Choisir sa carrière : et s'il valait mieux s'opposer à l'avis de ses parents ?
06 juin 2022
5min
Journaliste Freelance
L’orientation, c’est un peu une chasse au trésor. Sur ce chemin semé d’embûches, où l’on se demande parfois quel virage passer, quelle étape éviter, où l’on navigue entre espoirs et déceptions, on ne dirait pas non à une aide extérieure. S’épancher auprès de ses proches semble alors souvent évident. Hélas, ils sont rarement de bons conseillers ! Deux experts en ressources humaines nous expliquent comment gérer notre famille sur ce sujet si sensible. Et surtout qui consulter en cas de doute.
« T’as encore changé d’avis ? » ; «il n’y a pas de débouchés dans cette voie-là ». « Ah. Mais tu veux vraiment faire ÇA ? » ; « et tu vas faire quoi, si tu n’as pas le concours ? » ; « à un moment donné, il faudra te trouver un VRAI travail. » Et voilà. Vous venez d’exposer vos beaux projets professionnels à votre père, votre sœur, votre tante et, en quelques secondes et paroles maladroites, vous repartez le cœur serré, bourré de doutes, d’inquiétude et de colère face à vos espoirs d’avenir.
C’est que, s’amuse Mathilde Forget, coach spécialisée en reconversion et fondatrice de Bilan de sens©, « orienter, c’est un vrai métier… Les proches, et c’est tout à leur honneur, veulent aider, mais ce ne sont pas des professionnels de l’accompagnement et de l’orientation. Malgré toute leur capacité d’empathie et d’écoute, c’est tout un art d’apprendre à mieux se connaître, à comprendre le monde du travail et à découvrir les métiers ou les carrières qui nous correspondent. »
Surtout, ajoute cette ancienne chasseuse de tête, il y a un véritable conflit générationnel entre les « boomer » (personnes nées pendant le baby-boom, entre 1945 à 1965) et la génération Z (entre 1998 et 2010), voire Alpha (2010-2020). « Le marché du travail a considérablement changé, tout comme les aspirations professionnelles, explique la jeune femme. Les boomers cherchaient la sécurité de l’emploi, la carrière, la stabilité des finances. La Genération Z valorise davantage le sens, la contribution, l’équilibre entre la vie professionnelle et personnelle. C’est presque comme si ces générations parlaient deux langues différentes. » Dans ce contexte, il est en effet difficile, pour les parents, de comprendre les envies et les choix de leurs enfants…
Biais, projections et peurs souterraines
S’ajoute à cela toute une série de biais plus ou moins conscients, ajoute Marjorie Llombart, coach en reconversion professionnelle, qui s’est spécialisée dans l’accompagnement de personnes ayant des parcours atypiques ou souhaitant donner du sens à leur carrière. « Les proches ne peuvent pas être neutres. Leurs craintes se mêlent bien souvent à leurs propres enjeux professionnels, leurs projections et leurs regrets, leurs désirs de carrière inassouvis », explique ainsi l’autrice de Dessine-toi une Carrière (éditions Dunod). À moins que vos proches aient entrepris un travail sur eux, ils ont donc forcément un peu de mal, et c’est normal, à mettre à distance toutes leurs émotions enfouies, car ce genre de conversation agit comme un miroir sur leur propre situation, sur leurs décisions, voire leurs frustrations.
Pour certains, c’est surtout le poids de la tradition familiale qui perturbe le choix d’orientation. Inconsciemment ou non, cette filiation exerce une forme d’injonction sur la progéniture. « Certaines familles produisent des lignées de métiers prestigieux, avocats, médecins… Ils ont du mal à envisager que leur enfant quitte cette culture, explique Marjorie Llombart. Et de la même manière, dans certains milieux ouvriers, les enfants qui désirent s’élever socialement sont mal considérés par leur entourage, car ils donnent l’impression de rejeter leur milieu. »
La famille, garde-fou, bêta-testeur et cobaye
Pour autant, inutile de jeter le bébé avec l’eau du bain. « La famille reste un garde-fou indispensable, notamment lorsqu’on souffre de doutes persistants ou qu’on traverse une période de formationite aiguë », insiste Mathilde Forget. Consulter sa famille est utile pour échanger, discuter, mais… pas pour prendre ses décisions. Mieux, la famille peut jouer un rôle de bêta-testeur personnel, pour affronter le regard des autres et tester ses arguments, préparer/ajuster son discours. De cette façon, on apprend à ne pas être déstabilisé à la première remarque, surtout celle d’inconnus, de recruteurs, voire, qui sait, de financeurs ! Si le discours sonne faux, c’est peut-être que nous ne sommes pas, nous-mêmes, convaincus par nos choix. « Bref, les proches sont aussi les premiers cobayes de notre storytelling et ce n’est pas si négatif qu’ils soient à côté de la plaque ! », ajoute Mathilde Forget, qui rappelle l’importance de bétonner d’abord son introspection afin de ne pas voir voler en éclat son enthousiasme au premier argument « contre ».
