Sortie d'études : « Je me suis précipité dans le premier job, c’est grave ? »
20 oct. 2022
7min
SP
Journaliste chez Welcome to the Jungle
Que ces années d’études sont longues et intenses ! Et quand on voit le bout du tunnel, on a qu’une envie : se jeter dans le grand bain du monde du travail. Mais cette période entre la remise de diplôme et le fameux premier job peut aussi s’accompagner d’une angoisse : celle de ne pas trouver immédiatement chaussure à son pied. Alors forcément, par peur, on peut se laisser tenter par le premier job qui nous tombe dessus… Quitte à ce que celui-ci nous déplaise… voire nous enferme dans une voie dans laquelle on ne souhaiterait pas poursuivre ?
« Par peur de me retrouver sur le carreau, j’ai accepté le premier emploi qui m’a été proposé à la sortie de mes études. Au bout de quelques mois, c’était la panique, je ne m’y plaisais pas du tout et j’angoissais d’avoir pris une décision qui fausserait complètement mes envies de carrière », raconte Aurélia, passée par des études de mode. Si se précipiter vers le premier employeur qui veut bien de nous est monnaie courante à la sortie des études, ce choix hâtif pourrait vous amener vers une voie semée d’embûches. « Heures supp’, photocopies, une supérieure toxique, travail le week-end… J’aurais dû m’informer davantage avant d’accepter n’importe quoi au premier entretien ! » Comme Aurélia, beaucoup de jeunes diplômés tombent dans le piège de la précipitation à la sortie de leurs études. Mais pourquoi avons-nous tendance à sauter à pieds joints dans le premier poste qui nous tombe entre les mains ?
Pourquoi se précipiter ?
Une formation qui biaise notre vision du monde du travail
En études supérieures, on nous apprend à s’organiser, à travailler en équipe et on ingère tout un tas de connaissances… Malheureusement, les structures de formation ne nous apprennent pas toujours à… trouver du travail. « Je n’ai jamais été préparé à ce qui allait arriver après mon diplôme, assure Arthur, qui a fini son master en journalisme il y a maintenant plus d’un an. On ne m’avait jamais dit que ça allait être aussi difficile de décrocher un job. Alors forcément, au moment fatidique, on se sent perdu et on se dit que ce n’est pas normal de ne pas trouver plus rapidement. »
Pour Emouna Lilti, psychologue du travail et coache de carrière, les établissements supérieurs ont leur part de responsabilité : « On peut constater une sorte de déni de ces structures - que ce soit les écoles, facultés, etc - ne voulant pas admettre la valeur réelle de leur diplôme sur le marché, qui est moins bonne que celle qu’elles vendent à leurs étudiants. Beaucoup préfèrent les maintenir dans l’idée qu’il y a une vraie employabilité plutôt que de les prévenir des forces et des faiblesses de leur diplôme et des difficultés du marché du travail qui les attendent. »
À cela, s’ajoute un cruel manque de formation pour rechercher un emploi. On ne nous explique pas forcément comment s’orienter, savoir ce que l’on veut à la fin de nos études… C’est le constat d’Alice, ancienne étudiante en design d’espaces : « Pendant mes études, je n’ai jamais été formée à prendre mon temps pour faire quelque chose qui me convienne par la suite. J’ai pu développer des compétences “opérationnelles” et apprendre comment réaliser mes futures tâches. Mais j’aurais aimé pouvoir apprendre à me projeter, à construire un projet professionnel ou même tout simplement à savoir ce qui m’attendait à la sortie. »
Pourtant, pour Emouna Lilti, il existerait bel et bien des moyens de se préparer à postuler pour un premier emploi au-delà d’apprendre à faire un CV et une lettre de motivation : « Il est tout à fait possible d’anticiper sa recherche d’emploi dès ses études. Notamment en se construisant un réseau solide ou encore en analysant le secteur qui nous attire en multipliant les angles de vue et les interactions avec des recruteurs par exemple. »
