Université vs école, quel cursus prépare le mieux au monde du travail ?
03 juin 2020
8min
Journaliste
On pourrait résumer l’orientation à un ensemble de prises de décisions. Continuer, arrêter, changer, se réorienter ? De l’obtention du baccalauréat à la fin des études supérieures, ces questions nous habitent. Et dans l’océan d’options qui s’offrent à nous, un dilemme revient régulièrement : entre l’école et l’Université, quelle voie choisir ? Pour y voir plus clair et surtout, savoir quelle option prépare le mieux au monde professionnel, nous avons interrogé des salariés en début de carrière qui ont jonglé entre les deux cursus. Témoignages.
Une question particulièrement complexe
Parce qu’il existe une multitude de diplômes et d’établissements, il est difficile de s’y retrouver dans le paysage de l’enseignement supérieur français et de déterminer quel parcours offre la meilleure formation tout en étant la plus reconnue par les professionnels de son secteur. En préambule, nous vous avons concocté un petit rappel des différentes options qui s’offrent à chacun :
Les grandes écoles
HEC, Sciences Po, l’École Polytechnique, Centrale… ces noms, vous les connaissez tous, elles sont le gratin de l’enseignement supérieur français et la voie royale pour certains métiers très qualifiés. Mais pénétrer dans ces institutions n’est pas chose simple et l’admission est souvent réservée à un petit nombre d’élus déjà passés par les classes prépa ou à des acharnés qui ont réussi à briller à des concours passerelles.
L’Université
Cette voie qui prépare les étudiants à travailler dans les métiers de la médecine, de l’enseignement, du droit… est encore plébiscité par la majorité des diplômés du baccalauréat en France. En 2019, sur 2,7 millions d’étudiants, plus de 60% étaient inscrits à l’Université.
Les écoles privées
L’enseignement post-bac privé est en plein essor ces dernières années. Pour l’année académique 2018-2019, le secteur comptait 540 900 inscrits - deux fois plus qu’il y a 20 ans - , un chiffre qui lui permet de franchir la barre symbolique de 20% des effectifs du supérieur. Mais attention, toutes les écoles ne se valent pas : d’une part, il y a les écoles sous contrat et dont le diplôme est reconnu par l’État, les écoles “reconnues par les professions” et les autres, dont le diplôme n’est pas reconnu et qui propose des formations sans équivalences, ce qui protège moins les étudiants et peut parfois bloquer un projet de réorientation. Selon les dernières estimations, 1 500 établissements privés sur les 3 500 que compte l’enseignement supérieur seraient concernés ! Alors, on ouvre l’œil !
S’il existe “sur le papier” des voies de prédilection pour certains métiers, il y a aussi de nombreuses d’alternatives qui peuvent mener à notre poste de rêve. N’oubliez pas que chaque parcours est unique et que nous sommes tous libre de choisir le chemin qui nous correspond le mieux en fonction de son dossier, de ses moyens financiers et de ses méthodes de travail.
L’Université, une formation riche mais parfois éloignée du monde du travail ?
Après une licence infocom à la fac, Louise a obtenu un master en communication dans une école. Pourtant, rien ne la prédestinait à passer par une boîte privée pour finir ses études. « J’étais un peu anti-privé au début de mes études, se rappelle-t-elle. J’ai adoré la fac, je trouvais les cours passionnants, mais je me rendais compte que ça pourrait être difficile au niveau de l’employabilité… » La raison ? Le manque de cours pratiques dispensés à l’Université, qui risquait, selon elle, de ralentir son insértion professionnelle. « Je trouvais cela aberrant qu’on n’ait pas de stage obligatoire en licence. J’en ai fait grâce au réseau de mes parents, mais beaucoup de mes amis ont continué la fac jusqu’au master sans avoir eu une seule expérience professionnelle. Je pense qu’il faut se confronter au monde du travail le plus rapidement possible pour éviter de se retrouver en décalage une fois diplômé. Aussi, poursuit-elle, à la fac, *j’avais l’impression que les cours ne m’apprenaient rien de concret, alors je me suis mise à penser que je n’étais pas au bon endroit pour apprendre un métier.* » Responsable événementiel dans une start-up depuis la fin de ses études il y quatre ans, Louise ne regrette pas son choix.
