Les vacances illimitées : rêve des salariés ou fausse bonne idée ?
17 févr. 2018
5min
Communications & content manager
Née aux États-Unis, la tendance des vacances illimitées se répand en France dans le milieu de la tech. La promesse ? Attirer et garder des talents toujours à la recherche de meilleures conditions de travail, mais aussi, offrir plus de liberté et d’autonomie aux salariés qui décident seuls du nombre de jours de congés payés qu’ils souhaitent poser.
Si tout le monde en rêve, il semblerait que les vacances illimitées n’aient pas que des avantages. C’est même un sujet qui divise fortement les chefs d’entreprises. Pour les fondateurs de Popchef, un service de restauration éco-responsable en entreprise, c’est une réussite : « Nous croyons à la gestion par la confiance. Les vacances illimitées responsabilisent : la liberté est complète tant que cela ne nuit pas à la boîte. » Un avis que ne partage pas Gilles Satgé, PDG de Lucca, une start-up qui édite des logiciels. « De mon point de vue, c’est de l’hypocrisie. Juste une belle vitrine, mais en pratique, cela doit créer des tensions au sein des équipes », raconte le chef-d’entreprise qui a choisi de responsabiliser ses salariés d’une autre façon puisqu’ils ont la possibilité de choisir eux-mêmes leur augmentation de salaire.
Mais alors dans quels contextes la pratique des vacances illimitées est-elle envisageable ? Quels sont les arguments qui peuvent peser dans la balance ? Et comment la mettre en place de manière efficace, afin d’éviter les débordements ?
“Pour” : des entreprises inconditionnelles du concept
Comme un vent de liberté
Tant que les objectifs d’un collaborateur sont atteints, il peut prendre des congés payés illimités.
Chez Popchef, « on prend des vacances quand on veut, à condition tout de même que cela ne pénalise pas l’équipe. Par exemple, si on est directeur des Opérations et que l’équipe développe un nouveau produit, on n’est pas indispensable dans le processus à ce stade et donc il possible de partir en vacances et revenir avant le lancement, explique François Raynaud de Fitte, le co-fondateur. Nous prenons six semaines de vacances en moyenne, ce n’est ni un abus ni pas assez. » Les employés sont libres de s’organiser comme ils le souhaitent, en toute confiance.
Un système gagnant-gagnant
« C’est un choix culturel, estime François co-fondateur de Popchef. Nous sommes convaincus que plus l’on a de règles et de process, plus chacun essaie de resquiller. Au contraire, lorsque les collaborateurs bénéficient au quotidien de confiance, ils n’en n’abusent pas et se responsabilisent. Ils sont aussi plus productifs et plus heureux. C’est gagnant sur tous les points ». Pour Gwen Rivet, Growth développeur chez OpenClassrooms, un site de formation à distance, c’est un processus qui se passe généralement bien. « Les membres des équipes sont bienveillants, ils aiment leur travail, ils veulent que la mission de la boîte soit menée à bien, et donc s’autorégulent. Il n’y a pas de dérapage, car on est tendus vers un but commun en lequel on croit. »
Les bénéfices
Puisque les salariés ont la possibilité de prendre des jours en plus, cette pratique a un effet bénéfique qui se répercute sur leur efficacité et leur moral. Les vacances illimitées sont même un outil pour rester en forme. Lorsqu’on commence à fatiguer, on peut poser des jours. « C’est génial de savoir qu’on a la possibilité d’en prendre un peu plus si besoin », explique Gwen.
Les dirigeants d’OpenClassrooms l’ont bien compris : prendre des vacances à un effet bénéfique sur la santé de leurs épuiques et donc sur leur capacité à mener à bien leurs missions. Et par “vacances”, Mathieu et Pierre, les co-fondateurs, entendent des périodes longues. Pour être certains que les collaborateurs les posent, ils ont mis en place une prime de 1000€ pour quiconque poserait trois semaines au moins d’affilée.
