Les études sont-elles vraiment le meilleur moment pour entreprendre ?
11 oct 2022 - actualizado el 11 oct 2022
5 min
Depuis un peu plus d'une décennie, le mythe de l'entrepreneur à la Mark Zuckerberg est partout. Les success story inondent désormais l'Internet et sont le vivier de clichés et de fantasmes qui en font rêver plus d'un. À tel point que tenter l'expérience avant même d'avoir obtenu son diplôme semble se banaliser peu à peu : depuis sa création en 2014, 27 287 étudiants-entrepreneurs ont porté un projet sous le Statut National d'Étudiant-Entrepreneur (SNEE, ndlr), instauré pour les étudiants et jeunes diplômés désireux de concrétiser un projet entrepreneurial. Mais qu'est-ce que ça donne, dans les faits, de passer le cap de l'entrepreneuriat quand on est encore étudiant ?
« Je n’ai jamais vu le fait d’être étudiante comme un frein à lancer mon projet entrepreneurial. Au contraire, pour moi, c’est une forme de sécurité. Une fois qu’on entre dans la vie active, on doit être indépendant financièrement, trouver un travail pour payer son loyer, ce qui n’était pas mon cas quand j’étais étudiante, puisque je vivais chez mes parents », argumente Louise Aubery, jeune diplômée de Sciences Po Paris et fondatrice de la marque de sous-vêtements Je Ne Sais Quoi. Cet argument, ils sont de plus en plus nombreux à en faire une bonne raison de se lancer dans l’entrepreneuriat avant même d’avoir commencé leur carrière. La preuve : ces deux dernières années, le nombre de SNEE a progressé de 16,5%, portant ainsi à 1140 le nombre de jeunes diplômés bénéficiant du statut. Ni la pandémie, ni la crise financière internationale qui se profile ne semblent donc avoir dissuadé les étudiants et jeunes diplômés de se jeter à l’eau.
Le statut d’étudiant-entrepreneur, une opportunité à saisir
Marine Bizouarn et Gaëlle Marrot viennent tout juste d’être diplômées. Mais pour elles, pas question de se lancer dans une recherche d’emploi chronophage et démotivante. En réalité, elles sont déjà bien occupées : ces deux bretonnes sont les fondatrices de Delienn, une marque pionnière dans la création et la distribution de dissolvant solide. Elles ont commencé à développer leur entreprise il y a un an, alors qu’elles étaient encore étudiantes. L’occasion pour elles de mener leur projet à maturité avant de sortir de l’école pour s’y consacrer à 100% et récolter les fruits de leur travail : « Un projet entrepreneurial, ça met forcément du temps à se construire. Alors autant commencer le plus tôt possible, quand on est encore étudiant et qu’on n’a pas grand chose à perdre. C’est l’occasion de prendre le temps de mener le projet à maturité afin que, dès qu’on entre dans la vie active et qu’on doit devenir indépendant financièrement, ce dernier puisse nous rapporter de l’argent. »
Si l’argument du “rien à perdre, tout à gagner” semble faire l’unanimité chez ceux qui décident de se lancer, d’autres éléments jouent évidemment en faveur de ces étudiants-téméraires. En particulier le fait que le gouvernement soutiennent les initiatives les plus prometteuses proposées par les jeunes français, notamment via le dispositif Pépite qui a pour but de renforcer la culture entrepreneuriale et l’innovation dans l’enseignement supérieur en France, mettant ainsi en œuvre des actions de sensibilisation, de formation et d’accompagnement : « Parce que la liberté d’entreprendre est aussi soutenue par nos institutions, le prix Pépite vise à éclairer et saluer des parcours qui méritent d’être soutenus par l’Etat en récompensant cette année encore 33 lauréats à hauteur de 10 000 euros pour les aider à financer leur projet », clamait haut et fort Sylvie Retailleau, Ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, à l’occasion de la 9e remise du Prix Pépite à la Bibliothèque Nationale de France le 6 octobre dernier. « Le prix pépite, c’est aussi une occasion pour nous, au-delà de l’argent, de pouvoir bénéficier d’un accompagnement de la part d’entrepreneurs expérimentés pour monter notre business, ce qu’on n’aurait pas nécessairement pu faire aussi facilement du haut de nos 22 ans et avec seulement nos compétences techniques en biologie et ingénierie des produits cosmétiques », poursuivent Marine Bizouarn et Gaëlle Marrot.