Un œil pas encore assez aiguisé
L’un des éléments majeurs dans la formation d’un étudiant réside dans les stages. Pour cela, encore faut-il pouvoir garantir l’intérêt dudit stage dans la réflexion du projet professionnel. « Malheureusement, beaucoup d’écoles ne fixent pas de prérequis pour les stages. C’est-à-dire qu’elles ne vérifient pas l’intérêt du stage pour l’étudiant, ne se demandent pas si celui-ci correspond à son domaine de formation ou au projet professionnel qu’il envisage », explique la psychologue. Selon elle, il pourrait y avoir un rapport direct entre le choix du premier emploi et les expériences précédentes. Moins les étudiants s’habituent à être rigoureux dans la sélection et la pertinence de leurs stages, moins ils le seront lors d’un choix d’un premier emploi, qui lui, se fait sans encadrement d’un tuteur ou d’un professeur. « Dans ma promo, très peu se sont dirigés vers les stages qui étaient réellement valorisants, ou qui témoignent de ce qu’on apprenait dans l’année, abonde Arthur. Mon stage ne l’était qu’à moitié, mais ça a suffi à mon établissement qui estimait que rédiger pouvait se faire partout, et puis vu les temps compliqués dus à la crise, “il ne fallait pas faire la fine bouche. Je pense que j’aurais aimé avoir plus de suivi pour que mon école prenne en compte mes envies… »
Une posture encore trop passive vis-à-vis de notre orientation
À la sortie d’études, bien des étudiants ont le sentiment de subir leur situation et de ne pas être maître de leur destin. C’est notamment le cas d’Arthur : « On m’a toujours vendu le milieu du journalisme comme un endroit de requins, où il faut se faire tout petit et prendre le poste qui vient en s’estimant chanceux d’en avoir un… » Pour Emouna Litli, ces discours infusent dans nos têtes et nous font penser qu’on « a la sensation de ne pas pouvoir prétendre à pas grand-chose sur le marché du travail et risquons de nous précipiter vers un premier emploi sans forcément se demander si celui-ci nous plaira. » Mais notre experte insiste : « Ce que l’on dit moins aux étudiants en revanche, c’est que les entreprises recherchent certes de nouveaux talents, mais qu’eux aussi ont la possibilité de déterminer si oui ou non une entreprise leur plaît. » Alice, qui a transformé son stage de fin d’études en agence de design en CDI, ne l’a compris que trop tard : « Mon stage s’est bien déroulé car il m’a permis de découvrir une entreprise et un secteur, alors quand j’ai eu la possibilité de signer un CDI, j’ai accepté, même si je sentais que j’avais l’envie de découvrir d’autres structures et que je m’épanouirais peut-être davantage ailleurs. Je suis tout de même contente de pouvoir mettre un premier pied dans le monde du travail, mais je sens déjà que je vais vite m’ennuyer et ne plus me satisfaire de ce job. »
La peur du trou dans le CV
Comment ne pas évoquer le fameux trou dans le CV ! Arthur, notre journaliste, n’a pas résisté à cette peur commune : « À la fin de mes études, j’avais peur de mettre du temps à trouver un premier job et de voir le fameux trou s’allonger dans le temps sur mon CV. Alors j’ai postulé et accepté la première opportunité de contrat que j’ai eue en tant que journaliste ». Pourtant, il est tout à fait normal pour un jeune diplômé de mettre du temps à décrocher un premier job. « Les trous dans le CV peuvent effrayer, mais ils n’ont pas réellement d’impact sur votre début de carrière. Il faut l’accepter, rassure Emouna Lilti. Et pour cause, trouver un premier emploi peut prendre du temps et ça, les entreprises le savent ! Vous pourrez toujours justifier un trou dans votre CV auprès d’un recruteur lors de l’entretien d’embauche, alors pas de panique !
