Prolonger ses études pour échapper à la crise, une vraie tendance ?
23 sept. 2020
8min
Journaliste
“C’est reparti pour un tour”. Ces mots ont sans doute raisonné dans la tête des diplômés de 2020 qui ont pris la décision de prolonger leurs études, d’un an ou deux, dans l’espoir de contourner la crise et d’arriver mieux armés sur le marché - ô combien incertain - du travail. Mais combien sont-ils, ces étudiants qui ont fait le choix de changer leurs plans pour s’en tenir à la prudence ? Comment en sont-ils arrivés là ? Qu’attendent-ils de cet épisode “bonus” de leur vie étudiante ? Et de manière plus macro, quelles seront les conséquences de ce phénomène sur l’emploi des jeunes dans les années à venir ? Que vous l’ayez envisagé ou que vous ayez déjà sauté le pas, pour vous, nous avons tenté de répondre à ces questions en recueillant différents témoignages d’étudiants et l’avis d’expert de Thomas Couppié, Chef du département des entrées et des évolutions dans la vie active au Centre d’études et de recherches sur l’évolution et la qualification (Cereq).
Pas la bonne période pour se lancer
Maxence se relit une dernière fois avant d’envoyer. L’air dépité, le regard fixe derrière ses lunettes au motif tortoise, il soupire en appuyant sur le bouton “entrer” de son clavier. Encore une énième candidature dans l’espoir de décrocher un premier emploi. “Enième” car cela fait bien longtemps que Maxence s’est arrêté de compter le nombre de CV envoyés depuis l’obtention de son diplôme, il y a neuf mois déjà. Sa recherche d’emploi ressemble jusqu’ici à une longue et éprouvante traversée du désert. « La plupart des entreprises ne m’ont pas répondu, et celles qui l’ont fait me reprochaient systématiquement mon manque d’expérience. » Surprenant, quand on sait que Maxence a réalisé pas moins de 5 stages au cours de sa formation, ce qui équivaut tout de même à plus d’un an et demi passé en entreprise. « Ce n’est pas grave », se dit-il. Une partie de lui-même a déjà laissé tomber et se tourne désormais vers son plan B, une solution de secours qui lui paraissait inenvisageable il y a encore quelques mois. Alors qu’une partie de ses anciens camarades de promo vivent actuellement leur première rentrée en entreprise, lui s’est renseigné au début du mois de septembre auprès d’une école rennaise pour intégrer un master 2 Marketing digital en apprentissage. « J’en ai marre, je suis épuisé par la recherche, ça fait trop longtemps que ça dure. Il faut que je fasse quelque chose. » Plus qu’à trouver une entreprise d’accord pour l’accueillir en alternance d’ici novembre, date limite des admissions. Même s’il reste aux aguets et continue de postuler pour ne pas passer à côté d’un CDI, Maxence semble résigné à ressortir ses affaires d’étudiant du placard à l’automne.
D’autres, comme Yahya, n’ont pas tergiversé aussi longtemps et ont même déjà fait leur retour sur les bancs de l’école. Un coup dur et des signes peu encourageants auront suffi à convaincre celui qui a reçu son diplôme d’ingénieur en génie mécanique au mois de juin. Déçu après que l’entreprise dans laquelle il faisait son master en alternance depuis 3 ans ne lui ait pas proposé de contrat et surpris par les difficultés financières auxquelles celle-ci a dû faire face après le confinement, il a vite compris que ce n’était pas le meilleur moment pour se lancer dans le monde du travail et qu’il ne perdrait rien à décrocher un second master, cette fois-ci en achat international, toujours en alternance. Il n’est d’ailleurs pas le seul de sa promo à avoir opté pour la poursuite d’études. « Environ la moitié de ma classe a enchaîné avec un autre cursus. Les autres, ceux qui ont décidé de trouver un travail, sont au chômage et galèrent. Je pense qu’au vu de la période, j’ai pris la bonne décision. »
« J’en ai marre, je suis épuisé par la recherche, ça fait trop longtemps que ça dure. Il faut que je fasse quelque chose. » Maxence, étudiant
Cas isolés ou véritable tendance ?
