« Surprise : mon job alimentaire est devenu mon vrai métier ! »

24 nov. 2021

9min

« Surprise : mon job alimentaire est devenu mon vrai métier ! »
auteur.e
Elise Assibat

Journaliste - Welcome to the Jungle

Dans un monde où les études ne sont plus seulement monnaies courantes mais jugées indissociables de la sphère professionnelle, il n’est pas anodin d’y renoncer au profit du petit boulot d’à côté. Mais que se passe-t-il quand cette décision prise sous la contrainte ou l’ambition, pendant ou après le cursus de vie universitaire, se révèle être le début d’une vocation insoupçonnée ? Pierre, Victoire, Simon et Vincent ont eu cette chance et nous racontent la prise de conscience qui a changé leur vie. Rencontre.

Simon, 23 ans, du droit à l’associatif

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Simon a 23 ans, et depuis trois ans, il est recruteur de donateurs pour des ONG et des associations. « Autrement dit, j’aborde des passants dans la rue pour leur proposer de soutenir des projets cool. » C’est son premier vrai boulot et pourtant pas grand-chose ne l’y prédestinait. Une fois le bac en poche, le jeune homme s’inscrit hâtivement en fac de droit, rêve de devenir avocat ou juriste, s’accroche les deux premières années mais perd petit à petit le fil à mesure que son besoin d’indépendance grandit. Des envies de voiture, de sorties, de voyages et de boîtes de nuit commencent à le démanger et l’immobilité des études l’ennui. Alors il gagne, tant bien que mal, un peu d’argent de poche grâce à des petits boulots… jusqu’à ce qu’une rencontre faite par hasard à Paris le branche sur ce qui deviendra son travail actuel.

Il se lance pour un coup d’essai et se décide à rester quand il voit sa première fiche de paie, et ce malgré l’incompatibilité entre les horaires de boulot et la charge de travail de ses études. S’offre alors à lui le choix entre être étudiant ou continuer à travailler, dehors au contact de la vie, pour une cause qui lui paraît juste, avec un salaire à la fin du mois. Après réflexion, Simon choisit de rester là où il se sent le plus libre. Ses parents, loin d’être emballés, sont un peu effrayés à l’idée que leur fils se retrouve si vite dans le monde du travail sans l’armure des longues études. Mais quand ils voient Simon aussi à l’aise dans son nouveau boulot qu’un poisson dans l’eau, les planètes s’alignent. Et pour cause, Simon a un sourire jusqu’aux oreilles, une tchatche à n’en plus finir et le goût de la rencontre avec autrui.

Rapidement, il monte en grade, gagne en responsabilité et son ego est flatté en plus de voir sa fiche de paie gonfler. Raison de plus pour rester. Évidemment cela n’a plus grand-chose à voir avec ces journées où il avait l’habitude de plancher sur des grands sujets de société, assis dans des amphis. D’ailleurs cette stimulation intellectuelle lui manque souvent et il essaye tant bien que mal de trouver encore le temps pour lire et réfléchir. « N’empêche, je me dis aujourd’hui que j’ai la chance d’évoluer dans un milieu où mes atouts intrinsèques non seulement sont valorisés mais en plus me permettent de partir en vacances sur des coups de tête et d’accompagner ma pizza d’un côte-rôtie en toute sérénité. » Quand on l’interroge sur la fatigue que son quotidien peut générer, il admet que son activité demande une bonne maîtrise des nerfs et que tout le monde ne pourrait pas s’y plier. Mais s’il a son lot d’aigris dans la journée, il tombe aussi sur des gens simples, amusants, généreux qui valent la peine de réellement prendre le temps de s’arrêter. « C’est pour eux qu’on est dans la rue et ce sont eux qui rendent ce boulot formidable. Tous les jours j’entends des récits de vie très différents suivant les âges, et les vécus. » Et pour Simon, une seule de ces rencontres suffit à effacer une grande partie des émotions négatives susceptibles d’être ressenties dans la journée.

Vincent, 29 ans, de l’enseignement au golf

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Vincent a 29 ans et vit à Strasbourg. Après de longues études d’Histoire-Géographie jusqu’au grade de master et l’ambition de rejoindre l’univers du professorat, il est aujourd’hui responsable commercial dans un golf. Une transition à des années lumières de l’enseignement mais qui pourtant est apparue en 2017, pile au bon moment. À cette époque, Vincent se pose de nombreuses questions quant à sa vocation, et déjà l’Éducation nationale lui semble être une machine à broyer dans laquelle il appréhende mettre les pieds. Il connaît les difficultés et a beau aimer s’imaginer enseigner aux plus jeunes, il prend son temps une fois le master en poche pour réfléchir avant de se présenter au concours d’entrée. Un an de pause après, la désillusion est toujours bien amorcée lorsqu’il passe l’écrit en candidat libre et l’obtient. Il ne manque plus que l’oral et sa carrière est lancée.

