Portraits inspirants de femmes qui réussissent dans la tech
08 mars 2018
9min
Elles sont entrepreneuses, développeuses ou CTO. Leur réussite, elles ne la doivent qu’à elle-mêmes, dans ce milieu encore très largement dominé par les hommes. A l’occasion de la Journée de la femme, elles se confient sur leurs parcours ambitieux et leur regard optimiste sur l’évolution de la place de la femme dans le milieu de la tech.
Les préjugés ont la vie dure
« Quand je travaillais chez Microsoft, on avait organisé un évènement pour inviter de jeunes collégiennes à découvrir les différents métiers de la tech. Quand on leur a demandé si elles voulaient travailler dans ce milieu, elles ont toutes répondu non », raconte Roxanne Varza. Les préjugés ont la vie dure, regrette la directrice de Station F, l’incubateur créé à Paris par Xavier Niel. Et les chiffres sont éloquents : alors que 45% des titulaires d’un bac scientifique ou technologique sont des filles, elles ne sont plus que 27% sur les bancs des écoles d’ingénieurs et 10% dans les écoles d’informatique. Et si 48,1% de la population active globale sont des femmes, elles ne représentent pourtant que 29,8% des effectifs dans la tech. Pire encore, seules 10% des start-up créées dans ce milieu sont dirigées par des femmes. Selon une étude réalisée par KPMG, 13% des start-up françaises du numérique qui ont levé des fonds en 2016 sont par ailleurs dirigées par des femmes, et elles ont réuni en moyenne deux fois moins d’argent que leurs collègues masculins.
Elles l’ont fait
Pour Julia Bijaoui, Bénédicte de Raphélis-Soissan, Fanny Renoux ou Anaïs Raoux, rien n’était donc gagné d’avance. Pourtant, ces jeunes femmes, toutes âgées de moins de 35 ans, n’ont pas eu peur de se lancer et sont aujourd’hui à la tête de start-up innovantes sur le chemin du succès. Elles se sont battues pour que leur genre ne soit pas un obstacle dans leur carrière et refusent de se voir comme une minorité fragile. Bien au contraire ! « Le fait d’être une femme peut même être un avantage car on se rappelle de vous », assure Roxanne Varza qui estime qu’il faut changer la manière de présenter les métiers techniques pour casser les préjugés. Un avis qu’elles partagent toutes. Elles militent par ailleurs pour une éducation moins genrée dès l’enfance afin que les femmes cessent de ressentir ce « syndrome de l’imposteur » si prégnant qui les empêchent de se projeter et d’avancer. Quand on leur demande quel conseil elles donneraient aux jeunes femmes qui souhaiteraient s’orienter dans la tech, elles répondent toutes à l’unanimité : « Osez, lancez-vous ! ». Portraits de ces fonceuses qui ont eu bien raison de croire en elles.
Mathilde Rigabert-Lemée, CTO chez Jolimoi : « Développeur : un métier accessible à toutes »
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Elle a commencé à coder quand elle n’avait que 7 ans et a tout de suite su qu’elle voudrait en faire son métier. Après une école en informatique et plusieurs années d’expérience en tant que consultante pour des grands comptes, Mathilde Rigabert-Lemée occupe désormais le poste de Chief Technical Officer chez Jolimoi, une plateforme web qui propose des produits de beauté personnalisés, basée sur un algorithme qui permet aux clientes de choisir des produits qui leur sont vraiment adaptés. Développement et gestion technique du site, recrutement et formation de l’équipe technique, mise en place d’un nouvel outil d’intelligence artificielle… Mathilde confie qu’elle adore son job qui, selon elle, est bien loin des clichés. « On présente souvent le métier de développeur comme un métier très solitaire et très matheux. Alors que ce n’est absolument pas le cas », affirme-t-elle. « Pour moi, une des principales qualités que doit avoir un développeur, c’est justement son côté sociable pour être capable de vulgariser, de faire comprendre aux autres fonctions de l’entreprise des projets techniques et de les convaincre. On est donc très loin de l’image du loup solitaire barbu dans sa cave », assure-t-elle.
