« Le jour où j'ai découvert que mon patron volait toute la nourriture au bureau »
Oct 25, 2023
4 mins
Dans les frigos des entreprises, un tour de passe-passe opère parfois, peu avant midi : un sandwich disparaît, une bouteille de jus d’orange se vide comme par magie, une dentition vorace laisse son empreinte sur un dessert… L’enquête pour remonter le chemin des miettes jusqu’au coupable du casse-croûte du siècle, révèle que le prestidigitateur n’est autre que votre collègue ou même pire, votre patron qui tape éhontément dans vos réserves.
Dans un épisode (« Celui qui s’est fait piquer son sandwich ») de la série Friends, le personnage de Ross est dévasté par le vol de son sandwich à la dinde - qu’il clame être : « La seule chose de positive dans ma vie » - sur son lieu de travail . Devenant agressif envers ses collègues afin de dissuader le voleur de recommencer, il est finalement confronté par le Docteur Ledbetter qui lui fait remonter des plaintes de ses collègues effrayés. Ce dernier avouera avoir lui-même mangé le sandwich de Ross, lui laissant une réplique culte « You ate my sandwich ? » et l’amenant à… péter un câble et finir mis à pied. Mais la réalité dépasse parfois la fiction. À côté des siroteurs de jus de fruits, qui à petites lampées semi-scrupuleuses et indolores, siphonnent nos boissons jusqu’à la dernière goutte, des pillards œuvrent en toute impunité. Nicolas, nous raconte l’histoire de ce boss qui se servait sur les provisions de ses salariés.
Trois larcins, un coupable
Acte 1 : Le mystère du café insoluble
Dans la plupart des entreprises, il y a des histoires de vol de nourriture. Des petits larcins qui ne coûtent pas grand-chose, mais qui laissent un sentiment d’injustice et de plaisir gâché aux victimes délestées. C’était si récurrent dans ma précédente boîte que j’en ai fait une question de principe.
À cette époque, j’étais gestionnaire des achats et approvisionneur dans une entreprise du BTP. Un gros compte à plus de six millions de chiffre d’affaires, avec une cinquantaine de salariés. Mon bureau ouvert, se situait au rez-de-chaussée et faisait office d’accueil, de sorte que de mon panoptique, j’avais un terrain d’observation favorable sur les bureaux fermés de mes collègues et sur la salle de pause où se trouvait le coffre-fort, à savoir, la machine à café et le frigo.
Dès le début de mon expérience, j’ai trouvé déplacé que dans une entreprise de cette taille, notre boss nous annonce clairement : « Ici je ne paye pas le café, c’est vous qui devez acheter vos dosettes. » De fait, nous avions tous à notre bureau des paquets de dosettes pour notre consommation perso. Là où cela devient plus incongru c’est que le boss, lui, n’achetait jamais de café. Par contre, ça ne le dérangeait pas de venir nous taxer ou même, nous demander de payer une tournée de caféine aux commerciaux et aux clients extérieurs à la boîte.
Chaque matin, c’était le même manège. Arrivé à 7h30, il y avait toujours une bonne poire pour lui offrir une tasse. Franchement, ce genre d’économie de bout de chandelle pour un patron de cette envergure, ça frôlait l’indécence. Pire, lorsque les conducteurs de travaux allaient sur les chantiers en laissant leur bureau désert, je l’entendais faire coulisser le tiroir et fouiller dans les affaires personnelles du gars, pour se faire son caoua. Pour lui, le café des salariés, c’était le sien. Un petit larcin révélateur de ce dont il était capable.
Acte 2 : Droit de bouchon sur les Schokobons
Ce qui nous amène au deuxième sujet. Cette fois, c’est moi que l’on a accusé de vol de bouffe à deux reprises. Scandaleux ! Et pour vous convaincre de ma probité, je tiens à mentionner que j’étais en plein régime à ce moment-là et que mon menu repas se résumait à une salade achetée chez Lidl tous les midis.
Un jour, François, un collègue proche de la retraite qui avait pour habitude de transporter une grosse poche de Schokobons, est arrivé devant mon bureau. À ses côtés, mon patron. Il m’a regardé, puis m’a montré une poche vide. Ses chocolats. « Franchement, t’aurais au moins pu la mettre à la poubelle ! », m’a-t-il lâché avec indignation. Sur le coup, mes yeux lui ont lancé un regard décontenancé. Je ne savais pas quoi répondre à part que, non ce n’était pas moi qui avais mangé ses sucreries. Personne ne m’a cru. Le patron, lui, ne disait rien, mais me regardait le sourire aux lèvres. J’avais de fortes suspicions à son égard, mais aucune preuve. À partir de là, je décide de rester sur le qui-vive pour éviter que ce genre de situation ne se reproduise.
Acte 3 : La petite souris ou le gros rat ?
L’occasion de poursuivre l’enquête se présente quelques semaines plus tard avec un collègue qui s’était acheté des donuts. Comme il lui en restait deux, il se les réservait pour le petit déj’ du lendemain. Le jour d’après, même schéma, il s’est dirigé furieux dans ma direction pour m’asséner : « Il est passé où le donut ? il n’en reste plus qu’un. Tu l’as bouffé ? » Cette fois, paré, je lui ai répondu avec calme : « Tu te souviens pas que je suis parti avant toi hier ? » Puis, je l’ai mené à la sombre évidence : « Réfléchis une seconde, quelle est la seule personne qui reste au bureau après 17h et qui arrive dès 7h le matin ? »
À ce stade, je ne soupçonne plus mon boss, je sais qu’il est coupable. L’enquête à résoudre est simple : nous sommes une dizaine de collaborateurs. La moitié mange à l’extérieur le midi, et nous sommes seulement trois à rester sur place. Bizarrement, le boss ne déjeune jamais, mais reste seul jusqu’à 22h le soir… Forcément, ça creuse. Nous n’avions pas de preuve irréfutable, mais un faisceau d’indices qui pointait bien dans sa direction.
Du côté des disparitions, une de mes fameuses salades de régime s’est également déjà volatilisée, attisant mon désir de revanche.
On était tous autant scandalisés qu’amusés par la situation. On se disait qu’avec tous ces vols, il devait y avoir une petite souris qui accumulait des quantités énormes de nourriture, mais on savait que le gros rat de cette histoire… c’était notre boss ! Que faire face à un patron qui te vole sans vergogne ta nourriture ? On en était presque arrivé à lui tendre des pièges. Du genre, placer une tapette à souris dans les Schokobons et attendre qu’il se fasse pincer la main dans le sac.
Rien de grave en soi, mais cela aurait potentiellement pu créer des tensions et un climat de suspicion mutuelle malsain au sein de l’équipe pour un truc aussi léger que des vols de bonbons ! À ma connaissance, mon patron ne s’est jamais fait prendre la main dans le sac et personne n’a jamais osé lui dire quoi que ce soit. Mais j’espère qu’il se reconnaîtra… et aux dernières nouvelles, après un fort turnover lié à un climat de terreur (mon patron cochait décidément toutes les cases du bingo du manager toxique), les recrues étaient moins enclines à financer la morning routine du boss… qui a fini par acheter du café et même, à le mettre à disposition de tous. En mentionnant bien que c’était de sa poche. La bonté incarnée quoi. Alors que c’est juste normal, non ? Dois-je le rappeler, on vit une période d’inflation et il serait plus que malvenu de continuer à piller les denrées de ses subordonnés.
Article édité par Aurélie Cerffond, photographie par Thomas Decamps
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