Profiter du chômage pour souffler peut être nécessaire : stop à la culpabilité !

23 nov. 2022

6min

Profiter du chômage pour souffler peut être nécessaire : stop à la culpabilité !
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« Et toi, tu fais quoi dans la vie ? » Cette question incontournable est sans doute la plus redoutée des demandeurs d’emploi. En France, le travail est un marqueur social tellement fort qu’il est intimement lié à notre identité. Pour nombre d’entre nous, être au chômage est perçu comme une marque de faiblesse ou d'échec, ce qui génère un sentiment de honte, de culpabilité et une perte d’estime de soi chez les personnes concernées.

À bien des égards pourtant, il peut devenir un précieux moment d’introspection et de construction pour qui réussit à se détacher des jugements extérieurs. Car contrairement à ce que l’on pense, on ne fait pas rien quand on ne travaille pas. En témoignent Ingrid, Christine, François et Charlotte.

« Sans ce temps de pause, je serais potentiellement retombée dans le même schéma toxique qu’avant », Ingrid, 31 ans, chargée de partenariats

J’ai été embauchée dans une grosse boite américaine de la tech en 2021 à l’ancien poste de ma manageuse qui venait de prendre du grade. D’emblée, elle m’a prise en grippe. Dès le début de notre collaboration, elle a tout fait pour que je parte. Elle m’infantilisait et me répétait que j’étais trop jeune pour être à ce poste. Alors que je gérais les « tops clients » de France, elle a subitement voulu que je gère les petits business. Elle voulait changer ma fiche de poste, m’envoyait des mails à 19h avec des tâches à terminer pour le lendemain matin. Je n’avais aucune définition claire de mes objectifs, ça changeait tout le temps. Elle et mon N+2 n’étaient jamais d’accord et se contredisaient sans cesse. Je n’osais même plus écrire un mail. J’étais épuisée émotionnellement. C’était quasiment du harcèlement. Elle semblait avoir peur que je lui prenne son poste alors que je voulais simplement bien faire mon travail.

Au bout de 6 mois, j’ai fait un burn out et me suis mise en arrêt maladie. Ça a été une décision difficile, il m’a fallu deux ou trois semaines pour céder face au médecin. Après 3 mois d’arrêt, j’ai négocié une rupture conventionnelle et me suis inscrite à Pôle Emploi. Je n’aurais jamais pensé en arriver là si tôt dans ma carrière, surtout après un master ! On est conditionné par la société pour travailler, donc j’avais l’image du chômeur qui se lève à 11h30 et reste toute la journée devant la télé en jogging. Pour moi, ces gens profitaient du système. Bien sûr j’ai compris qu’une carrière n’était pas linéaire, qu’il peut y avoir des accidents de parcours et que personne n’est à l’abri de se retrouver dans cette situation.

Mais au début, j’ai eu du mal à accepter de ne plus avoir de vie professionnelle. J’ai eu besoin de me remettre de mes émotions, digérer ce qui s’était passé et surtout, en faire quelque chose de constructif. L’Apec (l’Association pour l’emploi des cadres) m’a aidée à y voir plus clair et à éliminer le sentiment de honte, grâce notamment à plusieurs entretiens avec une consultante spécialisée en bilan de compétences et des ateliers. Ça m’a rassurée. Ce temps de pause m’a permis de faire un travail introspectif, de redéfinir mes limites et les critères de mon prochain job, parce que le monde de la tech, c’est à l’américaine : marche ou crève ! Tout le monde m’a dit que j’avais eu raison. Car on a cette image du héros qui va jusqu’au bout des choses sans jamais abandonner mais quand notre santé est en péril c’est courageux de laisser tomber. Ça nous permet de nous reconstruire sur des bases saines. Aujourd’hui, je sais que c’est une victoire d’avoir été en arrêt-maladie, au chômage et d’être capable d’en parler sans honte. Je pense même avoir ouvert la voie à un collègue. Le chômage m’a permis de prendre du temps pour moi, du recul sur mes envies et mes ambitions, de me reconnecter à mon réseau tranquillement sans foncer sur la première offre d’emploi venue et potentiellement retomber dans le même schéma toxique. Sans ce temps de pause, j’aurais certainement fait un deuxième burn out.

« Le chômage m’a permis de mûrir mon projet » Charlotte, 31 ans, future libraire

Ça va faire un an que je suis au chômage. J’ai fait une école de commerce et travaillais dans le marketing pour une boite internationale, mais j’avais envie d’autre chose. Comme pour beaucoup d’autres salariés, la crise sanitaire a été une période de remise en question assez bouleversante pour moi. Elle m’a fait réaliser que j’avais besoin de sens, d’exercer un métier de contact, d’apporter autre chose à la société. Alors au terme d’un long cheminement introspectif, mon compagnon et moi avons décidé de nous lancer dans l’entreprenariat et d’ouvrir notre librairie. Au début, bien sûr, il a fallu s’habituer à se décrire comme demandeur d’emploi et ça n’a pas été facile à accepter d’emblée, je me sentais un peu coupable d’être au chômage, redevable. Alors ça m’a motivée à bosser !

