Étudiants : ils racontent comment le covid les a fait changer de voie
06 juil. 2022
7min
Photographe chez Welcome to the Jungle
AS
Journaliste freelance
Annoncer que le covid a bouleversé notre société et nos vies est une évidence. Pourtant pour des jeunes qui avaient entamé leurs études dans le but de se lancer dans une carrière particulière, le covid a pû être l’occasion de reconsidérer leurs avenirs, de prendre le temps de réfléchir et de s’imaginer dans un monde qui ne ressemble plus à celui dans lequel ils s’étaient projetés à la fin du lycée. Certains se sont donc reconvertis, avant même d’avoir réellement commencé leur vie active. D’autres, ont vu leurs projets d’études bouleversés et ont été contraints de changer de voie, parfois pour le meilleur. Nous avons recueilli les témoignages d’Anna, Antoine et Alix tous les trois en études.
Anna, 21 ans : Gérer l’imprévu d’un faux départ au Canada
Anna, 21 ans, carbure principalement à l’impulsion et à l’improvisation quand il s’agit de faire des choix. C’est donc avec surprise qu’au début de l’année 2020, elle a pour la première fois de sa vie, planifié son avenir. Portée par de bonnes capacités d’apprentissage en Anglais à l’issue de son Bac, Anna décroche facilement sa place pour aller faire des études de langues au Canada. « J’avais mes billets, j’avais une chambre, je n’attendais plus que mon visa étudiant. Mais le covid a débarqué début août 2020 et le Canada fermait ses portes. J’étais dégoutée. »
Son plan A avorté, Anna se souvient s’être inscrite sur Parcoursup ! Cette heureuse précaution lui offre un plan B et la chance de tout de même débuter ses études. Ce dont elle se souvient moins, ce sont ses choix d’orientation. « J’étais tellement certaine d’aller au Canada que j’avais juste coché des cases un peu au hasard sur la plateforme. Je suis donc retournée sur le site et j’ai vu que j’étais prise dans une licence de langues, littérature et civilisations étrangères en anglais à la Sorbonne Nouvelle. J’étais un peu rassurée, ce n’était pas au Canada c’est sûr…, mais au moins j’allais faire des études de langues. »
Et les surprises sont loin d’être finies. Lors de sa rentrée universitaire, Anna se prépare à choisir une option ainsi qu’une langue mineure. Mais une fois arrivée à la fac, elle repère un tableau accroché au mur sur lequel elle découvre qu’elle est déjà inscrite en mineur hébreu et en option arabe. « En fait, j’avais déjà choisi ces options à l’époque de mon inscription, mais sans vraiment m’en rendre compte, c’était totalement au pif. Et bien que je sois curieuse et ouverte d’esprit, j’ai eu du mal à suivre les cours de littérature biblique en hébreu. » Quant aux cours d’anglais, ils se révèlent finalement décevants, tant le niveau est en dessous de celui d’Anna. « Je me suis énormément ennuyée en ce début d’année. »
Après quelques mois, Anna décide donc d’arrêter ses cours de langues. Nous sommes en février 2021 et l’étudiante s’interroge énormément sur son avenir. C’est alors qu’au détour d’une rencontre - salvatrice - avec un ami de son frère, Anna entend parler d’une école de radio, où l’on apprend notamment le métier d’animateur. Curieuse, elle se rend aux portes ouvertes de l’institution, guidée par son sens de l’improvisation « On m’a parlé de cette école de radio. Je savais qu’à la radio on passait de la musique et j’aimais beaucoup la musique, donc j’ai fait un lien très rapide dans ma tête et j’ai foncé sans me poser plus de questions. » Dans l’attente de la nouvelle année, Anna passe quelques mois à travailler dans un magasin de fruits et légumes et en octobre 2021, elle intègre Le Studio École de France. À l’école, elle se fait très vite remarquer grâce à sa voix qui passe très bien à l’antenne et c’est aujourd’hui la voie qu’elle a choisie de suivre. Si Anna s’est découverte une nouvelle passion, c’est toutefois avec quelques regrets qu’elle songe parfois aux arpents de neige du Canada et à cette rencontre “manquée” avec le pays à la feuille d’érable : « J’aurais vraiment adoré pouvoir aller au Canada. Mais à cause ou grâce à cette période covid, j’ai pû découvrir une passion et un autre métier auquel je n’aurais jamais pensé. Après, si demain on me propose un billet pour le Canada, j’y vais ! » Et ça ne serait pas la première fois qu’Anna décide d’improviser.
Antoine, 26 ans : En Australie pour mûrir un projet et toucher du bois
En bousculant ses plans, la crise du covid a permis à Anna de tomber un peu par hasard sur une vocation qu’elle n’avait auparavant pas envisagée. Mais pour beaucoup d’autres étudiants, le covid à laisser le temps à certaines idées d’infuser, quitte à remettre en question la vie qu’ils menaient et l’avenir qu’ils se réservaient.
