Chef de projet crowdfunding, allié de l'entrepreneur

03 sept. 2019

9min

Chef de projet crowdfunding, allié de l'entrepreneur

Saviez-vous qu’en 1875, une décennie avant que la Statue de la liberté soit envoyée par la France aux Etats-Unis en signe d’amitié, sa construction fut financée (en partie) par une campagne de crowdfunding ? Au total, ce furent 400 000 francs d’époque réunis, grâce à la généreuse participation de plus de 100 000 français. Si les initiatives de la sorte étaient plutôt rares à l’époque, c’est parce qu’elles demandaient de lourds moyens de communication et d’organisation. L’avènement d’Internet dans les années 1990 changea la donne. Désormais, réaliser une campagne de financement participatif est à la portée de tous. En France, ce sont 402 millions d’euros qui ont été collectés via du crowdfunding en 2018.

Derrière le succès de ce modèle, se cachent des talents de tous horizons, dont le métier est d’optimiser la réussite d’une campagne de crowdfunding. C’est le cas de Léo, chef de projet crowdfunding chez Ulule, plateforme de crowdfunding made in France, qui a accepté de répondre à nos questions.

Bonjour Léo, pourrais-tu commencer par te présenter et nous donner les grandes lignes de ton parcours ?

Je m’appelle Léo Frémaux, j’ai 26 ans et ça fait maintenant 3 ans que je travaille chez Ulule en tant que chef de projet crowdfunding spécialisé dans la musique et l’audiovisuel. C’est mon premier emploi. Avant je n’avais fait que des stages en événementiel culturel dans le cadre de mon cursus à KEDGE, une école de commerce à Bordeaux. J’ai choisi cette école parce que j’étais très intéressé par un cursus d’industrie créative qui a pris la forme d’un parcours à la carte en 2 ans. J’ai pu beaucoup apprendre sur la culture et son économie et j’ai aussi eu l’opportunité de commencer à développer mon réseau en rencontrant des artistes et des entrepreneurs, toujours dans l’idée de mieux comprendre le marché.

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Une fois diplômé, je me suis mis à chercher un emploi qui pourrait allier la sphère culturelle à l’aspect business. J’ai toujours été passionné de création et je suis très branché musique - j’en faisais beaucoup étant plus jeune - donc je cherchais un poste qui collerait aussi à cette passion personnelle. L’activité d’Ulule correspondait plutôt bien à cette ambition, en particulier ce poste de chef de projet crowdfunding étant donné que tu abordes plein de problématiques différentes dans le cadre de projets variés menés par des artistes, des entrepreneurs, des créatifs… Aujourd’hui, mon travail c’est de les accompagner avant, pendant et après leur campagne de crowdfunding pour que le résultat soit le plus fructueux possible.

Mon travail, c’est d’accompagner les entrepreneurs avant, pendant et après leur campagne de crowdfunding pour que le résultat soit le plus fructueux possible.

Comment s’organise ton activité de chef de projet crowdfunding ?

Chez Ulule, nous sommes organisés par thématique ou par zone géographique. Cela nous permet de vraiment nous spécialiser sur une industrie et donc d’être plus efficace. Pour ma part, je suis responsable musique et audiovisuel en France et au Québec. Ce qui veut dire que pour chaque artiste qui lancerait une campagne de crowdfunding sur Ulule, que soit pour un album, un concert, une tournée, des produits dérivés ou autre, il se verra offert un accompagnement dont je serai en charge.

Cet accompagnement est systématique mais il est plus ou moins poussé en fonction du montant de la campagne, mais aussi des envies, des besoins et de la personnalité du porteur de projet. Sur Ulule, tu as des projets qui vont chercher 500 euros et d’autres 100 000, donc la stratégie à adopter ne sera pas la même, mais dans tous les cas je vais communiquer avec 100% des créateurs.

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Quelles sont tes missions ?

Dans la phase de pré-campagne, qui constitue le nerf de la guerre, ma mission consiste à répondre à toutes les questions du porteur de projet, s’il en a. Ensuite, l’objectif d’une campagne étant de rassembler un maximum de monde autour d’un objectif précis, j’aide à la mise en place et à la coordination d’une stratégie de communication en me basant sur un retroplanning de campagne. Parfois nous avons affaire à des artistes connus qui ont déjà une communauté très engagée et qui souhaitent la consolider ou même l’animer, et d’autres fois, ce sont des projets naissants qui n’ont pas encore de public. Dans ce cas, les défis auxquels nous faisons face sont très différents, donc la stratégie aussi. Mais dans tous les cas, pour réaliser une stratégie efficace, il faut bien comprendre le business, dans quel marché le projet s’inscrit, quelles sont les cibles et aussi les motivations derrière cette campagne.

Pour réaliser une stratégie efficace, il faut bien comprendre dans quel marché le projet s’inscrit.

