. Pour nous, il est impératif que cette indépendance des universitaires continue d’exister. Cette rigueur permet, entre autres, de faire avancer le débat, de construire les échanges.
Quand un partenaire s’engage avec nous, on leur demande de mettre en place certaines choses pour qu’il se prépare au mieux et crée les conditions de la réussite du projet. Déjà, on lui demande de monter un comité consultatif au niveau national, composé de cinq personnes, cinq parties prenantes, obligatoirement : une personne qui représente les entreprises, une autre pour les salariés, quelqu’un pour la question environnementale, une autre personne sur la question de l’égalité et enfin quelqu’un qui vient de la recherche. Ensuite, charge à ces personnes de faire vivre le comité et de sensibiliser leurs pairs, les gens autour d’elles, au sujet de la semaine de 4 jours.
« Ce serait intéressant de voir comment la question de ce nouveau rythme hebdomadaire pourrait s’inscrire dans un débat français bien plus vaste. On ne voit pas ça dans les autres pays. » - Dale Whelehan, 4 Day Week Global.
Observez-vous des différences dans la manière dont les pays implémentent la semaine de 4 jours ?
Oui, et je pense notamment à la France. C’est là que la législation est la plus disparate sur le temps de travail en fonction des différentes catégories de salariés. Il y a les équipes aux 35 heures, les cadres qui ne sont pas sur le même rythme, etc. Notre partenaire français a donc fait venir dans le comité consultatif quelqu’un avec une expertise juridique dans le domaine. Emmanuel Macron a augmenté l’âge de départ à la retraite, et flirte avec l’idée d’une semaine de 4 jours, notamment via son premier ministre, pour faire accepter sa réforme. Ce serait intéressant de voir comment la question de ce nouveau rythme hebdomadaire pourrait s’inscrire dans un débat français bien plus vaste. On ne voit pas ça dans les autres pays.
Pour le reste, non, il n’y a pas beaucoup de points où ça diverge d’un pays à l’autre. La plus grosse différence, d’ordre culturel, se situe entre les pays dits développés et ceux dits en développement. Aux US, la plupart des gens choisissent comme jour off, dans l’ordre, le vendredi, puis le lundi et enfin le mercredi. En Afrique du Sud, ça bougeait presque toutes les semaines, avec des jobs complémentaires sur ce jour off. Les personnes voulaient en profiter pour avoir un complément de revenus. Ça ne s’est pas vu dans les pays occidentaux, où le jour chômé était un jour de repos ou servant à profiter davantage de la vie hors travail.
Penchons-nous sur votre rapport pour l’Afrique du Sud. Comment c’était de lancer un programme pilote dans un pays où le taux de chômage dépasse les 30 % ?
J’ai été surpris de constater le succès du programme pilote, dans un pays qui fait effectivement face à de nombreux défis. On a embarqué bien plus d’entreprises qu’en Irlande, par exemple, avec un niveau d’implication bien plus fort que dans des entreprises occidentales. Nous faisons beaucoup d’efforts pour impliquer des populations plus diverses dans nos pilotes. Et c’est quelque chose de très important pour moi. Ça ne peut pas être un accompagnement qui ne marche que pour les entreprises avec les reins solides, et des effectifs majoritairement blancs. Et ça ne doit pas créer un système à deux vitesses. Il ne faut pas que les entreprises déjà attractives, où tout le monde veut bosser, deviennent encore plus attractives. Le secteur associatif, par exemple, peine à recruter et à atteindre les niveaux de salaires du privé. La semaine de 4 jours pourrait devenir un vrai atout, un “plus” à valoriser. Idem pour le secteur de la santé, plus ou moins en crise à l’échelle mondiale. Recruter et surtout garder les équipes est très compliqué. C’est un système dans lequel on a un mouvement perpétuel de gens qui enchaînent les journées à rallonge et les heures supplémentaires, avant de craquer, victimes de burnout, et de fuir le système. Il devient critique de pouvoir montrer comment on pourrait faire dans ces secteurs pour que les personnes y restent.
L’une de mes grandes aspirations pour 4 Day Global est de bâtir un modèle de financement où la partie consulting porterait à elle seule le reste, afin qu’on puisse offrir un accompagnement freemium ou à tarif très réduit aux entreprises qui n’ont, aujourd’hui, pas les moyens de s’offrir nos services. C’est un objectif majeur, d’autant plus qu’il y a « global » dans notre nom, à savoir qui englobe à l’échelle mondiale. On veille autant que possible à avoir des programmes pilotes sur tous les continents, à ne pas laisser le débat ou le mouvement se tarir dans un endroit ou un autre.