Notre objectif était de sortir le projet rapidement pour bénéficier le moins longtemps possible des indemnités Pôle Emploi, mais il y a des délais incompressibles et beaucoup de choses à faire. Je n’ai pas arrêté de l’année : j’ai fait des stages en librairie, je me suis formée, je me suis occupée des demandes de crédits, subventions et financements. On a mobilisé beaucoup d’acteurs sur le projet donc on devait avoir un dossier solide qui nécessite du temps de construction. Finalement, j’ai vite réalisé que je n’aurais jamais pu faire tout cela en parallèle de mon activité. Le chômage m’a permis de mûrir le projet et de le finaliser tout en bénéficiant des allocations chômage (nous continuons à en bénéficier lorsque nous lançons une activité). Ça nous a donné une bouffée d’air. Nous avons intégré nos allocations au business plan. C’est un super système qui permet d’amorcer le démarrage !

« On comprend que l’on existe autrement que professionnellement », Christine, 59 ans, cheffe d’entreprise

J’étais cheffe d’entreprise depuis 20 ans quand ma boîte a été liquidée peu avant la crise sanitaire. Ça a été très difficile, j’étais traumatisée. Mais au moment où tout s’est écroulé, j’ai aussi eu l’impression de descendre d’un train qui filait à toute vitesse. Pendant longtemps, j’avais un objectif assez horizontal avec des priorités rapides et stressantes. Quand on se prend le mur, ça fait mal mais on peut faire le point. Comme j’étais salariée de ma propre entité, j’ai eu droit au chômage. Alors d’un coup, j’ai eu le temps de prendre du recul et réfléchir au sens que je voulais donner à ma vie. Cette pause a été salvatrice pour moi. Bien sûr, j’étais en colère au début. Je trouvais injuste de me retrouver à terre avec tous mes idéaux. Mais on ne construit rien sur la colère, alors je me suis interrogée : qu’est-ce que j’ai de bon en moi à offrir au monde ? Qu’est-ce qui pourrait servir ? Je me suis engagée dans une fondation et j’ai fait du bénévolat dans les Ehpad. Puis pendant le confinement, j’ai utilisé mes compétences pour répondre à un besoin immédiat qu’avait la France : j’ai travaillé pendant deux mois sur la fabrication d’un masque biodégradable.

J’ai aussi rejoint un groupe de réflexion sur la liquidation, ce qui m’a permis de rencontrer des chefs d’entreprise dans la même situation que moi. J’ai pris du recul. Je me suis rendue compte à quel point ma famille était solide, mais je me suis séparée de mon compagnon car j’ai aussi pris conscience que nous n’avions pas les mêmes valeurs. J’ai fini par rebondir et créer une nouvelle entreprise. Je pense qu’il est important dans ce genre de moment de rejoindre des collectifs, d’aller à la rencontre des autres. Parfois, ça ouvre de nouvelles perspectives, ça permet même de découvrir de nouvelles vocations. Financièrement ce n’est pas royal, mais ça donne matière à réfléchir. Quand on se retrouve au chômage, on comprend que l’on existe autrement que professionnellement.

« Sans le chômage, je ne me serais jamais lancé », François, 29 ans, formateur

En 2018, j’étais dans l’enseignement supérieur et littéralement surmené. Il faut dire que j’ai une conscience professionnelle débordante : je me mets beaucoup de pression pour que chaque chose demandée soit faite et j’ajoute toujours un petit surplus pour être apprécié de ma hiérarchie. J’ai un engagement très fort envers ma direction et ce côté « bon petit soldat » qui fait rire mes amis. Je voulais briller, être sur tous les tableaux, me sentir légitime. Je n’avais pas encore 30 ans que j’occupais déjà un poste à responsabilités, alors pour me rassurer moi-même et prouver mes capacités à ma hiérarchie, j’ai mis les bouchées doubles. Je ramenais du boulot à la maison tous les soirs, je travaillais pendant les vacances, j’étais débordé mais j’estimais que la faute me revenait parce que je ne savais pas m’organiser. Je me suis dépassé et même surpassé, sans desceller les petites alertes comme l’insomnie ou le stress.

Puis un midi après les vacances de Noël, je me suis effondré en larmes devant un collègue. Il m’a conseillé de rentrer chez moi et de trouver une solution. J’ai été voir mon médecin et je ne suis plus jamais revenu. J’ai passé neuf mois en arrêt-maladie suite à un burn out. Mon employeur et moi nous sommes quittés d’un commun accord et je me suis inscrit au chômage. Ça m’a fait beaucoup de bien car je ne me voyais pas y retourner. Je culpabilisais de ne pas avoir su m’écouter et ralentir le rythme.

J’ai enfin pu prendre du temps pour moi et me reposer. Puis je suis devenu papa, ce qui m’a donné envie de tourner la page et de rebondir. Quelques mois plus tard, en mai 2019, j’ai créé mon entreprise. Aujourd’hui je suis formateur en prise de parole en public et c’est grâce au chômage. Car au début, le temps de lancer mon activité et de trouver des clients, je n’avais pas de revenus fixes. Même s’il me tardait d’être autonome, je vivais entre les indemnités Pôle Emploi et mes premières rentrées d’argent. J’ai le sentiment qu’avoir été au chômage m’a servi de filet de sécurité. Sinon, je ne me serais jamais lancé. Savoir que j’avais cette sécurité m’a permis de prendre mon envol, quelque part ça a été un tremplin. Alors bien sûr, il y a toujours la pression sociale qui te renvoie, même indirectement, au statut de chômeur. Ce n’est pas une étiquette évidente à porter. Mais ça m’a encore plus motivé et aujourd’hui je suis stable financièrement.

Article édité par Gabrielle Predko ; Photo de Thomas Decamps

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