Le syndrome de Peter Pan : « Au secours, j’ai peur de quitter les études ! »
29 sept. 2021
7min
AS
Journaliste freelance
En 1983, le psychanalyste américain Dan Kiley publiait un ouvrage intitulé « Le syndrome de Peter Pan : Ces hommes qui ont refusé de grandir. » Il y constatait que certains hommes, au début de leur vie adulte, refusaient de prendre des responsabilités et tentaient de rester en enfance ou adolescence. En prolongeant sans cesse leurs études, en restant au domicile familial ou en retardant leur insertion professionnelle. Même si le syndrome de Peter Pan n’a jamais été reconnu par le corps médical, nombreux sont les spécialistes à avoir observé depuis, un passage moins net entre l’enfance et la vie adulte, parfois conceptualisé par le terme adulescent et qui concerne les hommes comme les femmes. Sommes-nous tous destinés à rester enfants ?
Quand je serai grand, je serai…
Quand on est enfant, la vie est souvent plus simple. Il n’y a pas d’impôts à payer, pas de dossiers à rendre et très peu de choix à faire. La plus grosse décision à prendre concerne alors le parfum de la glace que nos parents nous offrent, (fraise, vanille, chocolat ?). Puis vient l’âge adulte. Il faut alors remplir des paperasses, apprendre à se faire à manger et réfléchir à ce qu’on veut faire de nos vies : l’angoisse. Pourtant, cette inquiétude liée à notre avenir n’a pas toujours été si prégnante. Il n’y a encore pas si longtemps, nos vies étaient beaucoup plus linéaires. L’école terminée, on commençait un métier que l’on pratiquerait pour le restant de nos vies, on se mariait, on faisait des enfants et hop, emballez, c’est pesé.
Pour le psychologue Antoine Späth, « le métier suffisait auparavant à se créer une identité. La grande majorité d’entre eux étaient valorisés et on pouvait en être fier. Aujourd’hui, il existe une différence entre les métiers qui sont valorisés et les autres. Beaucoup de personnes ont donc du mal à commencer par des professions qui seraient mal reconnues, alors que celles-ci sont majoritaires sur le marché du travail. Si l’on prend l’exemple d’instituteur, son activité est aujourd’hui moins valorisée qu’avant, alors pourquoi s’engagerait-on à exercer une profession qui n’est pas reconnue et qui manque de prestige ? » Alors pour s’assurer de décrocher un emploi valorisé, certains étudiants n’hésitent pas à prolonger leurs études pour mettre toutes les chances de leur côté, repoussant ainsi leur entrée sur le marché de l’emploi… et dans la vie d’adulte !
Selon une enquête du Cereq, 14% de la génération sortie de formation initiale de 1998 a repris des études de plus de 6 mois. Pour la génération diplômée en 2010, le taux de reprise de formation atteint les 23%. Pour nombre de jeunes, ces reprises de cursus servent à obtenir plus de qualifications afin d’augmenter leur valeur sur le marché du travail, mais pour d’autres, ce serait pour repousser l’échéance de l’entrée sur le marché du travail. Pour Antoine Späth, « les opportunités professionnelles de nos jours sont plus rares et difficiles d’accès. Il faudrait donc se rabattre sur des opportunités moins intéressantes et potentiellement moins valorisantes. Mais il y a aussi un côté narcissique dans le syndrome de Peter Pan. Le jeune n’a pas envie de progresser dans une société où il n’est pas reconnu socialement. Et plutôt que de ne pas avoir cette gratification sociale, il préfère refaire des formations et repousser le début de sa vie professionnelle. » En d’autres termes : rester un éternel ado. Alors le syndrome de Peter Pan est-il en train de gagner du terrain auprès des étudiants ?
L’éternel étudiant, la figure de demain ?
Pour autant, même ceux qui arrivent à trouver un métier qui leur plaît et qui en plus est valorisé dans la société, devront probablement recommencer des formations et redevenir ainsi étudiants. Le monde est de plus en plus complexe et l’accélération du développement et des avancées technologiques font que nous sommes tous à un moment donné contraints de nous mettre à jour. Et si, au fond, les personnes touchées par le syndrome de Peter Pan étaient un peu en avance sur leur époque ?
