Coupe afro au travail : « Je suis fière de porter mes cheveux au naturel »
03 nov. 2021
4min
Rédactrice freelance
Pour les femmes et les hommes noirs, métissés ou afro-descendants, la question du port du cheveu naturel au travail se pose. Les brimades entendues à l’école se transforment souvent à l’âge adulte en commentaires et remarques désobligeantes de la part des collègues. Et parce qu’ils sont perçus négativement, les cheveux afro peuvent être source de discrimination. Face à ce constat, certains préfèrent occulter la nature réelle de leurs cheveux. Après m’être personnellement pliée à cette norme lors de mes toutes premières expériences professionnelles, j’ai maintenant fait le choix de ne plus répondre à cette injonction. Tout en étant consciente du risque que ma décision comporte, je porte tête haute mes boucles.
« Bon, et les cheveux, je les attache ou pas ? »
Je crois que toute personne dotée de cheveux longs s’est un jour posé cette question ô combien importante d’attacher ou non ses cheveux en se préparant pour un entretien d’embauche. Mais elle ne revêt pas la même signification lorsqu’on a le cheveu long … et crépu ! Dans ce cas-là, il ne s’agit pas seulement d’un choix purement esthétique. Les cheveux crépus et la manière dont ils sont portés ne sont pas anodins, encore moins dans le monde du travail. J’en ai fait l’expérience bien malgré moi.
Ma volumineuse crinière a toujours attiré les regards, bons ou mauvais. Et c’est bien dans le cadre professionnel que les gens se sont sentis les plus libres de me faire part de leur avis (sans les avoir sollicités, il va de soi) : « Tu devrais plutôt les attacher », « ah mais tu ne les lisses jamais ? », « tu n’as pas peur que ça ne fasse pas pro ? »… Autant de remarques qui peuvent sembler banales, mais qui viennent pourtant souligner que mon apparence naturelle n’est pas celle attendue. Elle ne correspond pas à la norme et donne (trop) à voir ma différence.
« Au standard du cheveu long, lisse et brushingué, perçu comme beau et soigné, s’oppose celui du cheveu crépu, jugé négligé et par conséquent, peu professionnel »
« Tu ne reflètes pas l’identité de la marque »
Toute jeune chargée des relations presse dans une grande marque de cosmétique française, j’adopte les codes de l’entreprise : tenue formelle, vernis et maquillage impeccables, coupe soignée… Du moins, c’est ce que je pense. Je comprends très vite que la perception que j’ai de moi-même n’est pas celle de mon manager. Lui qui m’a pourtant recrutée cheveux longs et crépus au vent ne peut pas s’empêcher dès les premiers jours de ma prise de poste d’exprimer son étonnement face à ma manière de me coiffer. Les questions sur mes cheveux se multiplient. Plusieurs fois, il tient à savoir pourquoi je les porte comme ça, pourquoi je ne les lisse pas.
Progressivement, ses petites remarques se transforment en propos carrément insultants, sous couvert d’humour » : « T’as oublié de te coiffer aujourd’hui ? », « les cheveux, le boubou, on est en Afrique là » ou, sur un registre plus enfantin, « t’as encore mis les doigts dans la prise ce matin ? »… Jusqu’au jour où, probablement excédée de voir que son attitude ne change pas ma nature de cheveu, il juge nécessaire de préciser sa pensée. À ses yeux, mes cheveux et mon apparence physique en général ne sont pas adaptés à la fonction que je prétends occuper. Ils ne reflètent pas l’identité et les valeurs de la marque.
« Se défriser, c’est faire la preuve de son aptitude à devenir un sujet socialement “adapté” à un environnement désormais travaillé en profondeur par le modèle occidental. » Juliette Sméralda, sociologue
Une perception négative du cheveu crépu, jugé incompatible avec le monde du travail
Si les remarques ne sont pas toujours aussi déplacées, il existe toutefois une représentation communément partagée du cheveu crépu qui peut porter préjudice aux personnes racisées dans le cadre professionnel. Au standard du cheveu long, lisse et brushingué, perçu comme beau et soigné, s’oppose celui du cheveu crépu, jugé négligé et par conséquent, peu professionnel.
Les recruteurs, les responsables et l’entreprise comme organisation composée d’une multitude d’individus méconnaissent généralement les normes de beauté capillaire des personnes noires ou métisses. Des décennies de cheveux crépus portés lissés ou défrisés en entreprise les ont habitués à ce que les personnes afro-caribéennes se fondent dans le moule d’un standard capillaire perçu comme universel, celui des cheveux lisses. Ceux et celles qui refusent de s’y plier s’exposent de fait aux discriminations.
Les personnes aux cheveux crépus qui craignent que leurs apparences ne les privent du boulot de leur rêve ou d’une promotion ont intégré cette injonction. Si bien que des femmes mais aussi des hommes de mon entourage proche évitent sciemment certaines coupes de cheveux. Quand l’un repousse le moment de se faire des dreadlocks ou préfère se raser le crâne, l’autre s’attache chaque matin à plaquer en arrière le moindre de ses frisottis. Certaines optent même pour l’option radicale et coûteuse de la perruque. Après tout, comme l’écrivait Juliette Sméralda, sociologue et auteure de Peau noire, cheveu crépu : l’histoire d’une aliénation (Éd Jasor Eds) : « Se défriser, c’est faire la preuve de son aptitude à devenir un sujet socialement “adapté” à un environnement désormais travaillé en profondeur par le modèle occidental. »
« Pour ma part, je fais le choix d’afficher fièrement mon afro, dès le CV. Hors de question de montrer une version édulcorée de moi-même. »
Le choix heureux du naturel
Face aux micro-agressions que supportent les personnes racisées dans le cadre professionnel, chacun développe sa propre technique de défense. Il m’a fallu du temps pour trouver la mienne. J’ai d’abord dû me conforter dans l’idée que ces remarques étaient infondées et racistes. Lorsque l’on est jeune professionnelle, il est difficile de ne pas tomber dans le piège d’un discours qui met volontairement en doute votre professionnalisme. Il est d’autant plus vertigineux d’imaginer toutes les fois où vos cheveux vous ont potentiellement causé du tort à votre insu. Face à la pression, le doute s’installe : « Peut-être que mon manager a raison ? », « est-ce que je ne devrais pas moi aussi me lisser les cheveux pour assurer ma place dans cette entreprise ? »… et il est tentant de céder.
Heureusement, l’avènement du mouvement NAPPY (pour “natural” et “happy”) a été ma boussole dans cet océan d’incertitudes. Ce mouvement de libération du cheveu crépu né aux États-Unis dans les années 2000 a révélé la dimension politique derrière les considérations esthétiques. Les nappy girls ont réveillé le caractère revendicatif du port de l’afro. Je devenais une femme affranchie des diktats de beauté, basés sur l’apparence des femmes caucasiennes.
Est-ce que les convictions valent la peine de prendre le risque de ne pas être embauchée ou promue ? Il revient à chacun de trancher cette question. Pour ma part, je fais le choix d’afficher fièrement mon afro, dès le CV. Hors de question de montrer une version édulcorée de moi-même. Je fais le pari qu’il ne me portera pas préjudice, puisqu’au moins il m’évitera de m’engager dans une organisation qui fera de ma chevelure ma faiblesse.
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Article édité par Romane Ganneval ; Photos Unsplash
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