Mais justement, comment répondre aux regards exaspérés, aux tons effrayés, aux remarques blessantes ? Pour Mathilde Forget, « mieux vaut éviter l’agressivité, du genre : « tu ne comprends rien ! Quel loser ! » Mais plutôt privilégier : « J’entends tes remarques, j’entends tes craintes et ton inquiétude. Tu parles peut-être de toi, ça te ferait peut-être peur de créer ton activité, mais au fond de moi, c’est quelque chose qui est là et qui m’anime. Et je suis motivé pour trouver toutes les ressources en moi pour faire quelque chose de cette formation. » Bref, il ne s’agit pas de rejeter en bloc les conversations sur l’orientation avec sa famille, mais d’échanger sur ses recherches, ses décisions, sans demander l’aval ni l’assentiment.
Mais alors, vers qui se tourner pour demander conseil ?
Soyons honnête, il est plus facile de gérer l’angoisse de ses proches lorsque ses choix professionnels sont affirmés. En matière d’orientation, le cheminement prend du temps, le fameux « métier-passion » pesant encore beaucoup sur l’éducation au choix, comme une sorte de Graal inatteignable, réservé à quelques privilégiés. Ce chemin est d’autant plus difficile, regrette Marjorie Llombart, que l’école ne prépare pas les élèves à cette étape cruciale de la vie. « Les professionnels de l’enseignement n’ont souvent connu que l’Éducation nationale et ont parfois des a priori sur le monde du travail. »
Dans ce contexte, la première chose à faire, recommande la coach, est de « viser d’abord ce qu’on aime faire, car le monde du travail et le monde tout court est volatile, incertain, complexe et ambigu. Les jeunes doivent apprendre à s’adapter, savoir pivoter. Très peu d’entre eux auront des carrières linéaires ! Commencer par mobiliser ses talents permet de se lancer dans une dynamique positive, plutôt que de choisir une voie raisonnable pour tout déconstruire deux ans plus tard, car on s’ennuie à mourir… » En ce sens, les structures d’aide à l’orientation classique sont les premières pistes à suivre lorsqu’on cherche des ressources en orientation professionnelle. « L’Onisep et les Maisons de métiers peuvent aider à analyser les compétences et les talents », explique Marjorie Llombart.
Cette étape représente le premier « défrichage », pour mieux comprendre la diversité des métiers et des carrières. Ensuite, estiment les deux expertes, l’une des solutions les plus pertinentes consiste à rencontrer des professionnels, voire, pour ceux qui l’acceptent, à passer quelques jours en immersion avec eux.
« Depuis quelques années, Pôle Emploi et l’Apec demandent aux chercheurs d’emploi de réaliser des enquêtes métiers, indique Mathilde Forget. Le problème, c’est que sur LinkedIn, les professionnels sont vite submergés de demandes. Mieux vaut passer par des réseaux comme Myway experience », qui propose des immersions chez des professionnels reconvertis. Un excellent moyen de se confronter à la réalité d’une profession, créer son premier réseau et confirmer ses choix. Même si, met en garde Mathilde Forget, il faut là encore savoir prendre de la distance. Chaque vision d’un métier est, de fait, personnelle et subjective.
Le droit à l’erreur
En cas de doutes persistants, de peurs invalidantes ou d’échecs répétés, il est recommandé de se faire accompagner par un psychologue ou un coach en orientation, afin d’analyser les freins qui engendrent ces schémas répétitifs et de travailler sur la confiance et la connaissance de soi, tous deux nécessaires aux choix d’orientation. La pratique d’un sport ou d’une activité dans lequel on est reconnu participe aussi de l’amélioration de l’estime de soi et d’une certaine habilité à l’auto-bienveillance.
Dans tous les cas, même si on se plante dans nos choix d’orientation, l’échec n’est pas une fatalité, bien au contraire. « Des études récentes en neurosciences ont montré que l’échec était une étape indispensable vers la réussite… À condition d’en avoir tiré les leçons », conclut Marjorie Llombart. Nul doute, en revanche, que l’amour des proches est nécessaire en cas de coup dur, de déception ou de besoin d’encouragement, de commentaire bienveillant. C’est là toute la singularité de l’orientation professionnelle et de la carrière : c’est un choix purement individuel, mais il implique forcément les proches. Il faut juste être capable, tout comme on pilote seul sa carrière, de guider sa famille sur la manière dont on souhaite être écouté et soutenu.
Article édité par Aurélie Cerffond, photo Thomas Decamps pour WTTJ
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