Pour l’Afrique du sud, il y a de multiples facteurs et je ne sais pas dire si la semaine de 4 jours va être adoptée à une échelle aussi importante que dans d’autres pays. Mais au moins le pays fait parler de lui sur du positif. L’Afrique du Sud ne va pas bien. Ces dernières années, on entend beaucoup parler de crise de l’énergie et d’autres sujets assez problématiques. Ça engendre une fuite des cerveaux, notamment en économie. Un mouvement en faveur de la semaine de 4 jours a de quoi attirer ou retenir les talents, donc intéresser l’État, prêt à financer un programme pilote.
« Nous essayons de changer le comportement et les habitudes des gens, et c’est l’une des choses les plus difficiles à faire. » - Dale Whelehan, 4 Day Week Global.
Quels sont les prochains pays dans lesquels vous allez conduire l’expérience ?
Il va y avoir du mouvement aux Pays-Bas, en Belgique, en France, en Italie, en Allemagne, Suède et Norvège. Il y a également une personne qui travaille en solo sur la semaine de 4 jours au Danemark et la Pologne montre des signes d’intérêt, même si on constate un intérêt moindre dans les pays d’Europe de l’Est. La Croatie a coupé court au sujet, qui l’intéressait jusque-là, pour des raisons économiques. On est actuellement en phase de recueil des résultats pour le Brésil, et le Chili a manifesté de l’intérêt pour la question. En Irlande, au Royaume-Uni et aux États-Unis, c’est un chantier en cours, ça bouge pas mal.
Nous avons aussi été contactés par des personnes en Chine et avons un partenariat avec l’Inde. Je ne sais en revanche pas du tout comment ça va se passer, parce qu’il y aura un gros travail de fond pour se mettre d’accord, partir d’une base de compréhension mutuelle pour lancer les pilotes au sein de ces économies. On ne partira peut-être pas sur une semaine de 4 jours à proprement parlé, mais sur le principe du 100/80/100 pour réduire le temps de travail. Et au final, c’est ce qu’on cherche : réduire le temps de travail.
Comment peut-on appliquer le principe 100/80/100 sans passer à la semaine de 4 jours ?
Si dans tel pays, telle économie ou tel secteur, la durée de travail hebdomadaire est de 50 heures par exemple, l’idée sera de réduire de 20%, pour arriver à 42 heures. Pour nous, c’est déjà une réussite !
Lors des essais, nous livrons aux entreprises que l’on accompagne les best practices par secteur ou type d’entreprise, on montre comment d’autres, avant, on réduit le temps de travail hebdomadaire en interne. Dans certaines, on peut être sur 3 jours avec un temps de présence plus long, dans d’autres 5 jours avec moins d’heures. L’entreprise peut avoir besoin des effectifs au complet à certaines périodes du mois et plus du tout (ou presque) le reste du temps. Je pense par exemple à un restaurant de fish and chips de notre programme pilote au UK, qui ne rentabilisait pas son activité sur toutes ses heures d’ouverture. La direction a donc décidé de fermer le restaurant aux heures creuses et, bien sûr, de l’ouvrir pour les pics de fréquentation. Donc le 100/80/100 n’a pas besoin d’être appliqué sur une semaine, ça peut se faire sur le mois, sur l’année, selon l’activité concernée. C’est là que les études menées par des équipes de recherche indépendantes prennent tout leur sens : comprendre, analyser et exposer comment chaque entreprise dispose du temps de travail.
Beaucoup de gens intéressés par la semaine de 4 jours sont des salariés, qui n’ont aucun pouvoir de décision en la matière. Que peuvent-ils faire ?
Nous allons proposer davantage d’offres en Freemium, où nous expliquons comment convaincre la direction et monter un business case. Quelles sont les mesures chiffrées et données clés qui aideraient à lancer un programme pilote dans votre entreprise ? C’est sur ce type de sujets que nous allons davantage travailler, du côté de la promotion et auprès de notre communauté. On a un réseau d’ambassadeurs et ambassadrices, qui va s’agrandir cette année, pour se mettre au service des personnes qui veulent s’impliquer dans le mouvement.