Mais, les étudiants ne quittent pas forcément l’Université pour l’école. Lucie, elle, a fait le chemin inverse. Après quatre années d’école de commerce à Lyon après le bac, elle a décidé de poursuivre ses études en rejoignant le master 2 Ressources humaines de La Sorbonne en alternance, son école n’en proposant pas. Aujourd’hui, commerciale après avoir travaillé un temps dans le recrutement, elle reconnaît elle aussi que malgré la richesse des enseignements, les cours à l’Université étaient un peu moins professionnalisants qu’à école, alors même qu’elle était plus proche de son arrivée sur le marché du travail : « On était un peu plus éloignés du monde professionnel à la fac, malgré un contenu à peu près similaire à celui de l’école. Les attentes des intervenants n’étaient pas les mêmes. Par exemple, dans les exercices d’immersion, l’évaluation portait principalement sur le fond, et les intervenants cherchaient surtout à voir quelles théories nous avions mobilisées. Tandis qu’en école de commerce, le professeur va juger ce qu’on dit, mais aussi la façon de s’habiller, de se présenter, c’est-à-dire le fond autant que la forme pour qu’on soit capables de bien se comporter, de bien parler, etc. En résumé, *je dirais que l’école donne davantage les codes du monde de l’entreprise. »
Pour Albane, passée par une classe préparatoire et une licence en sciences sociales avant de rejoindre une école de communication, « les cours à la fac étaient intéressants et même inspirants parfois, explique-t-elle. Mais en même temps, ils étaient aussi trop peu cadrés à mon goût : les amphithéâtres, la distance avec le professeur et le manque d’assiduité des uns et des autres ne favorisaient pas vraiment la concentration et l’investissement. » Malgré un contenu riche et des intervenants de renom, l’Université semble donc souffrir de l’absence d’enseignements pratiques dans ses programmes et d’un cadre trop laxiste.
L’école, usine à têtes faisantes ?
Au contraire de l’Université, certaines écoles privées seraient plus à même d’accompagner les étudiants vers le monde du travail. Pour Emilion, ce salarié d’un grand groupe technologique américain passé par un IUT, une licence pro puis une école de commerce, ce dernier type d’établissements « conditionne davantage au travail ». Si à l’instar de Lucie, il constate qu’en école les cours n’étaient pas si différents de ceux rencontrés en licence pro, il reconnaît toutefois que son master l’a mieux préparé au monde de l’entreprise : « L’école m’a plus apporté au niveau des soft skills, explique Emilion. Par exemple, j’ai eu un cours de prise de parole en public. Dans les travaux de groupe aussi, on nous poussait à travailler avec tout le monde, comme on peut être amené à le faire en entreprise. Et j’ai eu la possibilité de faire mon master en anglais alors qu’à la fac la pratique des langues étrangères est beaucoup plus rare. »
Si les écoles privées ont la réputation d’apporter plus de pratique aux étudiants, leur niveau d’exigence vient-il challenger celui de l’Université ? Pas sûr. Albane travaille dans les relations presse. Aujourd’hui bien installée dans un emploi qu’elle a trouvé en partie grâce au renom de l’école sur son CV, elle n’oublie pourtant pas le contenu des cours, insatisfaisant selon elle. « Je me doutais que je n’allais pas apprendre grand-chose, mais je dois avouer que j’ai quand même été déçue. En comparaison avec la prépa surtout, mais aussi avec la licence, le contenu était affreusement léger, c’était vraiment le grand écart ! » Heureusement - si l’on peut dire -, ce ne sont pas les cours qui l’avaient attirée dans l’école mais des éléments plus périphériques aux enseignements, tels que « le réseau, les stages, et les cas pratiques » qui semblent en revanche avoir été à la hauteur de ses attentes.
Pour Lucie, la commerciale passée par la Sorbonne, le manque de profondeur des cours d’école, notamment sur l’aspect théorique, est compensé par « plus d’enseignement sur le savoir-faire ou le savoir-être en entreprise. » Et selon Louise, c’est un modèle qui semble davantage séduire les entreprises au moment des recrutements : « Dans mon secteur, je ne connais quasi personne qui n’ait pas fait d’école. » Elle regrette au passage que ce soit cet “élitisme” des entreprises qui l’ait poussée à rejoindre une école, alors qu’elle n’était pas une sympathisante du secteur privé : « Je trouve cela injuste de devoir payer pour aller dans une école et avoir son diplôme. Mais c’est le système qui veut ça. Les entreprises recherchent spécifiquement les diplômés d’écoles parce qu’elles ont une mauvaise image de l’Université. En plus, la dimension professionnalisante entre aussi en compte dans leur jugement : aujourd’hui, elles ont besoin de gens opérationnels rapidement plutôt que de gens capables “penser”. Pour les entreprises, c’est plus important d’avoir un savoir-faire que de grandes idées… », conclut-elle.
