Vers une dévalorisation des diplômes de 2020 ? Les recruteurs rassurent

22 avr. 2020

6min

Vers une dévalorisation des diplômes de 2020 ? Les recruteurs rassurent
auteur.e
Sherina Berreby

Journaliste

Après les grèves et les blocus, comme si l’année n’avait pas été assez perturbée, il ne manquait plus qu’une crise sanitaire mondiale nous tombe sur la tête et ferme les portes des écoles et universités. Point trop n’en faut. Déjà qu’en temps normal l’arrivée imminente sur le marché du travail est un parcours semé d’embûches, les futurs diplômés font la grimace depuis leurs bureaux. Entre cours qui sautent, stages annulés et examens suspendus, certains redoutent la dévaluation de leur précieuse décoration. Angoisses injustifiées ou véritable handicap dans l’insertion professionnelle ? Étudiants, recruteurs et spécialistes de l’embauche se répondent.

Cours, stages et examens altérés : un semestre en berne

Depuis le jeudi 13 mars, Marine, 24 ans, en dernière année de master QSE (Qualité Sécurité Environnement) à l’Université de Saint Quentin en Yvelines (UVSQ) se retrouve devant des portes closes. Comme elle, plus de 2,7 millions d’étudiants se rongent les sangs depuis l’annonce du gouvernement. *Face aux amphis vides et aux campus déserts, la question de l’organisation pédagogique se pose : comment mener à bien son année dans ces circonstances inédites ? Si certaines écoles privées sont mieux équipées que d’autres, tous les établissements d’enseignement supérieur ne sont pas logés à la même enseigne. C’est le cas notamment des étudiants à l’université qui se retrouvent lésés — la mise en place de moyens d’enseignements digitaux étant parfois laborieuse.

La future diplômée pointe du doigt des manquements : « Que ça soit pour moi ou pour d’autres étudiants, même si l’on suit encore certains cours à distance, il y en a qui ne sont disponibles que partiellement et d’autres qui sont carrément annulés car certains enseignants n’ont pas les moyens de donner des cours sous forme numérique. » L’administration se veut pourtant rassurante, promettant des conditions aménagées pour la validation du diplôme. Partiels décalés à une date inconnue, annulation des examens de fin d’année ou évaluation en contrôle continu : d’un établissement à un autre, l’obtention du diplôme prend parfois de vagues airs d’arrangements aux conditions parfois surprenantes.

En ces temps troubles où le système estudiantin est malmené, mai 68 revient dans les esprits de tout un chacun. Cette année-là, le taux de réussite atteint des sommets dans les universités françaises. On est face à une augmentation de près de vingt points par rapport aux années précédentes. À cette époque, le syndicat autonome des facultés des Lettres ne cache pas qu’il est « difficile dans ces conditions, d’assurer que les diplômes ont conservé leur valeur. » Des mots qui font écho aux craintes actuelles des prochainement diplômés.
Pour autant, si des parallèles existent entre les deux périodes, la comparaison reste hasardeuse. Et pour cause, si en 1968 les examens ont été allégés et les notations généreuses, ils ont pourtant bien été maintenus en présentiel contrairement à cette année.

Aujourd’hui, le dispositif numérique permet une évaluation à distance, mais tous les étudiants ne sont pas équipés d’outils digitaux. La priorité pour l’UNEF (Union nationale des étudiants de France) est d’éviter à tout prix le décrochage des plus démunis : « Nous réclamons des mesures exceptionnelles afin d’éviter l’échec de masse. On demande de ne pas sanctionner les étudiants par une note inférieure à 10 pour le second semestre, et de pouvoir valider l’année par des DM (devoir maison, ndlr) non limités par le temps pour permettre à des jeunes sans ordinateur ou sans accès à internet de pouvoir travailler dans de bonnes conditions », explique Madji Chaarana, vice-président de l’UNEF.

« On demande de ne pas sanctionner les étudiants par une note inférieure à 10 pour le second semestre » - Madji Chaarana, vice-président de l’UNEF

Entrée sur le marché du travail : « Je n’ai pas acquis certaines notions qui devaient normalement être vues dans mon master »

Si les notations gracieuses rassurent, la question des notions non assimilées tracasse. Elena 21 ans, étudiante en 2e année de BTS fait la grimace face aux lacunes accumulées durant le confinement : « Dans mon école, tout le monde n’a pas pu bénéficier d’un vrai enseignement durant ces mois et nous n’avons plus eu de vis-à-vis avec les enseignants… je suis un peu inquiète quant à la reconnaissance de notre diplôme. J’ai peur qu’on soit défavorisés en termes de formation. Certains dans mon école seront évalués par CC (contrôle continue, ndlr) quand ils auront la moyenne, d’autres passeront des examens de rattrapage en septembre. C’est assez inégal. » Nombre d’étudiants redoutent d’être mal préparés à l’entrée dans la vie active à cause d’une formation incomplète. « C’est assez anxiogène d’arriver sur le marché du travail avec une formation non achevée. Je ne suis pas sûre d’être prête à l’embauche en sortant de tout ça », ajoute Elena, dubitative. Marine avoue partager la même angoisse : « C’est plus qu’une appréhension, il y a une perte de valeur du diplôme dans le sens où je n’ai pas acquis certaines notions qui devaient normalement être vues dans mon master. » Face à ces inquiétudes, le vice-président de l’UNEF se veut plus rassurant, expliquant que les cours manqués seront transmis aux étudiants : « Il faut que les universités et les écoles fassent leur possible pour que les cours soient envoyés, afin qu’ils disposent des connaissances de ce semestre et rattrapent leur retard. Mais rappelons qu’il s’agit d’un semestre sur plusieurs autres, alors ça ne devrait pas empêcher l’étudiant de réussir sa fin d’études correctement.* »