Une véritable opportunité “à la Française”, constate Eunkyung Esther Kang, une jeune sud-coréenne venue s’installer en France il y a huit ans pour suivre des études aux Beaux Arts. Pour elle, qui a pu lancer son projet de patron zéro déchet sous le nom de Exercise 0 grâce au dispositif français, le Prix Pépite est une chance inouïe qu’elle n’aurait pas forcément pu avoir dans son pays de naissance : « Je me réjouis que la France mette en place des moyens d’aider les projets les plus prometteurs, et de pouvoir faire partie des lauréats. Je ne sais même pas si ce genre d’initiative existe en Corée du Sud. C’est une aubaine, surtout lorsqu’on débute et que l’on a pas encore développé son réseau professionnel. »
Si l’accompagnement proposé par le gouvernement rassure ceux qui oseraient voir le manque d’expérience comme un frein à la réussite, de leur côté, Pierre Maillard et Léa Abossolo Foh, tous deux jeunes diplômés de l’École Nationale Supérieure d’Ingénieurs Sud-Alsace et porteurs du projet PimLeaf, une solution numérique destinée aux épiceries vrac pour leur permettre d’améliorer la traçabilité au quotidien, y voient plutôt l’avantage de pouvoir faire preuve de plus d’ouverture d’esprit : « Arriver complètement vierge sur le terrain de l’entrepreneuriat, c’est aussi être plus attentif aux conseils que les entrepreneurs qui nous accompagnent au quotidien nous donnent. Peut-être qu’avec un peu plus d’expérience, nous serions plus bornés. »
Une réalité plus nuancée que le storytelling qui fait rêver
S’ils voient leurs études comme une opportunité à saisir pour tenter l’expérience de l’entrepreneuriat, Pierre maillard et Léa Abossolo Foh ont tout de même conscience de certains enjeux : « Nous sommes plutôt privilégiés par rapport à la solution qu’on développe, qui est 100% digitale et qui ne nécessite donc pas de mobiliser de gros moyens, comme ce serait le cas pour des solutions hardware à développer en grande quantité. C’est pour ça que notre projet nous semble réalisable et que nous pensons pouvoir nous en sortir, mais ce n’est pas le cas d’autres personnes qui devront déployer des coûts importants pour développer leur activité, et qui seront peut-être plus facilement tentés d’abandonner une fois les études terminées. »
Abandonner à la sortie de l’école, c’est le risque, prévient Louise Aubery. Et pas seulement pour des raisons financières. La jeune femme, qui a commencé à travailler sur sa marque Je Ne Sais Quoi en parallèle de son Master à Sciences Po, en sait quelque chose, surtout depuis qu’elle se consacre à 100% à son projet : « Lorsqu’on est étudiant, on voit son entreprise comme un hobby, quelque chose qui nous permet de sortir du train-train étudiant. Même si c’est très difficile de dégager du temps à côté des cours et des examens pour pouvoir travailler sur sa marque et répondre aux impératifs de la vie entrepreneuriale, cela reste malgré tout un but qui nous motive à finir nos études pour passer enfin aux choses sérieuses. Mais une fois qu’on quitte le quotidien d’étudiant pour entrer dans celui d’entrepreneur, le projet devient d’un coup moins palpitant. »
Wendy Morel dresse elle aussi un portrait moins idéalisé de la réalité d’un jeune entrepreneur. Actuellement dans une formation dédiée à l’entrepreneuriat suite à une licence pro dans le textile, elle développe depuis cette année Oblicale, une marque de vêtements upcyclés pour femmes allant du 34 au 60. Elle qui a pourtant déjà pu récolter 13 000€ grâce aux dispositifs d’aide mis en place par l’État, reste tout de même lucide sur ce qui l’attend : « Je sais que je vais devoir cumuler les petits boulots à mi-temps pendant plusieurs années si je veux persévérer dans mon projet. Pourtant, je fais partie des chanceux qui ont réussi plusieurs concours pour obtenir des subventions, ce qui n’est pas le cas de tout le monde, malheureusement. »
Une chance à saisir, mais pas pour tout le monde
Bien que le statut d’étudiant-entrepreneur soit accessible à tous, les aides financières et autres accompagnements, quant à eux, se méritent. En effet, il faut pour pouvoir y prétendre et mettre toutes les chances de son côté pour gagner, avoir eu la chance de bénéficier d’un certain apprentissage : « Avec tous les discours positifs que l’on entend, on pourrait croire que c’est quelque chose d’accessible, mais pas du tout. Il faut passer des concours qui nécessitent de savoir pitcher son projet, développer un business plan, faire une étude de marché pour montrer que l’on répond à une demande spécifique que le jury jugera assez importante. Cela implique donc d’avoir développé certaines compétences qui ne sont pas accessibles dans tous les cursus ou pour tous les étudiants, et ce pour plein de raisons différentes », poursuit Wendy Morel.
Pour les deux diplômés de l’École Nationale Supérieure d’Ingénieurs Sud-Alsace, en revanche, il n’y a pas vraiment de profil type pour réussir dans l’entrepreneuriat quand on est étudiant. La volonté et la motivation seraient les seuls critères nécessaires à la réussite : « Nous n’avons pas remarqué qu’autour de nous les gens avaient des points communs autre que la volonté et la motivation. Ce qui nous réunit tous, ce n’est pas une classe sociale ni un type d’études en particulier, c’est simplement la volonté de voir un rêve se réaliser. »
À voir dans quelques années, donc, si la motivation de ces jeunes entrepreneurs les aura hissés au sommet ou si, au contraire, les obstacles auront eu raison de leur succès.
Article édité par Gabrielle Predko, photo Thomas Decamps pour WTTJ
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