Si en cette première rentrée depuis la crise du coronavirus, les témoignages de jeunes diplômés qui se relancent finalement pour un tour supplémentaire ne manquent pas, il est difficile de prendre la mesure de ce phénomène pour l’instant. Selon Thomas Couppié, chef de département au Centre d’études et de recherche sur les qualifications (Céreq) : « Nous n’avons pas énormément de visibilité sur cette tendance. Les prochains mois et les premières enquêtes de rentrée nous en diront plus. »
Une crise inédite, difficile à analyser
Par le passé, l’Insee avait déjà étudié ce phénomène d’“allongement de la durée de scolarisation”, dans le but de savoir s’il était lié ou non à la conjoncture économique. D’après les résultats de l’étude publiée en 2013 - basée sur 30 années de chiffres récoltés - ils ne seraient “que” 0,4% à prolonger leurs études d’un an ou plus lorsque le chômage des jeunes grimpe de 3 points, comme après la crise économique de 2008, par exemple.
Compte tenu du chômage des jeunes, qui a déjà augmenté après le confinement et qui risque encore d’empirer, il est donc particulièrement tentant de penser que la crise actuelle a poussé un plus grand nombre de diplômés à continuer leurs études. Thomas Couppié souligne néanmoins que la situation est tellement inédite qu’il est impossible d’estimer la part réelle d’étudiants qui pourront effectivement reporter leur entrée sur le marché. Et encore plus d’anticiper les conséquences de cette tendance. « Certes, la crise actuelle est économique et la conjoncture est donc défavorable à l’emploi des jeunes, reconnaît-il. Mais n’oublions pas qu’elle est d’abord sanitaire, et qu’elle a donc des effets beaucoup plus globaux, notamment sur la formation. Il est possible que des jeunes diplômés aient envie de prolonger leurs études, mais encore faut-il que les universités et écoles ouvrent suffisamment de places dans leurs établissements ! Rien n’est moins sûr actuellement avec toutes les normes sanitaires que ces structures ont à respecter. D’autant plus qu’on a déjà un nombre exceptionnellement élevé de nouveaux étudiants cette année en raison du taux historique de réussite au baccalauréat. »
Quand certains rempilent pour un tour, d’autres quittent le manège avant la fin
Mais alors, aura-t-on une explosion du nombre d’étudiants cette année ? « On a peut-être des étudiants qui se réinscrivent une année supplémentaire pour contourner les effets de la crise, mais on doit aussi prendre en compte qu’il y a eu énormément de décrochage durant le confinement », complète Thomas Couppié. En effet, dans certaines académies, 30% des étudiants de licence ont disparu des radars pendant le confinement. Un décrochage qui risque de se poursuivre à la rentrée avec les cours à distance que certaines universités vont maintenir en partiellement pour essayer de conserver leur capacité d’accueil intacte malgré les restrictions sanitaires.
La prolong’, une question de moyens
Le chercheur du Céreq nous rappelle aussi que les études sont un investissement dont le coût n’est pas négligeable. « Même dans le cas où des jeunes voudraient compléter leur formation, encore faut-il qu’ils en aient les moyens ! Bien souvent, explique-t-il, ce sont les parents qui financent - totalement ou en partie - les études des enfants. C’est pour cela que le niveau d’études est fortement lié à l’origine sociale. Or, les étudiants les plus touchés par le chômage, et donc plus susceptibles de vouloir compléter leur formation, sont souvent ceux dont le niveau d’études est le moins élevé mais qui peuvent le moins se le permettre. » Une sélection naturelle limiterait-elle le nombre d’étudiants réellement concernés par cette solution de repli ? C’est fort probable. Mais l’option de l’apprentissage peut être envisagée lorsqu’il n’y a pas d’autre moyen de se financer. Pour Maxence, l’alternance permet de faire « d’une pierre deux coups. J’aurai une source de revenus et de l’expérience en plus. Je dois rembourser un prêt étudiant à partir de l’année prochaine, alors j’étais obligé d’avoir une rémunération. »
« Même dans le cas où des jeunes voudraient compléter leur formation, encore faut-il qu’ils en aient les moyens ! » Thomas Couppié, chercheur du Céreq
Quelles conséquences sur le marché de l’emploi ?