À partir du moment où la campagne est lancée, je me dois d’être continuellement proactif en étant force de proposition sur différents aspects de leur campagne. Plus concrètement, je regarde ce qu’ils postent sur leurs différents réseaux et à quel rythme, je les contacte lorsque j’estime qu’il faut recalibrer leur communication, je les aide à identifier les bons canaux de diffusion et à travailler leurs relations presse en fonction de leur cible et de leurs objectifs, etc. Nous travaillons aussi régulièrement avec des partenaires, institutions ou marques, toujours dans l’optique d’optimiser les campagnes mais cela peut aussi être pour organiser des appels à projet.

Lorsque la campagne est terminée, ma mission continue pendant quelques semaines, toujours dans l’idée d’accompagner le créateur jusqu’au bout sur la livraison des contreparties ou la relation avec les contributeurs par exemple. En parallèle, il y a aussi une partie terrain qui consiste à participer à des évènements comme des tables rondes ou des conférences sur le thème du crowdfunding. Parfois, on organise aussi des formations et des webinaires sur le sujet, afin d’asseoir notre expertise.

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Qui sont tes interlocuteurs ?

En règle générale, je travaille directement avec le fondateur ou le porteur du projet. De temps en temps, je traite avec un chargé de communication ou la direction marketing, mais c’est plus rare. Cela dépend aussi de la taille de l’entreprise ou de l’association que j’ai en face de moi. Mais étant donné que notre objectif est de fédérer une communauté autour de la campagne, il est préférable de travailler, sans détour, avec le créateur, qui connaît tous les tenants et les aboutissants de son projet.

Notre objectif est de fédérer une communauté autour de la campagne, il est donc préférable de travailler avec le créateur, qui connaît tous les tenants et les aboutissants de son projet.

Chez Ulule, nous avons environ un tiers d’entreprises, un tiers de particuliers et un tiers d’associations qui lancent des campagnes de crowdfunding. Dans la musique, ce sont très souvent des associations et des entreprises, avec des équipes assez restreintes.

Au delà des créateurs avec lesquels j’interagis quotidiennement, nous avons des partenaires très proches de la plateforme comme la SACEM, Microcultures ou VS Com qui interviennent sur des sujets de soutien financier, logistique, administratif ou marketing autour des projets en cours sur Ulule.

En interne, le pôle projet est au coeur de l’activité d’Ulule, forcément nous sommes aussi en lien avec l’équipe tech & produit pour faire évoluer la plateforme, les équipes édito et marketing pour diffuser et mettre en avant les projets, le pôle administratif pour la gestion financière des projets et On est au coeur de la machine puisque tout le monde travaille d’une façon ou d’une autre autour des projets.

Comment t’organises-tu concrètement avec les porteurs de projets ?

Il faut déjà se rappeler que la plateforme Ulule, c’est vraiment un outil. Dans l’absolu, les gens pourraient l’utiliser en autonomie et ça pourrait très bien fonctionner. La raison pour laquelle le poste de chef de projet crowdfunding existe, c’est parce que nous avons une volonté d’aider l’artiste à être conscient de toutes les problématiques et de toutes les opportunités qu’il va rencontrer au cours de sa campagne. Mon rôle, c’est de leur faire réaliser les enjeux et de les aider à être sur la bonne voie.

Mon rôle, c’est de leur faire réaliser les enjeux et de les aider à être sur la bonne voie.

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Une campagne dure en moyenne 45 jours et j’entre en jeu un mois et demi avant et jusqu’à plusieurs semaines après, donc j’ai en moyenne 3 ou 4 mois de relation avec le porteur de projet. C’est de lui que va ensuite dépendre le contenu de mon accompagnement. Il y en a beaucoup qui souhaitent qu’on se rencontre et c’est une très bonne chose, cela permet d’avoir le feeling avec la personne. Autrement ça se fait par téléphone ou par mail. Dans le cadre d’un gros projet, je vais probablement appeler mon interlocuteur plusieurs fois par semaine, en complément des échanges de mails réguliers, dans l’idée de suivre la stratégie et de mesurer son efficacité.

Aujourd’hui, il y a plus de 800 projets en ligne sur Ulule, et presque autant en pré-campagne. Pour ma part, je suis sur une centaine de projets en simultanée. Il arrive que j’aie de gros projets qui ne désirent pas mon accompagnement, et au contraire, des petits projets qui ont énormément besoin de moi.

Aujourd’hui, il y a plus de 800 projets en ligne sur Ulule […] Pour ma part, je suis sur une centaine de projets en simultanée.

Qu’est-ce que tu aimes le plus dans ton métier ?

Je pense que ce que j’aime le plus, c’est la richesse des rencontres. La partie relationnelle finalement. On a l’avantage de pouvoir collaborer avec de nombreux métiers différents, et rien que ça c’est super enrichissant. Les challenges sont certes permanents, mais ils me permettent de rencontrer des artistes à la vision et à la personnalité très variés, que je n’aurais jamais eu l’occasion de côtoyer dans d’autres circonstances. Être capable de voir l’envers de leurs décors et pouvoir intervenir dans leur projet du moment, c’est complètement unique !