Université et école, le combo gagnant ?
Malgré tout, pour Louise et Lucie, le passage à l’Université est considéré comme une force qui fait d’elles de meilleures professionnelles. « Aujourd’hui, je ne regrette pas d’être allé à la fac, assure la première. Le côté pratique, je l’ai appris en école, c’est vrai, mais il y a tout de même des théories de la communication apprises à la fac dont je me sers quotidiennement. Aussi, j’ai pu me forger une culture générale et développer mon esprit critique, ce qui est fondamental. » Même remarque pour Lucie, qui se souvient avoir eu un cours de géopolitique dans son master à la fac. Malgré la thématique du cours pour le moins éloignée de sa formation en gestion des ressources humaines, elle en retient un enrichissement personnel et professionnel. « Je ne sais même plus pourquoi on avait eu ce cours, mais tout le monde avait adoré et aujourd’hui, en tant que commerciale, cette culture générale me permet de savoir comment discerner une bonne information et d’avoir un peu plus de bagage pour communiquer, ce qui m’est utile pour faire la conversation aux prospects que je rencontre chaque jour. »
Non seulement elle est consciente de l’apport de son master universitaire, mais elle est aussi heureuse d’avoir connu autre chose que l’école de commerce. Selon elle, un parcours réalisé entièrement en école peut être handicapant à certains égards, dans la mesure où les établissements privés enferment les étudiants dans une sorte de bulle où tout est facile, en décalage avec la réalité du monde du travail. « Les étudiants de mon école qui se sont lancés dans une carrière en marketing événementiel - un secteur où l’insertion professionnelle est assez difficile - ont eu beaucoup de mal à devoir d’un coup se débrouiller par eux-mêmes alors qu’ils avaient toujours été accompagnés auparavant. Certains ont mis plus d’un an et demi à trouver un premier emploi, et je pense qu’à la fac, où l’autonomie est plus importante et où il faut s’autodiscipliner, on sort mieux préparé à ce genre de choses. »
Dans la plupart de ces témoignages, l’école privée apparaît comme un choix “par défaut”, presque comme une voie choisie à contrecœur alors que tous reconnaissent son utilité sur le plan professionnel. Même pour Lucie, qui a pourtant directement rejoint une école de commerce à la sortie du lycée : « Je n’étais pas très à l’aise avec le fait de “payer un gros chèque pour des intervenants et un réseau”, ni avec le fait de rejoindre un établissement où la diversité sociale allait être moins importante qu’ailleurs. Mais je l’ai quand même fait et je suis consciente de la chance que j’ai eue, précise-t-elle, avant d’expliquer ce qui l’a retenue de se diriger vers l’Université dans un premier temps, comme un aveu de faiblesse. Je ne pensais pas être faite pour la fac, car j’ai besoin de cadre et d’accompagnement. Je pense que cela peut-être difficile de réussir à la fac quand on n’a pas la motivation nécessaire. » Beaucoup d’étudiants redoutent en effet d’être noyé dans l’anonymat des grands amphis, et de manquer de maturité à la sortie du lycée, pour travailler seul sur le long court.
Lucie, Louise et Albane reconnaissent in fine avoir davantage apprécié l’Université que l’école et ce malgré le manque d’enseignement pratique et d’accompagnement, mais quels changements futurs pourraient, selon elles, éviter la fuite des talents vers le l’enseignement privé ? Louise donne quelques pistes : « Si la fac avait exigé de nous un stage dès la première année, cela m’aurait rassuré. J’aurais également apprécié aussi avoir plus de TD que de cours magistraux, car ils favorisent la pratique. Et puis je n’ai jamais compris pourquoi l’anglais n’était qu’une option en licence, c’est un retard difficile à rattraper par la suite. »
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