C’est le cas d’Antoine, qui au début de la crise du covid était en année sabbatique en Australie entre sa 4e et 5e année d’études de communication. « Avant le covid j’en avais déjà un peu marre du métro, boulot, dodo parisien. L’année en Australie devait aussi servir à ça, à remettre mon avenir en question. Mais avec le covid qui est arrivé, j’ai pu confirmer une idée qui germait depuis un certain temps dans ma tête. » Antoine commence alors à tâter le rêve de faire de la menuiserie : « Je n’ai jamais été particulièrement bricoleur, mais j’ai toujours aimé travailler avec mes mains. »
Pas question cependant de ne pas terminer ses études de communication. Une fois rentré à Paris, il entame sa dernière année, mais très vite les cours en distanciel et les couvre-feux à répétition lui font regretter son départ d’Australie. Pour combler l’atmosphère pesante du covid, Antoine et ses amis s’arment d’outils et d’impatience, et s’attaquent au travail du bois. « On a commencé à fabriquer quelques meubles, une armoire, des tables et des chevets, pour s’occuper. Mais c’est là que l’idée de la menuiserie est devenue palpable, c’était concret et je me disais, “ça fait un an que t’y penses, et si tu sautais le pas maintenant et que tu en faisais enfin ton métier ?” »
Décidé, Antoine termine son diplôme de communication tout en recherchant un CAP spécialisé pour sa reconversion. Il passera quelques mois au chômage dans cet entre-deux et en septembre, débutera sa formation de menuisier en alternance. « Même si la com ce n’était pas pour moi sur le long terme, je ne regrette pas du tout mes études. La preuve, il y a aujourd’hui des boîtes de menuiserie qui sont super contentes de me prendre en contrat et de me former en me proposant de passer quelques heures par semaine à travailler sur leur communication. Ça me fait plaisir de me dire que ce n’était pas pour rien. »
Sans oublier que lors de ses stages en communication, Antoine a toujours eu du mal à trouver du sens dans son métier, un problème qu’il n’a plus aujourd’hui : « Faire de la communication pour une petite entreprise qui fabrique des belles choses m’intéresse plus qu’en faire pour de grosses multinationales comme j’ai pû le faire pendant mes stages. Et surtout, je vais aussi fabriquer de mes mains des objets chouettes et utiles qui feront plaisir aux clients comme une belle table par exemple. »
Alix, 25 ans : Donner de la voix à ses envies
Si Antoine a profité de la période covid pour s’élancer dans une carrière totalement différente, Alix, 25 ans, a pû grâce au Covid prendre conscience de son véritable rêve pas si éloigné de son parcours professionnel. « Je n’ai jamais trop su ce que je voulais faire de ma vie. Mais j’ai toujours été très attirée par la musique et le chant. » Après son bac, cette parisienne commence elle aussi des études de communication avec l’idée d’exercer dans l’événementiel musical pour les concerts et les festivals de musique. « Même si l’école était très tournée pub et pas trop événementiel, j’effectuais chacun de mes stages dans le monde de la musique. J’ai fait un stage au festival Solidays, un autre dans une salle de concert et un dernier dans mon ancienne école de musique, l’École ATLA. »
C’est d’ailleurs dans cette école qu’elle réalise qu’elle a envie de se professionnaliser plus rapidement et différemment. Elle interrompt donc ses études de communication en Master 1 pour entamer une formation professionnelle de management artistique et culturel, et, arrivée au bout de cette formation, l’ex-étudiante en communication se met en quête d’un travail. Pourtant, le Covid commence à geler les activités culturelles et le monde de la musique s’arrête sans un bruit. Alix arrive tout de même à décrocher un CDD de six mois à la Manufacture Chanson, un autre centre de formation musicale à Paris. « J’ai replongé, c’était un post en communication et j’aurais aimé faire autre chose. Je préférais la stabilité et la sécurité d’un CDD de six mois même si c’était en communication plutôt qu’une plongée dans l’inconnu. »
Pourtant, au bout de ces six mois, Alix change tout. « Pendant ce CDD, je réalise que passer des journées derrière un ordinateur et faire des posts facebook et instagram ce n’était pas ce que je voulais faire pour les cinquante prochaines années. Du coup, j’ai décidé de tout envoyer bouler et de faire ce que j’avais toujours voulu faire. Plutôt que de manager des musiciens ou faire leurs com, c’est moi qui allait être la musicienne. J’allais chanter. »
Comme pour beaucoup d’autres, le covid a permis à bon nombre d’étudiants de prendre le temps de se recentrer sur soi, de s’écouter et de prendre conscience de ses véritables envies. « Avec le covid j’ai eu le temps de réfléchir et de me poser les bonnes questions. J’ai réalisé que du jour au lendemain, tout pouvait basculer donc il fallait vraiment faire ce que je voulais. J’ai eu un moment de stress en me disant que quand je serai adulte j’aurai des regrets sur ma jeunesse. On a toujours envie à notre âge de tout faire vite mais on est encore jeune. J’étais dans l’état d’esprit de foncer pour trouver un appart, un bon job et tout le reste mais imaginez si je m’étais retrouvé à 50 ans à regretter de n’avoir jamais été musicienne ! »
En septembre 2021, Alix se lance dans sa nouvelle activité et s’accorde quelques mois à s’enregister, accompagnée de son clavier et de son micro. Et en mai 2022, elle est même retournée à l’ALTA, mais cette fois-ci en tant que musicienne. « Je ne sais pas de quoi sera fait demain mais je ne vais pas avoir de regrets et ça c’est le plus important. »
Article édité par Manuel Avenel, photo Thomas Decamps pour WTTJ
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