L’argument financier
Enfin, si plusieurs facteurs jouent un rôle dans nos prises de décisions à la sortie du diplôme, il en existe un particulièrement déterminant : les revenus. « À la sortie de mes études de design graphique, je ne pouvais pas me permettre de consacrer plusieurs mois à rechercher un emploi stable ou qui me corresponde, témoigne Lucie. J’ai un loyer à payer, des dépenses quotidiennes qui ont conditionné mes choix. J’ai donc pris un travail de surveillante de collège, qui est purement alimentaire, j’en ai conscience, et je fais aussi un service civique à côté. » Une double casquette temporaire, faute de temps pour chercher un contrat plus stable et dans son domaine.
Encore une fois, si l’inquiétude de vous éloigner de votre voie initiale vous gagne, rassurez-vous, vous ne resterez pas cantonné à ce job toute votre vie… « Nous sommes une société de reconversion, de débutants, de juniors, alors ce n’est pas parce que vous ne commencez pas par un emploi dans votre domaine que vous ne pourrez pas y revenir par la suite ! », assure Emouna Lilti. Attention en revanche à ne pas s’éterniser dedans et à se garder du temps pour postuler ailleurs, ce qui demande une certaine organisation.
Une expérience enrichissante dans tous les cas !
Vous vous êtes précipité sur un job qui ne vous plaît pas plus que cela et avez peur de ne jamais voir le bout du tunnel ? Pas de panique. Sachez qu’il faudrait être sacrément chanceux pour tomber sur le job de ses rêves dès la sortie des études… Ce sont ces expériences qui nous apprennent à mieux choisir par la suite. « J’ai enchainé deux mauvaises expériences de stages, où je m’étais précipitée… J’aurais dû m’informer davantage avant d’accepter n’importe quoi au premier entretien, raconte Aurélia. Néanmoins, avec du recul, je sais ce que ces mauvaises expériences ont pu m’apporter. Comme par exemple le fait de devenir plus alerte en entretien en posant de meilleures questions ! Aujourd’hui, j’ai développé des petits “warnings”, j’analyse bien plus les offres d’emploi à la recherche de red flags et j’ose poser les questions qui m’importent vraiment en entretien. » Arthur, qui pour sa part subissait ses journées, s’est vite rendu compte de son erreur : « Lorsque je chercherai un nouvel emploi, je sais que je ne me verrais plus écrire sur des choses qui ne m’intéressent pas, encore moins quand il faut le faire tous les jours. C’est un métier de passion, alors je ne veux pas avoir à compter mes heures. J’espère que la suite me réserve de bonnes surprises ! »
Les premiers emplois sont rarement un coup de foudre au premier regard. Mais le plus important, c’est d’en tirer le maximum d’enseignement pour vous et votre carrière. Ok, ce n’est pas l’expérience de votre vie, mais ces premiers pas dans le monde du travail vous donnent tout de même un bon aperçu d’un secteur, d’un métier et vous familiarisent avec les codes de l’entreprise. Et surtout, vous développez de nouvelles compétences qui pourront vous servir par la suite ! Vous êtes devenus plus assertifs ? Vous avez peut-être particulièrement exprimé votre créativité ? Networker ? Quoi qu’il en soit, vous êtes ressorti de cette expérience avec une meilleure connaissance de vous-même, et lorsqu’on fait son entrée sur le marché du travail, n’est-ce pas le plus important ?
Accepter un premier job qui ne vous satisfait pas à 100% par peur de ne pas trouver mieux ou pour rentrer au plus vite dans la vie active est tout à fait louable tant que vous ne subissez pas la situation et vous tenez prêt à rebondir pour reprendre votre orientation en main. Mais encore une fois, pour cela, il faudra faire le post-mortem de cette expérience : qu’est-ce qui ne vous a pas plu dans ce poste ou cette entreprise ? Et vers quoi aimeriez-vous vous diriger par la suite ?
(les prénoms ont été changés)
Article édité par Gabrielle Predko ; photo de Thomas Decamps
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