Directeur du Développement Durable, à l'initiative des projets verts
11 janv. 2019
8min
Sur les toits parisiens, juste au-dessus de nos têtes, des fraises, des framboises et 150 autres variétés de plantes comestibles prennent le soleil. Après la récolte, elles seront vendues à des restaurants du voisinage ou transformées en produits d’épicerie. Ces toits, ce sont ceux des Galeries Lafayette pour qui Damien Pellé travaille en tant que Directeur du Développement durable. Et ce type d’initiative, c’est son quotidien.
Damien, comment en es-tu arrivé à travailler dans le développement durable ?
J’ai toujours travaillé dans le monde du développement durable même si je n’étais pas un fanatique de l’écologie au départ. J’étais juste concerné, comme de plus en plus de citoyens. J’ai fait mes études dans un domaine assez éloigné des problématiques de développement durable, l’histoire et les sciences politiques. Je souhaitais faire mon premier stage dans un ministère et ai obtenu deux réponses positives : une du Ministère des Sports et une du Ministère de l’Écologie. À l’époque ce n’était pas un sujet majeur, d’ailleurs le Ministère était tout petit ! Mais je me suis dit pourquoi pas. J’ai vite accroché et je me suis lancé dans la voie du développement durable.
Pourquoi avoir choisi de continuer cette aventure dans le privé et non pas dans le public ?
Je suis quelqu’un qui a besoin de pragmatisme et de concret, c’est pourquoi je me suis rendu compte très vite qu’œuvrer sur des problématiques écologiques restreintes au domaine politique ne me suffisait pas. Je me rendais bien compte que les leviers étaient de plus en plus entre les mains des entreprises. J’ai donc poursuivi avec un deuxième stage, toujours dans le développement durable, mais chez Orange cette fois. Et à la fin de mes études, j’ai été embauché dans un cabinet de conseil et d’audit. Pendant neuf ans, j’ai accompagné des entreprises, petites ou grandes, dans l’intégration du développement durable à leur stratégie.
Je suis quelqu’un qui a besoin de pragmatisme et de concret, c’est pourquoi je me suis rendu compte très vite qu’œuvrer sur des problématiques écologiques restreintes au domaine politique ne me suffisait pas.
Aujourd’hui cela fait un peu plus de trois ans que je travaille aux Galeries Lafayette. À mon arrivée, je travaillais sur des sujets assez spécifiques liés aux domaines des achats, avec pour objectif principal de les rendre plus responsables. J’étais notamment en charge d’assurer la conformité sociale et environnementale de nos fournisseurs. Par exemple, je me suis largement renseigné sur la chaîne de production de nos fournisseurs, j’ai vérifié qu’il n’y avait pas de zone d’ombre, comme le recours au travail des enfants.
Au bout de deux ans, j’ai été nommé Directeur du Développement durable. Il s’agissait d’une création de poste.
Damien Pellé - Galeries Lafayette, Paris.
Quels étaient les enjeux de cette création de poste ?
Le développement durable était devenu un sujet important aux yeux de nos collaborateurs et de nos clients. Les Galeries Lafayette ont rapidement compris que ce sujet allait devenir un puissant facteur d’adhésion et de fierté d’appartenance à l’entreprise. Ce n’est pas pour rien que je suis rattaché à Frédérique Chemaly, Directrice des Ressources humaines.
Les Galeries Lafayette ont rapidement compris que le sujet du développement durable allait devenir un puissant facteur d’adhésion et de fierté d’appartenance à l’entreprise.
Concrètement, quel est ton travail ?
Tout le savoir-faire de mon métier c’est d’arriver à embarquer et fédérer les collaborateurs autour des enjeux de ma direction. Il est donc nécessaire d’adapter mon discours et de savoir amener les bons arguments. Certains collaborateurs sont sensibles au fait de donner un sens supplémentaire à leur mission, alors que d’autres sont plus réceptifs à des raisonnements économiques ou stratégiques. Je suis convaincu que les initiatives responsables doivent être intimement liées au core-business, c’est le seul moyen d’être sincère dans sa démarche et de la mener à bout. Par exemple, si l’on applique cela à la logistique, expliquer qu’optimiser le chargement des camions permet de réduire le nombre de trajets - et donc les coûts - est un raisonnement purement économique. Et pourtant il prend également en compte les enjeux de développement durable, et en cela il va dans le bon sens. Dans le cas des Galeries Lafayette il est également très important d’intégrer des critères de développement durable dans la sélection des produits que nous proposons à nos clients.
