« J’écris avec mes yeux » Aidan Matear, 25 ans, écrivain malgré son handicap
25 janv. 2021
6min
Journalist & documentary filmmaker
Ceux qui vivent de leur « plume » dépendent davantage que d’autres des écrans et de la technologie. Ils se nourrissent de contenus en ligne, consignent leurs idées sur une ou plusieurs applis dédiées, échangent avec leurs “rédac chefs” par e-mail ou via d’autres outils de messagerie et déposent tout sur Google Drive.
Aidan Matear habite à Manchester. Il est rédacteur indépendant et, pour lui, ce rapport étroit avec les écrans revêt une autre dimension. Il souffre d’une paralysie cérébrale qui l’empêche de bouger et s’exprimer comme il le veut. Il communique à l’aide d’un appareil à commande oculaire. Son handicap ne l’a certainement pas privé de son rêve : écrire de la science-fiction et porter son message au travers de conférences (ou “motivational speaker”, en bon français). Il raconte ici comment la technologie oculaire lui permet d’atteindre ses ambitions professionnelles à la force des yeux.
Ne pas renoncer
Je m’appelle Aidan Matear, j’ai 25 ans et j’habite chez mes parents à Bolton, dans la grande banlieue de Manchester. Je suis écrivain de science-fiction, blogueur et motivational speaker. Ma vie professionnelle ressemble à celle des autres gens de plume, à ceci près que j’écris avec mes yeux.
Au moment de ma naissance, j’ai manqué d’oxygène, ce qui a affecté mon cerveau. Comme je suis en fauteuil roulant, les gens pensent souvent que seules mes jambes me font défaut. En réalité, je n’ai presque aucune capacité motrice. Je peux parler très lentement, mais je souffre de dysarthrie - j’articule de moins en moins bien et je deviens difficile à comprendre, parce que les muscles sollicités par la parole ne sont, chez moi, pas très endurants. Pour communiquer et travailler, je me sers donc d’une technologie à commande oculaire.
Quand j’écris, je joue sur un terrain praticable. Que je ne puisse pas marcher n’a plus aucune importance.
L’idée de devenir écrivain s’est invitée en moi au fil du temps. J’ai toujours adoré les livres, ceux qu’on me lisait quand j’étais petit puis ceux que j’ai dévorés moi-même dès que j’ai pu. Avec mon handicap, je ne pouvais pas sortir, jouer dehors avec les copains où m’inscrire au foot. J’ai dû trouver des activités à ma portée. Les livres ont toujours été présents dans ma vie. Et puis, de lecteur je suis passé à auteur. Quand j’écris, je joue sur un terrain praticable. Que je ne puisse pas marcher n’a plus aucune importance. Quand j’écris, je suis moi.
Écrire avant tout
L’appareil dont je me sers n’a pas toujours existé. Avant, je tapais mes textes à l’aide de mon pouce sur un iPad mini. C’était long et laborieux, mon poignet et mon doigt n’étaient pas du tout dans le bon angle. La fatigue était un vrai point bloquant : il me fallait plus d’une heure pour écrire un petit paragraphe et ça, c’est quand j’étais inspiré.
En 2016, j’ai reçu ma première station de communication à commande oculaire Tobii, reliée à mon ordinateur. Elle réagit aux mouvements de mes yeux, ça remplace une souris. Grâce à cet appareil, j’ai pu me mettre à l’écriture pour de bon, et surtout travailler à fond pendant mon master de création littéraire. Il faut respecter le calibrage, notamment la distance entre les yeux et l’écran, au millimètre près. C’était parfois un peu compliqué de tout paramétrer pour que tout fonctionne bien.
C’est un hybride entre un ordinateur, une tablette et un appareil de communication
À l’heure actuelle, j’utilise le terminal de communication I-Series chez Tobii Dynavox. Je suis bluffé ! Le paramétrage est simple comme bonjour, l’outil est rapide et réactif. Ça fonctionne même au soleil. C’est un hybride entre un ordinateur, une tablette et un appareil de communication. Je peux écrire, envoyer des e-mails, recevoir des appels, aller sur les réseaux sociaux et passer de l’un à l’autre, tout ça avec mes yeux.
M’approprier ce métier
Cette technologie a drastiquement changé mon quotidien professionnel. Ma production écrite n’a jamais été aussi importante. Je peux me consacrer davantage à l’écriture sans me fatiguer. Je peux répondre à des demandes, poser des questions, intervenir sur mes textes, intégrer les corrections voulues. J’ai toujours aimé ce que je faisais, mais là c’est encore mieux.
