Travailler en Venture Capital, les coulisses du métier
28 févr. 2018
5min
WI
En 2017, les start-up françaises ont levé près de 2,5 milliards d’euros. C’est près de 400 millions d’euros de plus qu’en 2016. Pour incarner ces chiffres qui atteignent des sommets, des start-up comme Vestiaire Collective ou ManoMano, et des personnalités comme Xavier Niel. De grands noms et des histoires qui participent à la « hype » du secteur et qui donnent à beaucoup de jeunes l’envie de se tourner vers le métier d’investisseur en Venture Capital (capital risque en français). Sans forcément connaître la réalité du métier…
Pour vous, nous avons demandé à Marc Laurent, Partner chez Kerala Ventures, et Bartosz Jakubowski, Investisseur chez EQT Ventures, de nous donner les clés de leur métier et de nous en dévoiler les coulisses.
Le Venture Capital, un secteur qui attire
Un métier qui a ses avantages…
« Une manière de faire partie de l’écosystème start-up sans prendre le risque de mettre tous ses œufs dans le même panier » Bartosz Jakubowski chez EQT Ventures
À ceux pour qui la prise de risque liée à l’aventure en start-up peut faire peur, le Venture Capital s’offre comme « une manière de faire partie de l’écosystème start-up sans prendre le risque de mettre tous ses œufs dans le même panier » selon Bartosz, la position d’investisseur diversifiant son risque étant plus confortable que celle de l’entrepreneur jouant tout sur la réussite de son entreprise.
C’est aussi un métier fait de rencontres qui plaira aux plus friands de contact humain, où la routine ne semble pas avoir sa place selon lui : « on côtoie des entrepreneurs qui sont tous différents, venus de pays différents, à des stades de développement différents et opérant dans des secteurs différents. »
Il nous apprend aussi que la position d’investisseur « permet des allers-retours constants entre le très opérationnel dans l’accompagnement (problématiques d’achats, de RH…) et des réflexions beaucoup plus stratégiques (impact de l’évolution macro-économique sur le business de l’entreprise…) ». Une double casquette qui ravira ceux qui aiment être au cœur du réacteur, tout en prenant parfois un peu de hauteur.
… et ses inconvénients.
« Les gens fantasment parfois sur notre métier qui reste solitaire et indépendant. » Marc Laurent chez Kerala Ventures
Marc nuance pourtant ce tableau : « Les gens fantasment parfois sur notre métier qui reste solitaire et indépendant ». Même si le métier reste pour lui un vrai plaisir : « Vivre et partager avec les entrepreneurs, c’est quelque chose de fou. Sur onze deals par exemple, deux ont été initiés par une relation en soirée ou dans le cadre complètement privé ».
C’est un métier solitaire, où la frontière entre travail et vie privée est mince, comme le confirme Bartosz : « C’est un rythme intense en terme de sollicitations, car il faut être disponible tout le temps. Il faut aimer “serrer des paluches”, rencontrer du monde, et accepter qu’une bonne partie du travail se fasse dans le cercle privé ». Une indépendance qui offre tout de même des avantages, puisque « on ne se fait pas imposer d’horaires, et on peut travailler et s’organiser comme on le souhaite. »
La temporalité du métier peut quant à elle ne pas plaire à tout le monde, et même empêcher ceux qui ont besoin d’être rassurés régulièrement de se réaliser : « La chaine de feedback est assez longue » pour Bartosz, « entre le moment où on prend la décision d’investir dans un projet et la sortie (qui est le moment où l’on sait si notre décision est la bonne) il peut se passer plus de 5 ans. »
Enfin, il faut être capable de dire non, ce qui peut se révéler difficile sur le plan humain : « Notre métier est sélectif : sur plus de 200 propositions, nous n’en retenons que quatre ou cinq par an ». Des refus qui peuvent avoir un goût amer quand on sait qu’on passe à côté de bonnes opérations qui « nous filent entre les doigts uniquement parce qu’elles ne rentrent pas dans les plans et les critères de notre fonds. »
Comment faire ce métier, et comment réussir ?
Quels sont les types de profils recherchés ?
