Recrutement : 7 conseils pour déjouer les biais liés à l’âge des candidats
12 déc. 2024
5min
Autrice, consultante et conférencière sur le futur du travail, spécialiste de la productivité, de l’âge et du travail des femmes
En matière de recrutement, l’âgisme est l’une des formes de discrimination les plus courantes et universelles. Un véritable gâchis aux yeux de notre experte Laetitia Vitaud, au regard à la fois de la pénurie de talents et de la richesse des équipes multi-générationnelles. Elle nous dévoile ses conseils pour y remédier.
Selon l’Organisation mondiale de la Santé, l’âgisme apparaît « lorsque l’âge est utilisé pour catégoriser et diviser les gens d’une façon qui entraîne des préjudices, des désavantages et des injustices ». Appliqué au recrutement, ce dernier conduit alors les entreprises à exclure des candidats, soit parce qu’ils sont jugés « trop jeunes » ou « trop âgés ». Ainsi, 51 % des cadres de moins de 35 ans et 48 % des plus de 55 ans disent avoir subi une discrimination lors d’un entretien d’embauche, selon une étude de l’Apec. Sans compter qu’ils sont 43 %, tous âges confondus, à déclarer avoir perçu des comportement discriminatoires liés à leur âge. En dépit de la richesse des équipes multi-générationnelles, comment expliquer la persistance de ces biais liés à l’âge lors du recrutement ? Quels en sont les impacts ? Et comment parvenir concrètement à les déjouer ?
Discriminations liées à l’âge : les jeunes et les seniors d’abord !
Bien qu’il soit officiellement interdit par le Code du travail, l’âgisme reste un phénomène omniprésent dans le monde professionnel. Et, contrairement aux idées reçues, ce sont les jeunes qui disent le subir le plus. Il faut dire qu’à leur propos, les clichés sont nombreux : « pas assez expérimentés », « peu fiables », « zappeurs » ou « paresseux ». Tant et si bien qu’ils se voient offrir plus longtemps des contrats précaires et des emplois peu valorisants. Et en France, le taux de chômage les concernant, bien que plus bas qu’il y a quelques années, reste plus élevé que la moyenne des autres pays de l’OCDE.
Évidemment, les plus âgés en sont également victimes. « Pas assez agiles », « mauvais en informatique », « trop chers » ou « ringards », les clichés ne manquent pas à leur égard ! Parfois, l’âgisme empêche les plus de 50 ans d’être recrutés lorsqu’ils sont au chômage de longue durée. À d’autres occasions, il les prive de promotions parce qu’ils ne sont pas perçus comme des talents prometteurs. Et souvent, il leur gâche la vie en sapant leur confiance en eux et en les obligeant à œuvrer sans cesse pour cacher leur âge, de peur d’être décrédibilisés. Dans certains univers, comme les startups, les agences de communication ou de publicité, les seniors partent d’eux-mêmes, tant le jeunisme ambiant les exclut.
Une situation d’autant plus étonnante alors que nombreuses sont les organisations à se plaindre des difficultés de recrutement actuelles. Pas moins de 57 % des recrutements sont ainsi jugés complexes par les employeurs, selon l’enquête « Besoins en main-d’œuvre des entreprises » de 2024, et ce quelque soit la taille de l’établissement concerné. Pourquoi alors se priver de faire appel à des jeunes ou à des moins jeunes ? La faute, sans nul doute, à une vision trop linéaire de la carrière, rythmée par le choix d’un métier, la formation pour l’exercer, une carrière bâtie sur plusieurs décennies en montant les échelons de la hiérarchie, avant de terminer par un départ à la retraite. Mais, face à la pénurie de talents, se défaire de ce schéma de pensée semble indispensable, à moins d’aboutir inéluctablement à un vivier trop étroit.
Transmission, innovation, bien-être… l’intergénérationnel, ce catalyseur de succès
À l’image d’une société où les générations - actives et inactives - sont plus nombreuses qu’autrefois, les entreprises pourraient tirer profit d’une nouvelle forme de diversité qui consiste à ne plus associer un âge à un poste, ni des attentes spécifiques en fonction de l’âge d’un candidat. À chaque niveau hiérarchique et dans tous les métiers, il est possible d’avoir une plus grande diversité de générations.
D’autant que les équipes intergénérationnelles apportent une richesse de perspectives et des compétences complémentaires qui favorisent l’innovation, la résolution de problèmes et le transfert de savoirs. Non seulement les collaborateurs expérimentés peuvent souvent transmettre leur expertise et leur mémoire institutionnelle, mais ils peuvent aussi être des « juniors » comme les autres, fraîchement reconvertis dans un nouveau métier. Tout comme les jeunes peuvent être à la pointe des « tendances » du moment, mais ils peuvent aussi avoir l’expérience d’une pratique commencée des années auparavant.
