Mensonge en entretien d’embauche : bluff acceptable ou erreur rédhibitoire ?

18 nov 2024

7 min

Mensonge en entretien d’embauche : bluff acceptable ou erreur rédhibitoire ?
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Laure Girardot

Rédactrice indépendante.

colaborador

Pour décrocher le poste rêvé, certains candidats n'hésitent pas à ajuster leur CV, voire à enjoliver leurs compétences. Entre petits arrangements et fausses déclarations, où se situe la ligne rouge entre embellissement acceptable et mensonge problématique ?

Compétences surestimées, expériences embellies, voire diplômes inventés – pour certains, décrocher le poste convoité semble justifier une certaine flexibilité avec la réalité. Selon une étude de Florian Mantione, auteur du Livre noir des CV trompeurs et fondateur d’un cabinet de recrutement, 65 % des CV comporteraient une fausse information, et deux tiers des candidats avouent avoir déjà mis des informations erronées dans leur parcours. Ces petites « adaptations » passent-elles toujours inaperçues ? Et surtout, quels en sont les véritables coûts pour le candidat et pour l’entreprise ? Si cette stratégie peut parfois réussir, elle comporte des risques.

44 % des dirigeants considèrent le mensonge en entretien comme une erreur grave, pouvant ruiner la crédibilité du candidat et fragiliser la relation dès les premiers instants. Mais peut-on blâmer les candidats qui, dans un marché compétitif, cherchent à enjoliver leur profil ? Et d’ailleurs, certaines entreprises ne « vendent-elles » pas elles aussi une image quelque peu embellie d’elles-mêmes pour attirer des talents ?

Entre embellissement ou supercherie, où placer le curseur du mensonge ?

Les mensonges lors du processus de recrutement sont légion. Selon une étude du cabinet de recrutement Robert Half de 2018, 42 % des candidats mentent sur la durée des missions, 40 % sur leurs compétences techniques et 34 % sur leurs compétences linguistiques.

Les embellissements bénins

Certains ajustements mineurs, comme étendre légèrement la durée d’une mission ou amplifier la responsabilité d’un poste, sont courants. « Ce genre d’arrangement est souvent pardonné, car il ne remet pas en question les compétences essentielles du candidat », explique Marie-Sophie Zambeaux, consultante, auteure et conférencière en recrutement et marque employeur. En effet, ces petits ajustements peuvent être tolérés dans la mesure où ils ne créent pas de décalage notable entre le profil présenté et les compétences réelles nécessaires au poste. Cependant, ils alimentent une pression latente sur le marché de l’emploi, où « la quête de perfection pousse les candidats à se rapprocher de l’idéal attendu, parfois au prix d’une légère distorsion de la réalité ».

Le gonflement des compétences ou responsabilités

Dans d’autres cas, certains candidats assurent maîtriser des compétences techniques… qu’ils ou elles n’ont pas ! Un problème particulièrement prégnant dans le secteur de la tech, où les attentes sont très spécifiques. Jessica Djeziri, DRH chez Bloomays, se souvient d’un cas pareil : « Un jour, un candidat a utilisé ChatGPT pour réussir un test de programmation et a été embauché. Sauf qu’une fois en situation réelle dans l’entreprise, il n’a pas su reproduire ce niveau d’exigence. » La divergence entre les compétences affichées et le niveau réel a entraîné une discussion franche avec le manager, qui a découvert le stratagème. Cette situation a finalement conduit à la fin de la période d’essai. « Résultat : il vaut mieux être honnête sur ses compétences que de risquer une incompatibilité qui peut nuire à la productivité et à la confiance », insiste Jessica Djeziri.

