Comment nourrir sa créativité : les leçons de Pixar par Ed Catmull

Qu’est-ce qui fait la créativité d’une entreprise ? Comment cultiver sa propre créativité quand on travaille dans une grande organisation ? Les studios Pixar créés en 1979, dirigés par Steve Jobs pendant plusieurs années, puis rachetés par les studios Disney en 2006, ont réussi l’exploit de produire un nombre remarquable d’oeuvres originales pendant plus de trois décennies. On leur doit des films comme Toy Story, Ratatouille, Rebelle, Vice Versa et récemment Coco. Leur exemple apporte des leçons précieuses de créativité à tous ceux qui cherchent à exprimer leur originalité au travail.

Le cofondateur des studios Pixar, Edwin Earl Catmull, devenu président de Walt Disney Animation en 2006, a réfléchi aux moyens de « surmonter les forces invisibles qui s’opposent à la véritable inspiration » dans son livre Creativity Inc., paru en 2014. Il y donne des conseils aux travailleurs et aux managers pour nourrir la créativité au travail. Il montre qu’une organisation peut stimuler la créativité, ou la tuer dans l’oeuf, et qu’il existe certaines qualités à cultiver chez les individus. Creativity Inc. offre l’occasion de découvrir Pixar de l’intérieur, de comprendre son fonctionnement interne, ses story meetings, ses sessions post-mortem et les braintrusts où l’art prend vie. Pour nourrir la créativité sur le long terme, Pixar a d’abord dû créer une culture de la créativité…

L’organisation joue un rôle essentiel pour créer une culture de la créativité

Ed Catmull et ses collègues ont su créer un environnement de travail unique basé sur une philosophie de leadership et de management conçue pour protéger le processus créatif. Voici quelques-uns des grands principes qu’ils ont mis en place :

• Le travail d’un manager n’est pas de prévenir les risques. Son travail consiste à s’assurer que tout le monde est suffisamment à l’aise pour prendre des risques. « [Beaucoup de gens] pensent que cela signifie accepter l’échec avec dignité et aller de l’avant. (…) L’échec est une manifestation de l’apprentissage et de l’exploration. Si vous ne faites pas l’expérience de l’échec, vous faites une erreur bien plus grave : C’est le désir de l’éviter qui vous dirige. Pour les dirigeants en particulier, cette stratégie – essayer d’éviter l’échec en se focalisant dessus – vous condamne à échouer. »
• Un environnement hostile à l’échec finit par coûter plus cher qu’un environnement propice à la prise de risque. Essayer constamment d’éviter les erreurs vous obligera également à éviter tout ce qui est innovant. Vous ne pouvez pas être créatif si vous voulez à tout prix éviter les erreurs. « Dans une culture fondée sur la peur et qui a peur du risque, tout le monde va éviter le risque, consciemment ou inconsciemment. Les employés chercheront plutôt à répéter quelque chose de sûr et d’éprouvé qui s’est révélé efficace par le passé. Leur travail ne sera pas innovant. Mais si vous pouvez favoriser une compréhension positive de l’échec, c’est exactement le contraire qui se produira. »

« L’échec est une manifestation de l’apprentissage et de l’exploration. Si vous ne faites pas l’expérience de l’échec, vous faites une erreur bien plus grave. » Ed Catmull

• La surplanification étouffe l’innovation. Si vous voulez que vos employés défrichent des chemins inexplorés, ne planifiez pas trop ! Comme l’a dit Steve Jobs, « vous ne pouvez pas connecter les points en regardant devant vous ; vous ne pouvez les connecter qu’en regardant en arrière. » « Donc, si votre objectif principal est de disposer d’un plan précis où tout est parfaitement prévu, vous augmentez uniquement vos chances de ne pas être original. Et vous ne pourrez pas non plus planifier la façon de résoudre d’éventuels problèmes. Même si la planification est essentielle, et nous en faisons beaucoup, il y a vraiment peu de choses que vous pouvez contrôler dans un environnement créatif. »
• Tout le monde doit pouvoir communiquer avec n’importe qui dans l’entreprise. La structure de la communication ne doit en aucun cas refléter celle de l’organisation. « La communication ne devrait plus passer par des voies hiérarchiques. »
• Les erreurs importent peu, c’est la réaction aux erreurs qui compte. Tout le monde doit pouvoir intervenir et apporter des solutions. « Vous ne devriez pas avoir à demander la permission de prendre des responsabilités. »

« Vous ne devriez pas avoir à demander la permission de prendre des responsabilités. » Ed Catmull

La créativité dépend davantage d’un état d’esprit que d’un talent inné

La plupart des recruteurs regardent plus les expériences que le potentiel des candidats. Ils ne savent pas bien évaluer le potentiel des individus, imaginer ce qu’ils pourront réaliser dans le futur plutôt que regarder ce qu’ils ont déjà réalisé dans le passé.

Après de nombreuses années de recherche sur la réussite, une psychologue de l’Université de Stanford, Carol Dweck, a trouvé une distinction simple et profonde entre un état d’esprit “fermé” et un état d’esprit “ouvert”. Dans son livre Mindset: The New Psychology of Success (2006), Dweck affirme que le succès s’explique surtout par les croyances que nous avons. Certains sont persuadés que leurs facultés sont inscrites dans le marbre une fois pour toutes. Ce sont ceux qui ont un état d’esprit “fixe” (fixed mindset). D’autres, au contraire, cherchent constamment à développer leurs facultés. Ils ont un état d’esprit de “développement” (growth mindset).