« Au même moment, je cherche un petit boulot alimentaire pour économiser en attendant de voir mon projet se concrétiser sans grande conviction. » Il répond à une annonce et se retrouve embauché dans un golf pour y faire du secrétariat pendant quatre mois. D’ailleurs Vincent est un grand fan de sport alors pourquoi pas faire un peu de paperasse là-bas. À l’entretien, il prévient d’ores et déjà son employeur de la nécessité de s’absenter pour présenter ses oraux au cours de son CDD et c’est ainsi qu’il rejoint l’accueil du golf dans la foulée pour y faire ses débuts. Mais les semaines passent, Vincent s’y plaît et pour la première fois de sa vie se sent à sa place. Il sait dorénavant qu’une carrière dans l’enseignement ne pourra jamais lui offrir l’épanouissement qu’il ressent durant cet été. Il ne s’absente même pas pour son oral car il nourrit rapidement l’envie de rester là où il est. « D’autant plus que j’y retrouve des éléments qui de base m’attiraient dans l’enseignement, avec notamment la place du relationnel qui occupe 300% de mon temps. »

Si ses parents ne comprennent pas tout de suite sa décision et trouvent dommage que Vincent n’aille pas au bout du concours, il suffit de quelques mois pour constater qu’en effet Vincent a bel et bien trouvé son métier. Il y découvre le monde du travail, la réalité du quotidien dans une entreprise et la valeur de l’argent. Car son profil a beau présenter de nombreuses qualités d’expression et de rédaction, ses longues années d’études universitaires font qu’il n’a jamais touché au milieu professionnel avant ça. Il ressent comme un besoin de prouver sa légitimité, pour lui et pour les autres, et redouble d’énergie pour y arriver. « J’ai plus appris en trois mois qu’en 5 ans d’études ! » Et en effet Vincent apprend vite, délaisse l’accueil pour se pencher sur la gestion logistique de la boîte et gagne en responsabilité à vitesse grand V. Ses quatre mois de CDD prennent fin en septembre 2017 et en octobre, son premier CDI est signé. Il aime la confiance qu’il a gagnée au fil de son apprentissage et le luxe de rentrer chez lui après une journée de travail pour faire ce qu’il lui plaît sans aucune copie à corriger. Aujourd’hui, l’offre commerciale est son domaine principal, et il se sent surtout privilégié d’appartenir à une génération en mouvement, loin du schéma figé de ses parents. Même si pour l’instant il ne ressent pas la moindre envie de s’en aller.

Pierre, 33 ans, du droit à la restauration

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Pierre a 33 ans et vit à Paris en tant que directeur opérationnel d’un groupe de restauration depuis 2016, même si cela fait en réalité 17 ans qu’il évolue dans le milieu de la restauration. « D’abord en tant que serveur en extra pour financer ses vacances », mais avant cela, c’est vers le droit qu’il se dirige après son bac. Tout en continuant son petit boulot de toujours, il enchaîne les examens et les services pendant un temps mais une fois sa licence en poche, il renonce à la théorie juridique. Les matières le stimulent intellectuellement mais les cours l’assomment profondément et il s’envole vers le Canada pour tenter un autre master. Là-bas, il se spécialise en gestion des entreprises et marketing et nourrit des rêves d’aventures.

Lorsqu’il revient en France deux ans plus tard, il reprend contact avec les restos pour lesquels il travaillait et reprend du service midi et soir dans différents quartiers. Un moyen facile et relativement souple pour se faire un peu de sous, en attendant de trouver de quoi l’occuper « pour de vrai ». Mais les services sont de plus en plus nombreux et il y découvre un autre rythme de vie la nuit, se plaît dans le dynamisme de sa nouvelle routine. « Je travaille alors pour plusieurs restaurants, enchaîne les services d’une rive à l’autre et arpente Paris à longueur de journée. » L’époque est à l’âge d’or de la restauration et Pierre rencontre de nombreux gérants passionnés, formés bien loin des écoles que l’on connaît aujourd’hui. Leur vie lui paraît excitante et lui donne matière à rêver. Mais il se rend aussi rapidement compte des phobies administratives qui règnent dans certains des lieux qu’il fréquente. Il propose alors de conseiller ses patrons grâce à ses études Outre-Atlantique et les aide à ordonner leurs entreprises au cœur du réacteur entre deux services.