Les mensonges graves impactant la performance ou la conformité légale

Les mensonges graves, tels que les faux diplômes ou certifications, peuvent avoir des conséquences bien plus lourdes, notamment dans les professions réglementées. Dans des secteurs stricts et normés, tels que la médecine ou l’architecture, de telles fausses déclarations peuvent poser des risques juridiques significatifs pour les entreprises, surtout en cas d’incidents. En effet, « un faux diplôme dans une profession réglementée peut compromettre la sécurité des clients et entraîner des sanctions pénales pour l’entreprise », avertit Marie-Sophie Zambeaux. Dans ces domaines, les qualifications officielles ne sont pas seulement une question de compétences : elles garantissent un savoir-faire essentiel à la sécurité et au respect des normes.

Compétences, expériences, diplômes… pourquoi cette tromperie du côté des candidats ?

La pression du marché de l’emploi

Les exigences du marché du travail créent une pression forte pour les talents, qui peuvent parfois se sentir contraints de modifier leur CV pour répondre aux attentes. C’est le cas de Lise Pimard, aujourd’hui directrice générale d’Agrume, qui explique que les barrières à l’entrée persistantes l’ont poussée à cocher des cases académiques fictives. « J’ai menti sur ma formation car je n’avais qu’un bac en poche. C’était au début de ma carrière, et je devais cocher la case ‘j’ai un diplôme’ pour éviter que des portes ne se ferment », avoue-t-elle. « C’était une nécessité administrative, non un mensonge sur mes compétences réelles », précise-t-elle. Lise Pimard fait écho aux attentes des recruteurs d’un parcours sans failles, qui « incitent les candidats à ajuster leur CV pour correspondre aux standards de perfection imposés ». Si ce mensonge ne l’a pas empêchée de réussir, il représente néanmoins une barrière persistante qui « reste problématique dès que l’on change de job », précise-t-elle.

Symétrie des mensonges : les entreprises co-responsables du phénomène ?

Il est fréquent que les entreprises, elles aussi, enjolivent leur image pour se rendre plus attractives. Ce phénomène de « symétrie des mensonges » se retrouve dans les descriptifs de poste, où des expressions comme « leader de son secteur » ou « équipe dynamique » sont souvent employées pour attirer des talents, selon Marie-Sophie Zambeaux. « Les candidats répondent en quelque sorte aux stratégies de communication des entreprises par des stratégies similaires sur leur CV », explique-t-elle. Jessica Djeziri insiste sur l’importance de la transparence : « Employeur et employés n’ont rien à gagner à mentir. Il faut être honnête sinon cela conduit à des problématiques qui nuisent à la collaboration, des ruptures de confiance qui, à terme, ne mènent à rien de positif. »

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Conseil n°1 : mesurez la gravité du mensonge avant de décider de la mesure appropriée

Pour les cas mineurs, « si l’embellissement ne modifie pas la capacité du candidat à réussir dans le poste, cela peut être abordé de manière détendue », conseille Marie-Sophie Zambeaux. On peut, par exemple, poser une question ouverte, telle que « Pourriez-vous détailler votre rôle et la taille de l’équipe sur cette mission ? », ce qui permet au candidat de clarifier sa réponse sans confrontation directe. Pour les exagérations plus sérieuses mettant en jeu des compétences fondamentales, il est recommandé de poser des questions approfondies en entretien et d’utiliser des outils de vérification. « Un candidat qui affirme être expert dans un logiciel ou une méthode peut, par exemple, passer un test pratique pour valider ce niveau », souligne notre experte.

Enfin, pour les mensonges graves, tels que la présentation de faux diplômes ou de certifications obligatoires, une vérification formelle est indispensable. « Le recruteur doit obtenir le consentement du candidat avant de procéder à une vérification auprès de l’établissement concerné », rappelle Marie-Sophie Zambeaux. Une copie certifiée du diplôme peut être demandée, ou le candidat peut être informé que l’employeur se réserve le droit de vérifier les qualifications en cas de doute. Si le mensonge est avéré, cela constitue un manquement grave à l’honnêteté, justifiant souvent une exclusion du processus de recrutement.

