La fin du diplôme en France, et si c'était vrai ?

09 oct. 2018

6min

La fin du diplôme en France, et si c'était vrai ?
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Polytechnique, Centrale, HEC, l’ENA, l’ENS… voilà des noms qui claquent et semblent dominer le monde des affaires et de la politique. Les diplômés des grandes écoles françaises sortent de leurs études avec un sésame pour l’emploi et un plan de carrière quasi garanti. Pourtant, la contestation gronde et la côte du diplôme commence à baisser au profit de nouvelles valeurs. Décryptage de cette tendance de fond avec Geoffroy de Lestrange, Directeur Associé marketing produit Europe de Conerstone OnDemand, fournisseur de solutions d’apprentissage et de gestion des talents basées sur le cloud.

Le déterminisme français

Pour l’amour de la méritocratie

En France, le niveau de diplôme reste toujours fortement corrélé au niveau de vie et le diplôme demeure le moyen le plus sûr de s’assurer un statut et une mobilité professionnelle. Cette prégnance historique est une particularité bien française. Marie Duru-Bellat, professeur de sociologie à Sciences Po et auteure de L’inflation scolaire, insiste sur la garantie symbolique qui y est associée. « Dans les pays modernes qui ont rejeté l’aristocratie, les classes, etc…, il faut bien un critère pour répartir des emplois très inégaux. C’est le mérite, et on fait confiance à l’école pour le déceler. Il y a une certaine nécessité du diplôme. Ça protège, on se dit “si on travaille bien à l’école, on aura une place.” » Côté recrutement, le constat est le même. Pour Geoffroy de Lestrange, les entreprises ne veulent pas « prendre de risque » et souhaitent comprendre « ce que le candidat sait déjà faire. » Aussi, le diplôme est un moyen de valider des connaissance théoriques.

La caution des Grandes écoles et Universités

Le système éducatif français semble beaucoup miser sur la formation initiale et valoriser les hautes distinctions. Le rayonnement de certaines Grandes écoles et Universités conduit les jeunes à entamer une course au diplôme et aux grands noms. On joue son avenir sur ses premières années de formation car contrairement aux pays nordiques ou à l’Allemagne, il y a très peu de formation continue pour revenir dans le circuit par la suite. Le journaliste britannique Peter Gumbel affirme dans son livre Elite Academy que « nulle part ailleurs dans le monde, la question de savoir où vous avez fait vos études ne détermine si profondément votre carrière. »

« Nulle part ailleurs dans le monde, la question de savoir où vous avez fait vos études ne détermine si profondément votre carrière. » - Peter Gumbel, Elite Academy

Le virage des entreprises

La compétence avant le diplôme

Le diplôme n’a pas encore perdu son statut mais la rumeur gronde. Le monde du travail a changé. Comme le souligne Geoffroy de Lestrange, « c’est très factuel. Dans les années 50, la durée de vie moyenne d’une entreprise était de 50 ans, elle était de 15 ans en 2010 et nous serons amenés à exercer demain des métiers qui n’existent pas encore. » La nature du travail change tellement rapidement que l’on ne peut plus capitaliser que sur le diplôme. Dans un monde du travail mouvant, ce qui compte le plus c’est « le transfert de compétences et la capacité à apprendre. »

L’avènement des softs skills

Le point de départ des conclusions de Geoffroy de Lestrange ? Une étude menée avec IDC en 2018 sur la culture d’innovation dans l’entreprise. Le diplôme est de moins en moins important pour les recruteurs. Les chiffres ne mentent pas : les qualités requises pour un poste (les compétences) s’imposent comme critère numéro 1 en France dans le processus de recrutement (60%) et ce loin devant l’aptitude à résoudre un problème lors d’un test (36%) ou les exigences en matière d’éducation, d’études, de diplôme (32%). L’argument du diplôme est même moins considéré en France dans le processus de recrutement que dans les autres pays européens (41%). La notion de “compétence” devient capitale et les compétences comportementales dites “soft skills” intéressent désormais tout particulièrement les employeurs qui les jugent « plus importantes que les compétences techniques » (cf. étude menée par Pôle Emploi). On pense par exemple à la capacité d’adaptation, à l’autonomie, à la capacité à gérer les conflits, à comprendre le capital humain.

De nouveaux critères et méthodologies de recrutement

Si les recruteurs ne sont pas encore unanimement prêts à se passer du diplôme, on observe un vrai renforcement du sujet des compétences. Les mutations du monde du travail supposent de miser sur d’autres valeurs : la capacité à apprendre, l’adéquation culturelle, la capacité à penser différemment ou à résoudre un problème. Pour valider ces compétences, débusquer ces qualités de savoir-être chez les candidats, les employeurs ont tout intérêt à repenser leur processus de recrutement. Cornerstone onDemand propose des outils technologiques basés sur les compétences clés pour aider à dépasser les biais conscients ou inconscients (le niveau de diplôme, le nom des écoles, la consonance d’un nom de famille…). D’autres recruteurs insufflent plus de souplesse dans leurs méthodes en s’ouvrant à d’autres pratiques de recrutement et formation :validation des acquis d’expérience, mises en situation, e-learning, micro-formations, recrutainement

Le « big bang de la formation »