Pour Clémence Decoene, responsable Marketing de Popchef et grande voyageuse, la flexibilité qu’offrent les vacances illimitées
est très appréciable. « Je pose souvent des jours la veille, raconte-t-elle. Et de manière générale, on bénéficie tous de cette flexibilité : une fois, je devais partir au Sri Lanka, et mes billets ont été annulés. J’ai pu en reprendre un peu plus tard sans problème. »
“Contre” : des entreprises farouchement opposées
Si le principe des vacances illimitées est séduisant, il ne convainc pas tout le monde… Et pour cause : si cela dérape, ça peut vite poser des problèmes dans les équipes, voire mettre en danger la productivité de l’entreprise.
Gilles Satgé, le président-fondateur de Lucca, a même un avis très tranché sur la question. Pour lui, il s’agit “d’un concept fumeux” et ce pour trois raisons :
1. Cela brouille le contrat entre les deux parties.
Le travail offre forcément des contreparties, et là, il y n’y a plus de barème entre le patron et l’employé. Ainsi, « beaucoup peuvent se demander quelle est la règle : on prend des congés quand on veut, pour peu que le travail soit fait, mais où fixe-t-on le travail demandé ?, se demande le chef d’entreprise. Ce n’est pas faire un cadeau que de ne pas clairement définir ces termes. Pour moi, les bons comptes font les bons amis. Là soit l’employeur soit l’employé en profite. »
2. Cela peut créer des tensions et des injustices entre les salariés
En pratique, il peut aussi y avoir des différences entre les salariés, occasionnant des tensions dans les équipes. Gilles Satgé estime, qu’« une personne surchargée prend moins de congés et cela crée à terme des injustices. »
3. Ce n’est qu’une illusion
Enfin, il voit les vacances illimitées comme une hypocrisie de la part de patrons qui tablent sur le fait que les employés n’oseront pas les prendre et économisent ainsi des charges. « Certains le font pour de mauvaises raisons. Ils savent que leurs employés auront la pression et qu’ils ne prendront pas autant de vacances, explique-t-il. Ceux qui ont des boîtes aux États-Unis n’hésitent pas à le faire parce que de cette façon ils n’ont pas à provisionner de congés payés et y gagnent financièrement. C’est hypocrite de donner l’impression de choyer ses salariés quand on le fait dans un tout autre but. »
Deux visions opposées s’affrontent donc sur la question des vacances illimitées, mais comment expliquer un tel désaccord ?
Une compatibilité culturelle ?
Pour fonctionner, les vacances illimitées doivent s’inscrire dans un certain contexte favorisé par la culture de l’entreprise
La différence résiderait alors dans le style de management
Le concept des vacances illimitées semble fonctionner dans les entreprises où les collaborateurs sont très autonomes dans leurs décisions, comme le précise Clémence de Popchef : « Cela ne doit pas être aussi efficace si les gens ont besoin d’être très encadrés. » De même, pour François, « cela dépend de la culture d’entreprise : si c’est très hiérarchisé, si on met en place les vacances illimitées, les gens auront peur d’en prendre. Mais dans une entreprise libérée, où l’on écrase la hiérarchie, mais aussi où l’on dédramatise la sieste et le télétravail, cela marche. »
Un cadre juridique peut être mis en place
Dans les entreprises au fonctionnement plus traditionnel, ce concept peut également être mis en place, avec certains aménagements. Selon Gilles Satgé de Lucca, « si le temps de vacances maximum pris est défini en amont en accord avec l’employé, par exemple à la signature du contrat, ou sur une base annuelle, c’est acté, alors cela part sur une base saine entre patrons et collaborateurs. » Ces cadres juridiques sont garants du fait que la pratique ne débordera pas, et tant mieux.
Tout est donc possible, reste aux entreprises de placer le curseur et de définir comment mettre en place ce concept. L’important sur le sujet des vacances illimitées, comme sur tous les autres relatifs à la vie de l’entreprise : il doit être débattu sans tabou avec toutes les parties prenantes.
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