Je suis convaincu que les initiatives responsables doivent être intimement liées au core-business, c’est le seul moyen d’être sincère dans sa démarche et de la mener à bout.
D’autres Directeurs du Développement durable travaillent essentiellement sur des sujets plus périphériques de l’activité économique de leur entreprise, comme les économies d’énergie ou le tri des déchets. Ce ne sont pas des sujets que je minimise car ils sont incontournables mais il peut être frustrant de ne pas s’occuper aussi de sujets directement liés au business. Ainsi on peut participer à changer une entreprise en profondeur.
Damien Pellé - Galeries Lafayette, Paris.
Damien Pellé - Galeries Lafayette, Paris.
Comment procèdes-tu pour fédérer des gens à tes projets ?
Nous avons de la chance car en général, quand des collaborateurs décident de nous aider dans notre mission, ce n’est pas parce que leur manager leur a demandé, c’est parce qu’ils ont envie de prêter main forte. Ensuite, notre rôle, c’est de structurer les initiatives et les actions. Finalement, j’ai un rôle d’ambassadeur et je passe beaucoup de temps à échanger avec les collaborateurs pour les fédérer autour des sujets de développement durable.
Comment devient-on Directeur du Développement Durable ?
Il y a vingt ans, seules les grandes entreprises de la chimie, du pétrole et de l’énergie ont commencé à créer ce type de poste. Les autres secteurs, comme la mode ou le textile, n’étaient pas encore concernés. Donc pour être Directeur du Développement durable, il faut avant toute chose trouver une entreprise qui s’intéresse à ces sujets et qui a la taille suffisante pour créer ce type de poste. Les nouvelles obligations réglementaires (reporting RSE, devoir de vigilance, audits énergétiques, etc.) ont aussi grandement favorisé l’émergence de ces nouvelles fonctions dans les entreprises.
Ensuite, il faut réussir à fédérer les différents acteurs en interne pour prouver l’intérêt et la légitimité d’un tel poste. La légitimité c’est toujours le principal débat quand tu es Directeur du Développement durable. Il faut démontrer tous les jours l’intérêt des actions que tu mets en place. C’est le seul moyen pour que le développement durable ne devienne un sujet de seconde zone.
La légitimité c’est toujours le principal débat quand tu es Directeur du Développement durable. Il faut démontrer tous les jours l’intérêt des actions que tu mets en place.
Damien Pellé - Galeries Lafayette, Paris.
Peux-tu nous parler d’un projet que tu as réussi dans le cadre de tes fonctions ?
Nous venons juste de mener à terme le projet Go for Good, un mouvement sur lequel nous avons travaillé pendant un an. Nous sommes partis de constats simples : l’industrie de la mode est l’un des secteurs les plus polluants au monde et en parallèle les consommateurs sont de plus en plus portés par des critères éthiques ou environnementaux dans leurs achats.
Or dans le secteur de la mode, les initiatives responsables sont rares et peu visibles. Alors nous avons lancé cette opération en embarquant le plus de marques possibles (issues des univers de la mode, de l’accessoire, de la beauté, de la maison, de la bijouterie ou encore de la gastronomie) pour mettre en lumière les initiatives les plus vertueuses et accélérer le mouvement pour plus de développement durable dans la mode.
Notre objectif était de développer une offre de produits et de marques désirables et responsables pour proposer à nos clients des choix de mode meilleurs. Il existe de grandes marques qui se sont lancées sur ce créneau sans que cela soit connu du grand public. Je suis aujourd’hui très fier des résultats de Go for Good : plus de 500 marques nous ont suivis, le mouvement a suscité un très bel engouement en interne et beaucoup de retombées positives, notamment dans la presse et auprès de nos clients.
Notre objectif était de développer une offre de produits et de marques désirables et responsables pour proposer à nos clients des choix de mode meilleurs.
Et un projet “raté” ?
J’aurais bien aimé qu’on installe des panneaux photovoltaïques sur le toit de nos magasins. Malheureusement, après une étude poussée, ce projet n’a pas abouti pour des raisons techniques. Les toits sont trop vieux pour accueillir des équipements aussi lourds et a priori ce ne serait pas suffisant pour alimenter l’ensemble de nos magasins en électricité… Mais je n’ai pas dit mon dernier mot !
Quels sont les principaux freins que tu peux rencontrer dans ton métier ?