Les personnes qui ont un état d’esprit “fixe” ne peuvent pas être aussi créatives que celles qui ont un état d’esprit de “développement”, qui persévèrent dans leurs apprentissages et grandissent avec leurs échecs. Elles préfèrent toujours s’en tenir à ce qu’elles maîtrisent déjà. Elles considèrent qu’il existe des personnes “douées” qui obtiennent immédiatement de bons résultats et abandonnent rapidement face à la difficulté. Parfois, elles préfèrent tricher que risquer un échec. À l’inverse, les personnes qui cherchent à développer leurs capacités voient l’effort comme une nécessité et ne se laissent pas abattre par un échec.

Selon Catmull, les capacités d’un travailleur se développent grâce à un travail acharné. Quiconque est pourvu de résilience et aime apprendre dispose de ce qu’il faut pour accomplir de grandes choses. Les personnes intéressantes ont toujours un état d’esprit de “développement”. L’ignorance et le manque d’expérience importent peu. Ils peuvent même être une force : « Rien ne vaut l’ignorance associée à un besoin impérieux de réussir pour apprendre rapidement. » C’est cet état d’esprit qu’il faut rechercher lorsque l’on recrute. Et c’est celui que l’on doit encourager en soi-même.

« Rien ne vaut l’ignorance associée à un besoin impérieux de réussir pour apprendre rapidement. » Ed Catmull

Apprenez de vos erreurs

Chaque projet (film) nécessite des années et des années de dur labeur. Une fois le travail terminé, les équipes aimeraient rapidement passer à leur prochain projet. Mais les équipes de Pixar doivent d’abord faire une réunion “post-mortem” avant de pouvoir continuer. Elles doivent identifier toutes les leçons qui peuvent être tirées du projet précédent, comprendre tout ce qui a mal tourné, mais aussi tout ce qui s’est bien passé. Chaque participant est invité à nommer les 5 choses qu’il ferait de la même manière et les 5 choses qu’il ferait différemment.

Une fois le travail terminé, chaque participant est invité à nommer les 5 choses qu’il ferait de la même manière et les 5 choses qu’il ferait différemment.

Personne ne doit quitter la session “post-mortem” avec un sentiment d’amertume. Aucun malentendu ne doit persister. Parce que certains problèmes peuvent avoir été d’ordre personnel, certains employés sont parfois réticents à l’idée de s’engager dans ce processus “post-mortem”. C’est la raison pour laquelle il est si important d’institutionnaliser le processus, de le transformer en une sorte de rituel. Il est ensuite plus facile de se préparer à l’avenir. Ce travail peut également être fait à l’échelle individuelle. On devrait toujours faire le “post-mortem” de son projet pour en tirer les leçons et progresser…

L’originalité est aussi fragile qu’un petit bébé : protégez la !

Dans une grande organisation, l’originalité est toujours menacée, car l’efficacité et les processus sont toujours privilégiés. C’est ce que Catmull appelle la “Bête affamée”. La Bête, toujours en demande, veut que les budgets et les délais soient strictement respectés, ce qui, bien sûr, est nécessaire dans toute organisation. Mais on ne doit pas laisser la Bête tuer ce que Catmull appelle le “Bébé moche”. Au début, toutes les créations sont moches et imparfaites. Laissez leur le temps de grandir et de s’améliorer ! Ne nourrissez pas la Bête quand ce n’est pas nécessaire ! « Les nouvelles idées sont un peu comme un bébé moche, vous l’aimez, mais vous êtes bien le seul. Il a besoin de temps et d’espace pour grandir. »

« Les nouvelles idées sont un peu comme un bébé moche, vous l’aimez, mais vous êtes bien le seul. Il a besoin de temps et d’espace pour grandir. » Ed Catmull

Le rôle du manager est d’empêcher la Bête de menacer le potentiel créatif qui produit les créations incomplètes qui ont besoin de temps pour se développer et devenir parfaites. Pour protéger le “Bébé moche”, il faut travailler en équipe. De la même manière qu’il faut un village pour élever un enfant, il faut une équipe pour faire grandir une création. « Vous ne pouvez pas élever ce bébé moche tout seul. Il faut tout un village. » La créativité, ce n’est pas un processus solitaire, comme on aime souvent à le penser. C’est au contraire un travail collectif. Mettez de côté votre ego et travaillez avec les autres pour faire grandir le “Bébé moche” !

Creativity Inc. nous apprend que l’environnement est fondamental dans tout processus de création. Il faut une culture qui favorise l’expression individuelle. Il faut un environnement de travail qui favorise l’autonomie et la responsabilité. À l’échelle des individus, il faut apprendre à cultiver l’esprit de “développement”, la capacité à apprendre en permanence et à échouer avec grâce. « L’échec n’est pas un mal nécessaire. En fait, ce n’est pas du tout un mal. C’est un élément constitutif de l’innovation et de la création. »

Suivez Welcome to the Jungle sur Facebook pour recevoir chaque jour nos meilleurs articles dans votre timeline !

Photo by WTTJ