Pour Rémy Oudghiri, sociologue et directeur de Sociovision, (groupe IFOP) ainsi qu’auteur de l’ouvrage Ces adultes qui ne grandiront jamais (Éd Arkhê), le monde vers lequel nous nous dirigeons ne favorise pas le début de la vie adulte. « Il est très difficile de savoir si dans 10 ans certains métiers seront toujours là ou si ce qu’on apprend aujourd’hui sera toujours utile dans un futur proche. Il y a une certaine insécurité par rapport à l’avenir. On vit dans un monde qui se transforme et qui empêche de vivre sous la permanence. Les boutiques qui sont tenues par un père et son fils où le savoir-faire est transmis entre générations n’existent presque plus. Aujourd’hui, chaque génération arrive dans un monde différent. » Et cette constante évolution implique une mise à jour permanente pour tous : « On sait qu’il faudra se former tout au long de nos vies, explique le sociologue. Cela renforce l’idée qu’il faut absolument garder un esprit jeune. Je pense qu’on peut désormais annoncer que les jeunes d’aujourd’hui seront des étudiants toute leur vie parce que tout évolue et de manière très rapide. » En effet, avec l’accélération du monde moderne, cette perspective semble ouverte et l’état d’esprit “jeune” sera sans doute essentiel à l’avenir. « La jeunesse représente une forme d’insouciance, d’inventivité et d’adaptabilité », le combo idéal pour être le parfait étudiant. Si vous lisez cet article, que vous avez 30 ans et êtes toujours étudiant, relativisez donc : « La notion de l’éternel étudiant a longtemps été vu de manière péjorative. Cependant, cela sera la figure de demain et non plus une exception. »
Les études, un refuge face au déboussolement
Mais ceux qui multiplient aujourd’hui les études, ne sont pas nécessairement des plus rassurés. Louise, 24 ans, entame un nouveau cycle d’études après un parcours farfelu : un bac S en poche, puis un BTS design et graphique suivi par deux années de césure à travailler en tant qu’auto-entrepreneure dans la communication, d’une période où elle hésite à faire une école d’illustration, avant de se tourner vers une fac de biologie qu’elle a quitte pour intégrer l’école 42 en novembre. « Il y a quelques années j’envisageais de faire médecine, mais je me suis dit que je ne voulais pas m’engager à faire 7 ou 8 ans d’études. Alors qu’en accumulant tout ce que j’ai fait et que je vais encore faire, ça revient à peu près à la même chose. Et je ne suis même pas sûr que ce soit mon dernier diplôme… » Cette multiplication des études n’est pas un choix pour Louise, au contraire : « J’envie les gens qui ont une vocation, qui savent où ils vont aller, ça doit être confortable. Pendant des années je me suis documentée, j’ai trois différents livres d’orientation professionnelle dans ma bibliothèque, mais il y a rien qui ne s’est débloqué. J’étais très angoissée par rapport à mon avenir. » Et en attendant de trouver sa voie, les études représentent un filet de sécurité : « Je sais que le jour où je décide d’arrêter mes études c’est que j’aurais fait un choix qui m’engage, alors que tant que je continue je peux faire des virages à 180 degrés et changer tout le temps. Je garde les portes ouvertes, même si je ne sais toujours pas ce que je veux faire de ma vie. »
Et si vous êtes dans le cas de Louise, que vous avez l’impression de continuer en permanence les études supérieures, que vous avez peur de vous engager dans la vie professionnelle, rassurez-vous en pensant que la société selon Rémy Oudghiri, évolue dans ce sens. Mais le monde dans lequel nous vivons valorise encore l’intégration professionnelle.
Quelques conseils pour sortir du syndrome de Peter Pan et trouver sa voie
Au cas où vous auriez égaré votre boussole, Vincent Colin, le fondateur de l’entreprise d’aide à l’orientation scolaire et professionnelle Recto Versoi, nous livre ses trois conseils pour retrouver quelques repères et s’extraire du syndrome de Peter Pan.
1. Apprendre à se connaître.
Souvent, on hésite à prendre une décision par rapport à notre avenir parce qu’on “ne sait pas ce qu’on veut faire”. Et on multiplie donc nos études en attendant de “trouver”. Mais ce n’est pas toujours la bonne solution. Il suffit parfois de se retourner vers soi et d’apprendre à se connaître. Si on ne se connaît pas suffisamment ou qu’on n’arrive pas à prendre du recul, difficile de prendre de grosses décisions sur le court terme - le choix d’études - et sur le long terme - le choix du métier. La période où l’on fait des choix d’orientation correspond de manière générale à un moment où encore jeunes, nous nous connaissons très mal. Pour arriver à se connaître soi-même, vous pouvez évidemment faire recours à des psychologues professionnels pour faire des tests de personnalité et d’intérêt personnel. Mais c’est aussi quelque chose que vous pouvez faire avec votre entourage. Faites des grilles d’analyse de personnalité avec votre famille, votre copain ou copine ou vos amis…
2. Se documenter au maximum.
Avant de partir tête baissée dans une direction ou de recommencer des formations sans trop réfléchir, il vaut mieux tenter d’avoir un regard d’ensemble du monde professionnel. Il est nécessaire pour cela de se renseigner sur la compatibilité d’un secteur avec votre personnalité, sur les différentes filières, pour en connaître les avantages et les inconvénients. Quand on choisit un métier et qu’on se projette dans le monde professionnel, il faut prendre tous les paramètres en compte : l’équilibre entre la vie pro et la vie perso, les contraintes personnelles (compagne ou compagnon), les questions de niveau de vie. C’est la meilleure façon d’éviter de découvrir sur le terrain, les inconvénients d’une activité qui nous poussent souvent à refaire des formations ou des études supérieures.
3. Sauter dans le vide
Enfin, si vous avez suivi les deux étapes précédentes, ça ne devrait pas être un saut total dans le vide. Au contraire, en vous connaissant parfaitement, en ayant étudié en profondeur les avantages et les inconvénients de plusieurs métiers et trouvé celui qui semble vous correspondre le plus, vous pourrez prendre votre décision et rentrer dans la vie professionnelle plus facilement. C’est aussi en multipliant les expériences que l’on apprend, alors ne vous offusquez pas de prendre parfois des voies sans issues, d’être confronté à des “ratés”, car c’est aussi une façon pour vous de découvrir vos réelles envies.
Et si vous en êtes à votre troisième diplôme et que vous êtes toujours perdus, ne vous inquiétez pas trop ! Comme dit Vincent Colin : « Il n’y a pas d’échéance ou de deadline ultime après laquelle il serait trop tard parce qu’on serait trop âgé. Même si vous avez mis du temps à rentrer dans le monde professionnel, capitalisez sur ces expériences d’études diverses pour votre activité future ou lors de vos entretiens. » Alors n’attendez pas, entamez les étapes pour identifier un avenir professionnel qui vous correspond et surtout, vous rendra heureux. Alors oui, il faudra dire au revoir au monde édulcoré du syndrome de Peter Pan, mais on vous rassure, ça n’est pas trop effrayant !
Photo by WTTJ
Édité par Manuel Avenel
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