Dans une équipe, la bonne collaboration entre individus d’âges différents rend chaque membre du groupe plus performant. La diversité d’âges nourrit la cohésion des équipes et augmente la rétention des salariés. Forcément, on peut s’imaginer vieillir dans une entreprise où on voit des personnes plus âgées qui y sont épanouies. Decathlon s’est par exemple engagé dans une démarche intergénérationnelle en recrutant davantage de seniors, en valorisant leur rôle de transmetteurs d’expérience (coach, parrain, tuteur…) et en adaptant l’organisation du travail pour leur faciliter la vie. « Ils m’apportent une certaine prise de recul, un partage sur l’expérience qu’ils ont pu avoir dans l’entreprise. On parle beaucoup de transmission, comment ils ont vécu certaines choses, mais aussi sur du savoir-être », témoigne à ce sujet Lucile Doose, assistante chef de projet.
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Recruteurs : 7 conseils pour faire la peau à l’âgisme au sein de vos process
Conseil n°1 : recrutez des débutants de tous les âges
Le talent n’a pas d’âge. Il est important de briser le mythe selon lequel seules les personnes jeunes peuvent débuter une nouvelle carrière. En accueillant des débutants de tous âges, les entreprises tirent parti de l’esprit du débutant, cette capacité à aborder un domaine avec une curiosité et une ouverture intactes. Une personne de 45 ou 55 ans peut débuter dans un secteur totalement nouveau et apporter une agilité remarquable, acquise grâce à une carrière pleine de nouveaux départs et de transitions. Ainsi, certaines organisations ont supprimé ou reculé les limites d’âge pour leurs programmes de formation ou leurs concours, ouvrant la voie à des talents plus diversifiés. C’est le cas des officiers de police, par exemple.
Conseil n°2 : bannissez tout vocabulaire excluant de vos annonces d’emploi et fiches de poste
Des expressions comme « équipe jeune et dynamique » ou « recherche digital natives » peuvent logiquement dissuader les seniors de postuler chez vous. D’autres formulations, comme « expériences récentes » ou « maîtrise des dernières technologies » excluent, quant à elles, ceux dont les compétences ne sont pas fraîchement acquises. Certaines exigences, telles que « mobilité géographique » ou « disponibilité immédiate » s’appuient, elles aussi, sur des stéréotypes de disponibilité associés à l’âge. D’autres pratiques négatives incluent également la mention explicite d’un âge limite (qui est illégale) ou des exigences physiques vagues comme « bonne condition physique », qui peuvent masquer des biais discriminatoires. Privilégiez des descriptions axées sur les compétences et les valeurs, en remplaçant par exemple « jeune et dynamique » par « environnement collaboratif et innovant ».
Conseil n°3 : surveillez l’image de l’entreprise pour éviter le jeunisme
Un branding exclusivement orienté vers la jeunesse peut nuire à l’attractivité de l’entreprise, y compris auprès des jeunes. Une organisation où l’on ne voit que des visages jeunes semble manquer de perspectives à long terme. En valorisant la présence de collaborateurs de tous âges, vous offrez une vision plus rassurante et pérenne à vos candidats et salariés. Par exemple, mettez en avant des portraits de seniors dans vos supports de communication ou dans vos événements internes.
Conseil n°4 : adaptez les parcours d’intégration selon les âges
Les besoins d’un jeune diplômé ne sont pas les mêmes que ceux d’un senior qui rejoint une organisation, après une reconversion ou plusieurs décennies d’expérience. Proposez des formations sur-mesure et des parcours d’intégration adaptés. Pour les seniors, cela peut inclure des mises à niveau sur certains outils ou des modules pour découvrir les spécificités de l’entreprise. De leur côté, les juniors peuvent bénéficier d’un mentorat par des collaborateurs expérimentés, pour apprendre d’autres savoirs et compétences. Cette personnalisation renforce l’engagement des nouvelles recrues, quel que soit leur âge.
Conseil n°5 : diversifiez les panels d’intervieweurs et de recruteurs
Un panel de recruteurs exclusivement composé de personnes appartenant à une même tranche d’âge peut renforcer les biais (et donner une certaine image aux candidats). En incluant des recruteurs de différentes générations dans les entretiens, vous apportez une diversité de perspectives dans le processus de sélection.
Conseil n°6 : neutralisez l’âge dans le screening automatique des CV
Les outils d’intelligence artificielle utilisés pour le tri des CV peuvent reproduire des biais liés à l’âge, si des informations telles que la date de naissance, l’année de diplôme ou l’expérience sont prioritaires. Avant tout traitement automatisé, il est essentiel d’anonymiser ces données pour se concentrer sur les compétences, les qualifications et les réalisations.
Conseil n°7 : standardisez les entretiens avec des grilles d’évaluation
L’utilisation de grilles d’évaluation standardisées permet de comparer les candidats sur des critères objectifs, réduisant ainsi les jugements subjectifs. Par exemple, une grille peut inclure des indicateurs mesurant la maîtrise technique, les compétences comportementales ou la capacité à s’intégrer dans l’équipe. Elles sont un outil puissant pour limiter toutes les formes de discrimination.
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Article rédigé par Laetitia Vitaud et édité par Mélissa Darré, photo : Thomas Decamps pour WTTJ
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