Nous essayons de changer le comportement et les habitudes des gens, et c’est l’une des choses les plus difficiles à faire. C’est pour cela que j’aime bien utiliser cette analogie : vous pouvez amener votre cheval au puits - comprendre, nous pouvons fournir le cadre pour une semaine de 4 jours, créer des procédures, des normes culturelles et façonner le bon style de leadership - mais au final, c’est le cheval qui décidera de boire l’eau du puits ou nom.
A partir de là : quelles interventions peut-on imaginer chez 4 Day Global pour former les gens, leur apprendre à décrocher et à se détacher du travail, pour pouvoir ensuite y revenir, avec un supplément d’efficacité ? C’est là-dessus que notre offre de cours en ligne va s’étoffer, pour proposer davantage de consulting individuel sur la productivité. L’idée est de se pencher sur les petites interventions individuelles qu’on peut faire pour réorganiser sa journée de travail, créer plus de fluidité, comment on peut repenser la technologie pour réduire notre temps de travail plutôt que de l’augmenter. C’est important pour les personnes qui pensent que ce mouvement des 4 jours hebdomadaires n’est pas fait pour elles.
Cela paraît difficile de conduire « des chevaux au puits » à grande échelle, surtout s’ils ne sont pas dans un programme pilote.
Auparavant, je travaillais dans le consulting en capital humain. J’ai pu constater que beaucoup d’argent est dépensé dans les entreprises pour essayer de gérer des problématiques d’efficience, de perte de temps et autres. Il y a du budget. Le problème c’est que les gens aujourd’hui voient la solution uniquement à travers les nouvelles technologies. Ils se réjouissent d’un nouveau CRM, ou d’un nouvel outil de projection financière. Mais derrière, la transformation du côté des ressources humaines est souvent négligée. Il faut pourtant bien se rappeler qu’au final, ce sont les humains qui sont derrière chaque business. Ce n’est pas parce vous avez un nouvel outil que vos équipes vont bien l’utiliser, surtout quand on a des équipes au bord du burn-out.
Il faut un changement de paradigme. C’est une intervention d’ordre psychologique si vous voulez faire bouger les mentalités de vos effectifs. Et ça ne se fait pas d’un claquement de doigts, dans le monde des Bisounours. On ne peut pas s’éviter de sérieuses discussions. Mais le jeu en vaut la chandelle, il y a un retour sur investissement parce que ça booste le sentiment de performance au sein des équipes. L’adhésion au projet se travaille, tout comme la confiance et le sentiment de sécurité, toutes ces choses auxquelles les entreprises aspirent, tout en étant face à une réalité : la performance élevée à un coût tout aussi élevé en matière d’épuisement (ou de burnout) des équipes. Les entreprises qui revoient leur approche du travail, révisent leur façon de penser sur la question professionnelle, parviennent à diminuer les problèmes de santé mentale en interne, ce qui est positif.
Considérez-vous l’idée que la semaine de 4 jours puisse créer de l’emploi ?
Je rapprocherais ce sujet de l’IA [intelligence artificielle], parce qu’on peut entendre des personnes qui mettent l’IA et la semaine de 4 jours dans le même panier, pensant, pour résumer, que ça va mener à de la perte d’emploi. Pour ma part, et pour répondre à votre question, je suis bien plus optimiste. À mes yeux, le nouveau monde du travail pourrait plutôt ressembler à ça : plus d’IA pour faire les tâches automatisées et répétitives que font souvent les jeunes, ça veut dire justement pouvoir faire grimper ces jeunes en connaissances et en compétences, pour capitaliser sur l’humain et ses capacités. L’intelligence émotionnelle et l’innovation, par exemple, ne sont pas du ressort de l’intelligence artificielle. Ça va mieux quand les gens comprennent qu’il faut arrêter d’épuiser les équipes. On ne peut trouver des solutions, faire preuve de créativité sur l’avenir du monde et du travail que si on peut suffisamment se reposer et nourrir une vision positive de sa vie professionnelle.
L’arrivée de nouvelles technologies dans les années 2000 a fait grimper la peur pour l’emploi. Mais on a au contraire constaté une hausse exponentielle de la productivité, couplée à une incapacité à se détacher du travail. Nous avons aujourd’hui l’opportunité, avec l’IA et la semaine de 4 jours, de faire les choses autrement, de bâtir un autre genre de monde.
Article écrit par Rozena Crossman, traduit de l’anglais par Sophie Lecoq et edité par Clémence Lesacq. Photo Thomas Decamps pour WTTJ
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