Face à la pénurie de développeurs en France, elle estime qu’être une femme dans ce milieu peut d’ailleurs être un avantage car « il y en a tellement peu que l’on est plus vite repérée ». Afin de rendre ce métier plus attrayant aux yeux des femmes et de fédérer les développeuses françaises, Mathilde a co-fondé en 2010 l’association Duchess France. Un réseau destiné à valoriser et promouvoir les développeuses pour leur donner plus de visibilité, mais aussi à mieux faire connaître ces métiers techniques afin de créer de nouvelles vocations.
Rania Belkahia, co-fondatrice d’Afrimarket : « À l’assaut du continent africain »
Elle quitte Casablanca à l’âge de 17 ans, direction Paris où elle suit des études à Telecom ParisTech avant d’intégrer le master entreprendre d’HEC. En 2013, après une mission en Côte d’Ivoire où elle prend conscience du manque d’infrastructures et de leur faible qualité, Rania Belkahia fonde avec son associé Jérémy Stoss, Afrimarket, une marketplace destinée à la classe moyenne africaine mais aussi à la diaspora, qui propose des biens de consommation dans des domaines aussi variés que l’alimentation, l’électroménager ou les objets connectés. Objectif : offrir un substitut aux transferts d’argent classiques pour les personnes d’origine africaine installées ailleurs dans le monde, et permettre aux populations locales d’avoir accès à des produits de qualité. Présent en Côte d’Ivoire, au Bénin, au Cameroun, au Mali et au Sénégal, Afrimarket aspire à devenir l’un des leaders du e-commerce sur le continent africain. Un projet à la hauteur des ambitions de Rania qui a reçu, en 2016, le prix de l’Entrepreneur de l’année décerné par le Medef.
Cette trentenaire au fort caractère assure ne pas avoir le sentiment « de faire partie d’une minorité en tant que femme » et estime ainsi que l’on ne devrait pas « promouvoir l’égalité entre les sexes en montrant les femmes comme une minorité, bien au contraire ». Son credo : « se donner les moyens de ses ambitions et se lancer, sans trop réfléchir ».
Julia Bijaoui, co-fondatrice de Frichti : « C’est en s’imposant et en croyant en soi que l’on crée les opportunités pour réussir »
Prépa, HEC, majeure en entrepreneuriat. Julia Bijoui n’a rien laissé au hasard pour assouvir son envie irrépressible de se lancer dans l’aventure de la création d’entreprise. Passionnée par la « bonne bouffe », c’est au cours de sa première expérience chez Birchbox qu’elle a l’idée, avec son maître de stage devenu son compagnon et associé, de lancer Frichti, un service de livraison de plats faits maison avec un rapport qualité/prix/praticité imbattable. « On s’est dit que la tech avait changé plein de choses dans notre quotidien mais que personne ne s’était encore vraiment intéressé à l’alimentation », raconte-t-elle. En juin 2015, Frichti livre son premier repas. Près de trois ans plus tard, la start-up en sert plusieurs milliers par jour et compte pas moins de 300 salariés. Une belle réussite pour Julia qui se dit comblée « d’avoir pu développer un business qui corresponde vraiment aux préoccupations actuelles de la société », en contribuant à rendre le « bien manger » accessible à tous. Pour cette ambitieuse chef d’entreprise de 30 ans, qui regrette que l’on ne pousse pas davantage les jeunes filles à entreprendre, « c’est en s’imposant et en croyant en soi que l’on crée les opportunités pour réussir ».