Conseil n°2 : vérifiez vos soupçons sans virer au syndrôme Colombo

Les recruteurs ont la responsabilité de vérifier l’authenticité des informations fournies, sans pour autant tomber dans une suspicion excessive. « Une vérification minutieuse des qualifications est essentielle, mais elle doit être faite sans excès de méfiance », souligne Marie-Sophie Zambeaux. La loi encadre strictement les informations demandées lors du recrutement. Selon l’article L.1221-6 du Code du travail, « les informations demandées […] au candidat à un emploi ne peuvent avoir comme finalité que d’apprécier sa capacité à occuper l’emploi proposé ou ses aptitudes professionnelles ». Ces informations doivent donc être en lien direct et nécessaire avec le poste.

Pour éviter ce genre de situation, de nombreux recruteurs mettent en place des pratiques de vérification. « La prise de références est un outil essentiel pour évaluer la véracité du parcours d’un candidat », affirme Jessica Djeziri. Parfois, une simple prise de références peut révéler des incohérences, comme dans le cas d’un candidat ayant allongé la durée d’une expérience pour masquer la fin prématurée d’une période d’essai. Dans certains pays, notamment aux États-Unis, les systèmes de « reference check » sont encore plus développés, permettant aux entreprises de vérifier l’historique d’emploi d’un candidat de manière systématique. « En France, ces pratiques sont encore rares, mais elles pourraient constituer un outil efficace pour limiter les risques liés aux faux CV », ajoute la recruteuse.

Conseil n°3 : restez attentif aux biais à l’oeuvre dans vos pratiques de vérification

Cependant, la vérification systématique des informations sur les candidats n’est pas sans soulever des questions éthiques. L’un des principaux risques est le biais de confirmation. « Vouloir à tout prix déceler des incohérences peut mener à une suspicion excessive et fausser le jugement », souligne Marie-Sophie Zambeaux. Cette approche peut pousser les recruteurs à interpréter défavorablement des éléments ambigus, créant ainsi une vision biaisée du candidat.

Par ailleurs, certaines pratiques, comme les recherches approfondies sur les réseaux sociaux ou les références non autorisées, entrent dans une zone grise en termes de respect de la vie privée. En effet, la manière dont les recruteurs mènent leurs vérifications a un impact direct sur l’expérience candidat et, par extension, sur la marque employeur. « Favoriser un processus de recrutement équilibré et respectueux aide à encourager une communication honnête des deux côtés », conclut-elle. En étant transparents dans leurs pratiques, les recruteurs contribuent également à renforcer l’image positive de leur entreprise.

Conseil n°4 : agissez en conséquence si le mensonge est avéré

Du petit mensonge à la sanction légale, il n’y a parfois qu’un pas. Tout candidat est tenu par une obligation de bonne foi dans ses réponses. Si un salarié fournit des informations trompeuses cruciales pour l’obtention du poste, cela peut donc entraîner des conséquences lourdes pour les candidats, tant sur le plan professionnel que juridique, à l’image d’un licenciement pour faute grave. Sur le fondement du dol (article 1116 du Code civil), un contrat de travail peut être annulé si l’employeur prouve que le mensonge, comme un faux diplôme, a été déterminant dans sa décision d’embauche.

Cependant, cette annulation reste rare et ne concerne que les tromperies majeures. En cas de faux diplômes, un licenciement pour faute grave est justifié si l’employeur prouve que le diplôme était essentiel pour le poste, à condition qu’il ait vérifié les qualifications lors de l’embauche. De plus, le salarié ne peut pas exiger de formation pour des compétences qu’il a prétendu posséder, alléguant ainsi l’obligation d’adaptation de l’employeur. Enfin, le Code pénal (article 441-1) prévoit une condamnation pouvant aller jusqu’à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende pour les salariés produisant de faux diplômes. Autant de sanctions qui visent à dissuader les fraudes et à préserver une relation de confiance nécessaire entre employeurs et employés.

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Article rédigé par Laure Girardot et édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps.

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