Ma journée commence généralement par un petit tour sur ma boîte mail et sur mon planning. Selon les échéances qui m’attendent, je vois ce que je dois passer en priorité. La plupart de mes missions sont bénévoles parce que j’ai besoin de me composer un vrai portfolio. Tous les rédacteurs passent par là. Et puis, ma paralysie cérébrale m’impose des rendez-vous médicaux réguliers, je dois adapter mon emploi du temps en conséquence.
Et je me dis parfois que c’est même un atout : ça me laisse le temps de réfléchir à ce que je veux écrire. Souvent, je peaufine mon texte en même temps que je le rédige.
J’ai le sentiment que oui, je suis un rédacteur comme la plupart des autres : je communique principalement par écran interposé. Mais je sais que certains types de projets, comme la rédaction scénaristique, sont moins accessibles pour moi. Et puis, participer à des réunions physiques m’est quasiment impossible, pandémie ou pas. Ma dysarthrie est un vrai obstacle pour les conversations en face à face. Mais à l’écrit, tout roule.
Certes, écrire avec ses yeux prend considérablement plus de temps que taper sur un clavier, mais je suis plutôt très rapide dans ma catégorie. L’écriture prédictive m’est aussi très utile, je gagne du temps quand le système me fait des propositions basées sur mes habitudes. J’ai une très bonne vue, ça me permet d’aller vite quand je dois valider un mot ou un autre. Mais surtout, dans « écrire avec les yeux », il y a « écrire », et c’est tout ce qui compte pour moi, même si c’est un processus plus long. Et je me dis parfois que c’est même un atout : ça me laisse le temps de réfléchir à ce que je veux écrire. Souvent, je peaufine mon texte en même temps que je le rédige.
Un travail qui a du sens
On ne manque jamais de citer les personnes handicapées pour leur courage, le modèle qu’elles représentent. Et ça me va tout à fait. Mais la peur et la mauvaise humeur font aussi partie de notre quotidien.
J’ai lancé mon blog juste après la fac, en 2018, pour partager mes écrits, mes poèmes et mes courtes œuvres de fiction. Aujourd’hui, je veux m’en servir davantage pour échanger des idées et des récits autour du handicap. On ne manque jamais de citer les personnes handicapées pour leur courage, le modèle qu’elles représentent. Et ça me va tout à fait. Mais la peur et la mauvaise humeur font aussi partie de notre quotidien. Et finalement, on trouve peu de contenus vraiment pertinents qui nous soient destinés. Avec mon blog, j’espère apporter ma pierre à l’édifice et aider d’autres personnes.
Si je peux mettre ma plume et mon expérience intime du handicap au service ne serait-ce que d’une seule autre personne, j’aurais accompli ma mission.
Je venais de me lancer dans les conférences dites « inspirantes » quand la pandémie a frappé. Je suis intervenu dans quelques universités et d’autres établissements, mais depuis mars c’est devenu impossible. J’ai quelques dates de prévues au printemps et je prévois d’utiliser le générateur de parole sur mon Tobii Dynavox pour le faire en distanciel. Ce sera la première fois, avant je lançais ma présentation depuis mon ordinateur et j’utilisais l’appli Proloquo4text sur mon iPad. Là ça devrait être nettement mieux, l’appareil rassemble toutes ces fonctionnalités et je peux le piloter avec mes yeux.
Je suis habité par l’envie de faire un peu plus de place aux personnes handicapées. Une vraie place. Nous sommes comme tout le monde : nous aussi voulons avoir la meilleure vie possible. Si je peux mettre ma plume et mon expérience intime du handicap au service ne serait-ce que d’une seule autre personne, j’aurais accompli ma mission.
Mon travail, c’est ma vie. En un an, Pencil Tip Publishing, une maison d’édition canadienne qui porte des projets singuliers et soutient de nombreuses causes, a fait la critique de plusieurs de mes livres de science-fiction. Je le vis comme une vraie reconnaissance de mon travail. Je me considère comme très chanceux de pouvoir faire ce qui me plaît le plus au monde. Bien sûr, j’ai dû suivre un principe de réalité pour mon orientation professionnelle : je souffre d’un handicap lourd, il fallait bien que j’en tienne compte… Mais je fais exactement le métier que je voulais.
Je suis surtout très content d’avoir reçu mon nouvel appareil à temps, juste avant le confinement. Ça aurait très certainement été dur, toutes ces semaines sans ce précieux soutien, matériel, certes, mais cela va bien au-delà pour quelqu’un comme moi. Mon appareil à commande oculaire m’a aussi permis de m’occuper, de ne pas devenir dingue et de sortir, virtuellement en tout cas, des quatre murs de mon salon.
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Photo d’illustration by WTTJ, traduit de l’anglais par Sophie Lecoq
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