De manière générale, le développement durable demande de se projeter à cinq ou dix ans, ce qui n’est pas tout à fait la philosophie de la plupart des entreprises qui se projettent plutôt au trimestre suivant ! Les collaborateurs qui raisonnent à court terme pourraient se sentir inquiétés par ma fonction. Mais cela ne s’est jamais produit aux Galeries Lafayette car l’ensemble des directions soutient toujours avec bienveillance nos initiatives. Je peux néanmoins imaginer que dans certaines entreprises, certains projets écologiques ne voient jamais le jour à cause de tensions internes.
Mon équipe et moi nous retrouvons parfois face à des personnes réticentes au changement car nous challengeons leurs habitudes et les amenons à repenser la manière dont ils travaillent. Cependant il est primordial de ne jamais aller à la confrontation avec nos interlocuteurs, ce serait vraiment contre-productif.
Le développement durable demande de se projeter à cinq ou dix ans, ce qui n’est pas tout à fait la philosophie de la plupart des entreprises qui se projettent plutôt au trimestre suivant !
Damien Pellé - Galeries Lafayette, Paris.
Quel est l’ingrédient secret pour faire en sorte que l’opinion publique et que les médias ne qualifient pas vos initiatives de “greenwashing” ?
Il suffit de dire la vérité. C’est ce que nous avons fait pour l’opération Go for Good : nous avons nous-mêmes écrit les limites de l’initiative. Nous voulions communiquer en totale transparence. Nous étions conscients, dès le départ, que nous ne pouvions pas prôner le fait qu’un produit Go for Good serait 100% responsable. C’est ce qui a fondamentalement désarçonné les détracteurs et a coupé court à toute critique. Moralité : il faut se lancer, sans avoir peur de ne pas atteindre la perfection sur tous les sujets.
Il faut se lancer, sans avoir peur de ne pas atteindre la perfection sur tous les sujets.
Quels conseils donnerais-tu aux gens qui souhaiteraient se reconvertir dans des métiers du développement durable ?
Il est vrai que je rencontre beaucoup de personnes qui me disent qu’elles sont en quête de sens et que leur job ne leur permet pas de se saisir des “vrais sujets”. Il est certain que mon métier fait fantasmer mais dans la réalité, soyons honnête, certaines de mes missions restent très opérationnelles. Comme tout le monde, je passe beaucoup de temps en réunion ou face à un tableau Excel !
Alors, à ces personnes-là, je dirais que les départements du développement durable n’ont probablement pas vocation à s’étendre à l’infini. Selon moi, les Directions du Développement durable continueront à fonctionner en petites cellules agiles au sein des entreprises. Mais il ne faut pas se décourager, les opportunités sont nombreuses. C’est dans les métiers qui sont déjà au cœur du business – comme les achats, le marketing ou la communication – que les gens doivent s’emparer de cette ambition et évoluer vers plus de responsabilités !
Finalement, si tous les services d’une entreprise étaient d’ores et déjà investis dans une démarche écologique, le département du développement durable n’aurait plus vocation à exister. Si ce n’est pour faire de la prospective. C’est pourquoi, à mon sens, il ne faut jamais juger l’engagement d’une entreprise à la taille de son département du développement durable.
Si tous les services d’une entreprise étaient d’ores et déjà investis dans une démarche écologique, le département du développement durable n’aurait plus vocation à exister.
Damien Pellé - Galeries Lafayette, Paris.
Quelles sont les alternatives possibles ?
Même s’il y a de plus en plus d’offres dans les directions du développement durable dans les entreprises, il y a d’autres vraies alternatives, comme par exemple rejoindre une des nombreuses nouvelles entreprises qui répondent directement à ces problématiques par leur offre de services ou produits - le gaspillage alimentaire comme l’application Too Good To Go, l’économie circulaire, l’énergie renouvelable etc. Ce sont ces pure players qui ont fait du développement durable leur raison d’être et où l’on verra se développer le plus d’emplois au cours des prochaines années.
Es-tu optimiste quant à la capacité des entreprises à devenir plus responsables ?
J’essaie de rester optimiste bien sûr, c’est indispensable. C’est encourageant de constater que, grâce aux actions menées ces dix dernières années, les thématiques liées au développement durable sont devenues beaucoup plus faciles à défendre dans les entreprises et que la France est un des pays les plus avancés dans le domaine. Mais je me pose toujours cette question : “Allons-nous assez vite ?” Et je n’ai pas la réponse.
Aurais-tu des ouvrages à nous conseiller ?
- Effondrement, Jared Diamond
- Sapiens, Yuval Noah Harari
Je me pose toujours cette question : “Allons-nous assez vite ?”
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Photo by WTTJ @ Galeries Lafayette
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