Fanny Renoux, fondatrice de DoudouCare : « Des conseils santé 7j/7, partout en France »
Après des études en commerce et dix années d’expérience dans le marketing, Fanny Renoux crée en 2016 DoudouCare, une plateforme de téléconseils santé dédiée à l’enfance, l’adolescence et la parentalité. Une idée née de sa propre expérience de maman après la naissance mouvementée de ses deux jumeaux. Elle s’est entourée d’une équipe de trente professionnels de santé (infirmières puéricultrices, ostéopathes, orthophonistes, psychologues, nutritionnistes…) et se donne pour objectif de pouvoir rassurer et conseiller les parents où qu’ils soient en France en apportant une réponse à leurs préoccupations en quelques heures, 7j/7. Son ambition : que DoudouCare devienne l’acteur de référence sur le domaine de la parentalité en ligne. Seule au moment de se lancer dans cette aventure, Fanny a toutefois pu compter sur le soutien de Girlz in Web, une association destinée à promouvoir et valoriser les femmes dans le numérique et les nouvelles technologies. « Un réseau qui permet de développer ses contacts, de faciliter les mises en relation mais aussi de se rassurer et de moins douter », explique-t-elle.
Anaïs Raoux, fondatrice de l’école Wake Up : « Je suis portée par l’envie de créer et d’aider les autres »
« Le succès, c’est lorsque l’on a vraiment réussi à exploiter tout son potentiel, à utiliser ses talents pour créer des choses qui ont, à nos yeux, du sens et un impact ». A 26 ans, Anaïs Raoux a déjà un parcours professionnel plutôt réussi. Diplômée d’une école de commerce avec une spécialisation en finance, audit et contrôle de gestion, elle est nommée déléguée générale de l’association France Fintech à seulement 23 ans. Après deux années à côtoyer d’innombrables entrepreneurs dans le milieu de la tech et à promouvoir et défendre leurs intérêts, elle ouvre en 2017 son école baptisée WAKE UP avec le lancement du premier programme de formation Fintech en France. « J’étais très souvent sollicitée par des personnes issues de l’industrie financière traditionnelle qui me demandaient comment intégrer le milieu de la Fintech », raconte Anaïs qui élabore alors un programme éducatif pour celles et ceux qui souhaitent « basculer dans cet univers créatif et innovant », et crée « cette école de développement personnel où des entrepreneurs aident les élèves à organiser leur vie autour de leurs talents ». Un an plus tard, ils sont déjà une soixantaine d’hommes et de femmes à avoir suivi les formations proposées par Wake Up. Le premier principe qu’elle leur a transmis : oser et apprendre à oser car selon elle, « _tout est possible _».
Roxanne Varza, directrice de l’incubateur Station F : « De la Silicon Valley à Station F »
Photos : © Mathieu Génon
Elle a grandi dans la Silicon Valley mais c’est finalement dans le 13ème arrondissement de Paris que Roxanne Varza a décidé de s’installer. Après avoir été en charge des programmes d’accompagnement des start-up chez Microsoft Ventures, cette jeune Américaine, qui a par ailleurs fondé l’association StartHer, dirige aujourd’hui, à 33 ans, Station F, l’incubateur géant créé par Xavier Niel. Un choix très assumé par l’homme d’affaires qui assure que « s’il était dirigé par des hommes, ce lieu ne serait pas le même _». Situé à la Halle Freyssinet, un bâtiment classé de 34.000 m2, ce campus considéré comme le plus grand campus de start-up au monde, accueille près d’un millier de jeunes pousses. En véritable chef d’orchestre, Roxanne Varza gère cet immense espace au quotidien et participe à la sélection des entrepreneurs qui s’y installeront demain. Ni le diplôme, ni le genre n’interfèrent dans ses choix - elle confie d’ailleurs avoir reçu beaucoup plus de candidatures féminines qu’elle ne l’avait imaginé - mais une seule chose compte à ses yeux : la qualité du dossier et la motivation des entrepreneurs. « _Il y a des choses qui s’apprennent, d’autres pas forcément, c’est pour cela que le succès d’une entreprise dépend beaucoup de la personnalité de son fondateur », expliquait-elle récemment au Figaro Madame.