Pendant son temps libre, il passe des entretiens en costume-cravate dans des cabinets de conseils tous plus sérieux les uns que les autres mais rien ne vaut la liberté qu’offre la restauration à ses yeux. Au bout de quelques mois, il renonce à trouver un autre secteur que celui qu’il connaît par cœur, se spécialise dans la restructuration et dans l’aide au développement et au lancement. Désormais, sa vie se divise à plein temps entre le conseil et les services qu’il continue de pratiquer à droite à gauche. Jusqu’au jour où l’un des restaurants pour qui il travaille lui propose le poste de direction d’un établissement qui s’apprête à ouvrir à Londres. Pierre n’avait pas encore totalement mis de mot sur son travail dont les frontières flottaient encore, mais il sent que le moment est venu d’en faire son métier pour de bon. « J’accepte et intègre officiellement l’univers de la restauration. »

Aujourd’hui, Pierre est à la tête de plusieurs restos à Paris, continue de temps en temps d’assurer des services quand il y a besoin et porte des jeans et des baskets chaque jour de la semaine et pas seulement le vendredi. Mais surtout il aime toujours autant le flot d’énergie qui se dégage de son monde et le rythme qui l’accompagne au quotidien. Sans jamais regretter la manière dont la vie l’a si naturellement mené jusqu’ici.

Victoire, 32 ans, du commerce à la mixologie

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Victoire a 32 ans mais seulement 18 lorsqu’elle se détourne de la voie qu’elle s’était choisie une fois le lycée fini. Bonne élève, elle s’était assez logiquement orientée vers une prépa commerce mais décide de ne pas aller au bout de son cursus dès la fin de la première année. Elle n’y est pas heureuse et préfère se réorienter vers des études plus artistiques. Avant de mettre un nom sur la vocation qui deviendra la sienne, elle décide un peu par hasard d’être serveuse pour la première fois de sa vie. À défaut de continuer ses études, elle a besoin d’un petit boulot pour se faire des sous et ce bar à cocktails dans le vieux quartier de Lille lui inspire confiance, l’équipe qui y travaille jour et nuit aussi.

C’est ainsi qu’elle découvre sa passion pour l’univers de la restauration et plus précisément pour tout ce qui se passe derrière le zinc. Car chez Victoire, c’est la mixologie qui l’emporte et l’anime d’entrée de jeu. Elle débute alors en tant que serveuse puis se forme rapidement au bar avant de devenir chef de partie puis responsable de salle. La créativité de cet univers doublé de l’investissement des gens qui l’habitent la saisit. Elle se forme donc pendant ces quelques années, apprend toutes les bases dont elle a besoin jusqu’à ses 23 ans, où elle décide de quitter Lille pour Paris afin d’y suivre des cours de théâtre au Conservatoire. Dans son cercle d’amis, elle est entourée d’étudiants adeptes des grandes écoles et reprendre des études lui semble être la suite logique de ses péripéties malgré les bons moments qu’elle y passe. Mais il en faut plus que les Cours Florent pour l’empêcher de continuer à exercer à côté dans des bars à cocktails parisiens. Son compte en banque l’y oblige évidemment mais cela l’arrange aussi secrètement. À la fin de ses études parisiennes, elle se lance dans quelques projets cinématographiques avant de revenir à ce qui la fait vibrer pour de vrai.

« Je n’ai jamais été aussi heureuse que lorsque j’apprenais à réaliser des cocktails alors pourquoi s’évertuer à chercher ailleurs ? » Aujourd’hui Victoire est une barmaid spécialisée dans la création de recette de cocktails et les opportunités ne cessent de se succéder. D’ailleurs, elle accepte peu de temps après son diplôme un poste de manager dans un établissement à Paris et c’est ainsi qu’elle recommence naturellement à exercer sa passion à plein temps. Victoire y reste quatre ans, décide par la suite de devenir indépendante et développe des missions de consulting qu’elle propose à divers établissements. Elle continue de perfectionner sa formation aux côtés des mixologues qu’elle rencontre et va jusqu’à séjourner en Irlande pour en apprendre toujours plus. Désormais, elle imagine les cartes de cocktails, crée des recettes ou forme du personnel selon les demandes et rêve du jour où elle pourra être à la tête de son propre établissement. En attendant, elle se sent libre d’aller là où la curiosité la mène, de s’inspirer comme elle le souhaite en fonction des saisons, des lieux, de la cuisine qui l’accompagne et des chefs qui la touchent. Début octobre, elle a participé à un concours international de mixologie où elle est arrivée troisième. De quoi continuer à lui donner des ailes pour l’après.

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Photo par Welcome to the Jungle
Édité par Manuel Avenel

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