L’expression est de Muriel Pénicaud, la Ministre du Travail. Pour court-circuiter le déterminisme social en matière éducative et soutenir le virage de la compétence opéré par les entreprises, le gouvernement travaille à plusieurs projets permettant un accès plus général à la formation. L’ambition ? Favoriser l’accès à de nouvelles compétences et revaloriser tous les types de métiers et d’apprentissage. Le projet de réforme de la formation professionnelle et les premières actions conduites par le gouvernement Macron semblent aller dans le bon sens :

  • Le CPF (compte personnel de formation) a déjà remplacé le DIF (droit individuel à la formation) et a vocation à être simplifié. Il sera bientôt crédité en euros plutôt qu’en heures et décliné en application pour permettre aux salariés de choisir eux-mêmes leur formation en se basant sur les avis des apprenants et d’autres critères objectifs.
  • La nouvelle plateforme Parcoursup a remplacé APB (Admission Post Bac) pour rationaliser l’accès à l’université. Elle vise à mieux orienter les étudiants avant leur vœux, clarifier les “attendus” pour intégrer une filière, personnaliser la sélection à l’entrée (pour remplacer le tirage au sort quand il y a plus de candidats que de places) et faire bénéficier les étudiants qui en ont besoin d’un accompagnement pédagogique personnalisé pour réduire le taux d’échec en première année de fac.

Comme le souligne Geoffroy de Lestrange, les réformes du gouvernement Macron confirment cette volonté de « renforcer la formation tout au long de la vie » et d’accorder autant d’importance au potentiel d’apprentissage qu’à la confirmation de ce que l’on sait déjà. Améliorer la formation au sens large et son accès, c’est permettre une meilleure adéquation au marché du travail.

Le renouveau RH

Repenser la politique de talents

Les mutations du travail et les actions menées en matière de formation devraient modifier profondément les règles du jeu en entreprise. Les RH doivent s’adapter à ce nouveau contexte et repenser leur politique de talents et de recrutement. « Les entreprises n’ont pas besoin de diplômes mais de compétences » affirme Geoffroy de Lestrange. Elles doivent donc se concentrer sur le recrutement interne ou externe de compétences à acquérir ou déjà acquises. Deux options s’offrent à elles :

  1. Vérifier que le candidat possède la dite compétence en s’ouvrant à de nouveaux critères et moyens de recruter
  2. Former directement le candidat ou le salarié en repensant la politique de formation. Geoffroy de Lestrange explique par exemple que « le plan de formation annuel n’a plus lieu d’être ». Les compétences sont requises tout de suite et il faut développer des dispositifs terrain qui permettent d’accélérer la montée en compétence. On observe par exemple davantage de micro-formations sur base de vidéos, la constitution de communautés d’apprenants qui partagent leurs informations, les MOOC… Certaines entreprises recrutent désormais en masse du personnel peu qualifié et misent tout sur la formation. Peu importe le diplôme, l’apprentissage se fait en entreprise.

« Les entreprises n’ont pas besoin de diplômes mais de compétences » - Geoffroy de Lestrange, Directeur Associé marketing produit Europe, Cornerstone OnDemand

Les entreprises de la tech ouvrent la voie

Des initiatives comme l’école 42 de Xavier Niel ou l’école du e-commerce de Showroomprivé.com accessibles gratuitement, et sans prérequis d’âge, de diplôme ou de compétences, montrent qu’il n’est plus nécessaire d’être diplômé pour performer sur le marché du travail. Ces géants de l’informatique et du e-commerce plaident pour une formation professionnalisante, collaborative et accessible à tous. Xavier Niel, sur le site de l’école 42, explicite sa philosophie : « Aujourd’hui, le système français ne marche pas. Il est coincé entre d’une part l’université, qui propose une formation pas toujours adaptée aux besoins des entreprises mais qui est gratuite et accessible au plus grand nombre, et d’autre part les écoles privées, chères, dont la formation est assez qualitative mais laisse sur le côté de la route le plus grand nombre de talents, voire de génies, que nous pourrions trouver en France. » _Pour le célèbre business man, _« on peut ne pas avoir le bac et pourtant devenir le développeur le plus brillant de sa génération. »

C’est aussi la vision de nombreuses entreprises internationales pour qui le diplôme est devenu anecdotique dans le processus de recrutement. Le site évaluateur d’entreprises Glassdoor a publié une liste de quinze entreprises dans lesquelles il est possible de postuler sans diplôme. C’est le cas de certains géants de la tech comme Google, IBM ou Apple mais aussi de multinationales comme Starbucks, Whole Food, Hilton ou Ernst & Young.

« On peut ne pas avoir le bac et pourtant devenir le développeur le plus brillant de sa génération. » - Xavier Niel

Si le diplôme a un peu perdu de sa toute-puissance, il n’est pas encore relégué aux oubliettes. Un diplôme de l’ENA ou de Polytechnique ouvre toujours des portes, particulièrement celles des postes à responsabilités. Il reste un critère important dans le cadre d’un recrutement pour valider un bagage théorique. Cependant, dans notre monde mouvant, la pratique prend doucement le pas sur la théorie, le savoir-faire et le savoir-être sur le savoir brut. L’intelligence au travail n’est plus autant corrélée au diplôme dans l’esprit des recruteurs et les barrières à l’entrée des entreprises s’abaissent pour laisser entrer de nouvelles valeurs : l’intelligence émotionnelle, l’empathie, la capacité à apprendre et à s’adapter. La désacralisation du diplôme est en marche… au profit du capital et du potentiel humain.

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Photo by WTTJ

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