Kathryn Greer, CTO chez SmartAngels : « Il faut se lancer car il n’y aucune raison qu’une femme n’y arrive pas »
Depuis un peu plus de trois ans, Kathryn Greer occupe le poste de CTO chez SmartAngels, une plateforme de crowdfunding qui permet aux investisseurs particuliers et professionnels de financer des start-up et PME de croissance, en actions ou en obligations. Diplômée d’Epitech, cette jeune femme de 27 ans a toujours baigné dans le milieu de l’informatique et si dans sa famille, cela était plutôt répandu - parmi ses trois soeurs, deux ont emprunté la même voie qu’elle -, elle s’est toutefois retrouvée beaucoup plus isolée au cours de ses études et dans son environnement professionnel. « À l’école, nous n’étions qu’une trentaine de filles sur une promo de près de 600 garçons », raconte-t-elle. Aujourd’hui, elle gère une équipe technique de huit personnes exclusivement masculine. « Je ne recrute pas en fonction du genre mais des compétences et comme qu’il y a beaucoup plus d’hommes dans ce milieu, j’ai statistiquement plus de probabilités de trouver des hommes qui correspondent à mes besoins », explique-t-elle, tout en admettant qu’elle serait ravie de pouvoir un jour recruter une femme. Elle reconnaît que les choses évoluent mais que cela va prendre du temps et invite les jeunes filles hésitantes à ne pas se fier aux préjugés. Son conseil : « _Se lancer car il n’y aucune raison qu’une femme n’y arrive pas _».
Bénédicte de Raphélis-Soissan, fondatrice de Clustree : « Quand l’intelligence artificielle permet de casser les stéréotypes »
Elle se dit « déterminée, hyper indépendante et culottée » et n’a jamais eu peur du risque. Après des études en mathématiques appliquées et quatre années dans un cabinet de conseil, Bénédicte de Raphélis-Soissan a envie de changement mais est consciente que son CV, qui ne comporte ni grande école ni grande entreprise, ne correspond pas vraiment aux attentes des recruteurs. Elle se met alors à éplucher plus de 500 CV « à la main » de personnes qui avaient un point commun avec elle pour analyser leur parcours et avoir une idée plus claire des opportunités qui pourraient se présenter à elle. Cette expérience fastidieuse lui donne l’idée de créer Clustree, un outil d’aide à la décision en ressources humaines fondé sur l’analyse de la réalité. Concrètement, il s’agit d’un algorithme capable d’analyser plus de 250 millions de profils dans le monde et qui permet de casser les stéréotypes et les « cases » préétablies, en faisant ressortir les compétences réelles de chacun, bien au-delà du diplôme ou des expériences professionnelles cumulées. Trois ans plus tard, les résultats sont là : 67% des candidats que Clustree proposent à ses clients viennent d’horizons souvent très éloignés du profil a priori requis et 80% des managers et des candidats se déclarent satisfaits de leur recrutement.
Philippine Dolbeau, créatrice de l’application New School : « L’ambition ne doit pas être un gros mot »
Photo La Tribune - Crédits : PD
On la présente souvent comme l’un des plus jeunes entrepreneurs de France. À 15 ans, alors qu’elle n’est qu’en seconde, Philippine Dolbeau crée New School, une application pour smartphones destinée à faciliter l’appel dans les établissements scolaires. C’est en tombant sur un reportage racontant l’histoire d’un jeune garçon de 9 ans qui s’était endormi dans le bus qui l’emmenait à l’école et qui avait passé la journée au dépôt sans que personne, ni sa maîtresse ni ses parents, ne se rende compte de son absence qu’elle a l’idée de créer cet outil. En mai 2015, Philippine remporte un concours de jeunes entrepreneurs et se fait repérer par Tim Cook, le PDG d’Apple, qui l’aide alors à construire techniquement son application. Lancée en septembre 2016, New School, qui est désormais dotée d’une nouvelle fonctionnalité de « bons points » accordés aux élèves pour récompenser leur bon comportement en classe, est désormais utilisée par plus de 3.000 enseignants, et concerne donc pas moins de 350.000 élèves. Une belle réussite pour cette jeune femme de 18 ans qui poursuit aujourd’hui ses études en sciences de l’éducation à Londres et qui répète à qui veut l’entendre que « _l’ambition ne doit pas être un gros mot _».
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