Quand un album sort grâce à l’une de nos campagnes, on a automatiquement ce sentiment d’avoir apporté une pierre à l’édifice. C’est un sentiment d’appartenance que nous partageons d’ailleurs avec chaque contributeur de la campagne en question. Le top, c’est quand on peut voir directement le fruit de notre travail dans les médias ; on a la chance de faire partie d’une multitude de success stories.

Quand un album sort grâce à l’une de nos campagnes, on a automatiquement ce sentiment d’avoir apporté une pierre à l’édifice.

Un autre intérêt de ce métier est que nous appartenons à un écosystème super attractif, mais sans être impacté par ses contraintes. Étant donné que notre rôle est éphémère et satellitaire, l’industrie du disque pourrait couler demain par exemple, Ulule ne disparaîtra pas pour autant.

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Et qu’est-ce que tu aimes le moins ?

J’aime moins lorsque je suis confronté à un porteur de projet qui décide de suivre une stratégie prédéfinie de son côté sans ouverture au dialogue. Dans ces cas-là, il est difficile de gérer la situation, parce que mon métier est de l’aider… C’est quelque peu frustrant, voire démotivant, mais ça fait partie du jeu : je sais que la plupart des personnalités avec qui je travaille sont émotionnellement très attachées à leurs créations artistiques, qu’elles ont leur propre vision qu’il faut apprendre à respecter, même si elles pourraient, dans le cadre d’une campagne de crowdfunding, être améliorées.

Y a-t-il un projet dont tu es particulièrement fier ?

Dernièrement c’est Sinsémilia, un groupe que j’écoutais plus jeune qui a choisi Ulule pour financer leur prochain album. Ils souhaitaient récolter 30 000 euros à la base, et ils en ont reçu 51 000 au total. C’était génial de pouvoir les rencontrer et encore mieux de travailler avec eux. Je suis rentré en contact avec eux plusieurs mois avant le début de la campagne. Je pense qu’ils auraient pu sortir l’album sans les fonds récoltés, mais plus tu as d’argent pour ce genre projet, plus tu es à l’aise pour te laisser de la marge en studio, dans les clips, pour ton produit, etc. Ça fait plus de 20 ans qu’ils existent donc ils ont déjà une grosse communauté, mais le challenge était justement de réactiver cette communauté et de la mobiliser autour d’un projet commun pour la renforcer.

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J’ai travaillé avec une personne du groupe et un consultant externe, spécialisé en marketing digital pour mettre en place un nouveau site Internet avec un call-to-action destiné à activer des leads pour la campagne. Une newsletter régulière a également été créée afin de tenir au courant tous les fans du lancement et du déroulement de la campagne. Enfin, nous avons défini ensemble la teneur des contenus - vidéos, visuels, textes ainsi que les différentes contreparties à envoyer aux contributeurs. Pendant la campagne, nous avons continué à réaliser des ajustements en fonction des retours sur tel ou tel message.

Il y a eu beaucoup d’autres levées de fonds sur lesquelles j’ai adoré travailler : Alejandro Jodorowsky, Moriarty, Les Hurlements d’Léo, Soan, Stupeflip ou encore Nosfell qui sortira bientôt un nouveau projet.

Quelles sont tes perspectives d’évolution personnelles, chez Ulule ou ailleurs ?

En 3 ans chez Ulule, j’ai pu constater que de nombreuses personnes qui ont quitté la boîte ont choisi de monter leur propre projet. C’est une suite logique en fait. On apprend énormément sur un marché en particulier donc forcément ça donne des idées. Pour ma part, je m’interroge beaucoup sur la création de projets que j’ai en tête depuis longtemps. Étant donné que je suis quotidiennement en contact avec des entrepreneurs, c’est d’une part super inspirant et d’autre part, cela permet d’avoir un aperçu de quelques méthodes entrepreneuriales.

Je suis quotidiennement en contact avec des entrepreneurs, c’est super inspirant et cela permet d’avoir un aperçu de quelques méthodes entrepreneuriales.

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Quels conseils donnerais-tu à quelqu’un qui voudrait exercer le métier de chef de projet crowdfunding ?

Hormis le fait d’aimer les gens, il y a certaines qualités qui faciliteront la vie d’un chef de projet crowdfunding. Je dirai qu’il faut être patient, savoir s’adapter à tous types de profils et de situations et surtout être capable de prendre des initiatives. Il faut aussi aimer le challenge et se creuser les méninges : être prêt à parler avec beaucoup de monde toute la journée. L’avantage, c’est qu’il n’y a pas de cursus précis pour devenir chef de projet crowdfunding. Il suffit d’avoir des notions de marketing et de communication ainsi que les qualités humaines requises.

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Photo d’illustration by WTTJ