« Je ne suis pas sûre d’être prête à l’embauche en sortant de tout ça » - Elena, étudiante en 2ème année de BTS

Un handicap pour la future recherche d’emploi ?

L’Uni (Union Nationale Inter-universitaire), un syndicat étudiant, s’interroge sur la possibilité de voir les diplômes 2020 dévalués, redoutant une insertion professionnelle houleuse. Les partiels à distance exposent à une forte probabilité de fraude, à une générosité de la part de certains professeurs et de fil en aiguille, à une crédibilité du diplôme amoindrie. Une crainte que Majdi Chaarana (UNEF) chasse d’un revers de main, estimant qu’une dévaluation du diplôme n’aurait pas de bien fondé : « Les étudiants n’ont pas passé toute leur licence ou leur master en confinement ! » La perte de crédibilité d’un diplôme serait davantage une appréhension étudiante qu’un réel boulet au pied pour l’embauche.

De fait, côté RH, l’optimisme quant au recrutement des nouveaux entrants est aussi de mise : « En tant que recruteur, et je pense que c’est la tendance, on est de moins en moins regardant sur le diplôme. On regarde de plus en plus l’expérience du candidat et la logique du parcours. Le fait que les étudiants soient diplômés en 2020, moi je n’y ferai pas attention. Ce sont des choses dont on parle du côté étudiant, pas d’un point de vue RH », tempère Fabien Lalanne, Talent Acquisition Manager spécialisé dans le recrutement de profils juniors.

« En tant que recruteur, et je pense que c’est la tendance, on est de moins en moins regardant sur le diplôme » - Fabien Lalanne, Talent Acquisition Manager

Aux premières loges face à cette crise, Christophe, conseiller chez Pôle Emploi, se veut également rassurant quant à la sacralisation du précieux sésame : « Si le diplôme reste un passeport idéal pour trouver un travail, les entreprises et les différents acteurs de l’emploi défendent également l’approche “compétences”. (…) Les futurs diplômés doivent démystifier le monde de l’entreprise et l’appréhender avec confiance. » *Le diplôme ne serait plus la voie royale pour décrocher son premier emploi. C’est ce que révèle une étude de Pôle emploi de 2018 : 42 % des employeurs déclarent avoir déjà recruté un candidat davantage en raison de son expérience professionnelle et de ses qualités humaines que de ses diplômes. S’il sert à sélectionner les candidats dans un premier temps, le diplôme est de moins en moins pris en compte dans le choix du candidat final. Inutile donc, de tout miser sur la valeur du titre quand on constate sa tendance à la dévalorisation au fil du temps.

À bas les idées reçues : « Tout ne se joue pas la dernière année »

Les recruteurs ne voient pas une future recrue comme un diplôme ambulant, ni même comme un cursus dressé sur deux jambes, mais bien comme un parcours, une identité et une expérience singulière. Concernant les compétences lacunaires, Fabien Lalanne livre ses conseils pour la recherche du premier emploi : « Ne pas faire son stage de fin d’études est plus problématique qu’un diplôme moins bien reconnu. Il faudra mettre en avant le fait que l’on a profité de ce temps pour développer de nouvelles compétences même sans aller à l’école ou à la fac. Il est possible de se former de manière autodidacte avec tout ce qu’on a disposition avec internet. Puis il y a les stages et alternances effectués avant ; tout ne se joue pas la dernière année ! Encore une fois, je ne suis pas inquiet pour l’embauche des gens qui seront diplômés cette année. »

« Ne pas faire son stage de fin d’études est plus problématique qu’un diplôme moins bien reconnu. » - Fabien Lalanne

La valeur du diplôme s’étale sur le contenu, sur la construction des acquis, sur la qualité de la formation, plus que sur les exigences de validation d’une année à une autre. « En termes de formation ou de connaissances, je ne pense pas qu’une personne qui va sortir d’études cette année soit moins compétente que celle de l’année dernière », estime le recruteur, Fabien Lalanne. Si la situation est déstabilisante, car inédite, pas question qu’un semestre vienne ruiner des années d’efforts. En dernière année du Programme Grande Ecole de l’ESCP Business School, un étudiant relativise en souriant : « Ce n’est pas 4 mois qui vont faire que 4 ans d’efforts et de travail seront obsolètes ! »

PS : Les prénoms ont été modifiés

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