« Ce n’est pas tout d’avoir une tête bien faite, nous recherchons des gens qui ont démontré un intérêt pour l’écosystème start-up. » Bartosz Jakubowski chez EQT Ventures
Au-delà d’avoir un profil type qui remplirait tous les critères, le vrai plus pour être recruté est de se montrer opérationnel. Selon Marc : « il faut être assez rapidement actionnable, si possible avec des connaissances sur un secteur ou une technologie qui fait que l’on peut rapidement apporter de la valeur ». Et de préciser que chaque fonds est différent : « Chez Kerala, nous passons 90% de notre temps sur l’accompagnement. C’est notre cœur de métier, car notre objectif de deals par an est bas. Ce n’est pas le cas de tous les fonds ». Dans une recherche d’emploi, il faut donc être capable d’identifier l’ADN de chaque fonds pour orienter au mieux sa candidature.
Quant aux expériences passées, elles sont valorisées différemment selon les établissements pour Bartosz, puisque «_ les profils recherchés dépendent de la taille du fond : plus le fond est important, plus les profils de type banque d’affaires / cabinets de conseil auront leur place. Mais cela va aussi dépendre de la culture, qui fait que certains fonds privilégient des gens qui viennent de start-up. _»
Pour les étudiants en fin d’études, les fonds de Venture Capital s’intéressent à des profils venus d’école de commerce, d’ingénieurs et assimilés de premier plan. En charge de nombreux recrutements pour des participations d’EQT Ventures, Bartosz insiste sur le fait qu’il s’agit avant tout d’une question d’état d’esprit : « Ce n’est pas tout d’avoir une tête bien faite, nous recherchons des gens qui ont démontré un intérêt pour l’écosystème start-up au travers de leurs stages, de la création d’une entreprise, d’une association ou l’écriture d’articles sur le sujet - et qui sont débrouillards. »
Pour Marc, le passage en start-up est « un vrai plus ». Son conseil pour les jeunes qui ciblent un fonds, « _c’est de se faire une idée en regardant les profils LinkedIn des juniors et de voir s’ils ont soit monté une start-up, soit travaillé dedans. _»
Et pour celles et ceux qui ont déjà une expérience professionnelle et qui souhaitent se réorienter, deux types de candidats sortent du lot : les profils analytiques (ancien de banque d’affaires, de cabinet de conseil ou de fonds d’investissement), ainsi que les profils déjà passés par une start-up.
Quelles sont les qualités requises pour intégrer un fonds de VC ?
Lorsque l’on demande aux deux investisseurs quelles sont les qualités nécessaires pour intégrer un fonds de Venture Capital, la passion pour l’univers des start-up et de l’entrepreneuriat est au cœur de leur discours, Marc insistant sur le fait que « pour se démarquer, il faut être motivé et passionné : lire de la littérature, rencontrer des entrepreneurs, aider des start-up… Dans les lectures à conseiller, il y a par exemple “The hard thing about hard things”. Dans les médias, il est intéressant de suivre à la fois les informations chaudes et de lire de bons articles. »
Et Bartosz de préciser que sur le plan opérationnel, discipline et implication sont les clés du métier : « D’abord, il faut beaucoup de discipline, car il est assez facile de se laisser emporter à faire de la recherche sur une boite ou sur un sujet. Aussi, on ne peut pas être performant si on a une séparation trop stricte entre vie privée et vie professionnelle. Beaucoup de travail se fait en soirée ou dans le cadre privé. »
Quels sont vos conseils pour réussir ?
« Il faut agir comme un VC avant d’avoir écrit VC sur votre carte de visite. » Bartosz Jakubowski chez EQT Ventures
Le conseil de Marc, c’est avant tout « d’être généreux. Il faut vouloir donner de son temps, être passionné et rencontrer des VC établis ». Si la formule nous a surpris, cet état d’esprit est indispensable pour évoluer dans ce métier de passionnés. Des valeurs aussi soulignées par Bartosz pour qui il faut absolument « faire ce métier avant de le faire ». Une autre formule surprenante, qu’il éclaire en conseillant « d’agir comme un VC avant d’avoir écrit VC sur votre carte de visite : créez-vous un point de vue sur un secteur ou une boite, et créez-vous un réseau dans ce secteur. C’est un vrai plus pour réussir. »
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Photo by WTTJ @Kerala Ventures
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