Bien qu’il soit compliqué d’estimer avec précision le nombre de diplômés qui suivront l’exemple de Maxence et Yahya, on peut tout de même légitimement s’interroger : mais que se passerait-il si les jeunes diplômés fuyaient massivement le monde professionnel ? « Si le phénomène s’avère être d’ampleur, nous aurions logiquement, dans les deux prochaines années, une augmentation du nombre d’arrivées sur le marché du travail et un certain nombre de jeunes surdiplômés, ce qui risque d’accroître la concurrence. » explique le chercheur du Céreq. « Après, cela sera une bonne ou une mauvaise nouvelle en fonction de la demande des entreprises à ce moment-là » Difficile pour lui de se mouiller davantage : « Il y a beaucoup de variables inconnues dans cette crise. Déjà, on ne sait pas combien de temps elle va durer, et c’est un paramètre déterminant pour évaluer l’ampleur des dommages collatéraux. »
« Nous aurions logiquement, dans les deux prochaines années, une augmentation du nombre d’arrivées sur le marché du travail et un certain nombre de jeunes surdiplômés, ce qui risque d’accroître la concurrence » Thomas Couppié
« En attendant que passe la crise », vraiment ?
En attendant, il est intéressant de se demander si la crise est le seul facteur qui pousse ces diplômés à s’accrocher aux bancs de l’école ou si elle est simplement la goutte d’eau qui fait déborder le vase. La réponse est complexe. Dans les témoignages que nous avons récoltés, la crise n’apparaît jamais véritablement comme la cause principale de leur décision, mais plutôt comme un élément qui les a confortés dans leur choix. Et si certains, comme Maxence, reconnaissent que « c’est sûr, ça n’a pas aidé », ils s’inquiètent aussi de voir que l’insertion des jeunes est compliquée depuis plusieurs années déjà et que les attentes des entreprises sont toujours plus hautes : « Je ne sais pas si cela aurait été très différent pour moi sans le Covid-19. Les entreprises sont tout simplement trop exigeantes à mon sens sur les postes juniors. Elles demandent plusieurs années d’expérience ou a minima d’avoir fait de l’alternance. Mais ce n’est pas toujours possible. Pour ma part, je me suis rendu compte, sur le tas, que l’établissement et le réseau avaient en fait peu de valeur comparé à l’expérience. Or, quand on est étudiants, on nous le dit pas, ou si peu… »
« Je ne sais pas si cela aurait été très différent pour moi sans le Covid-19. Les entreprises sont tout simplement trop exigeantes à mon sens sur les postes juniors. » Maxence, étudiant
Thomas a lui aussi pris la décision d’ajouter un deuxième master sur son CV. Mais là encore, ce n’est pas seulement pour attendre, bien au chaud, que la situation s’apaise, mais plutôt pour acquérir les compétences qui lui manquent selon lui. Comme Maxence, il a opté pour une formation davantage tournée vers le digital, après que ses recherches d’un poste de planneur stratégique en CDI n’aient rien donné de concret. S’il a choisi de se renforcer techniquement sur le digital, c’est parce qu’il a senti que, depuis le confinement, ses lacunes sur le sujet devenaient de plus en plus handicapantes. « J’ai l’impression que pendant le confinement, les entreprises qui s’en sont le mieux sorties étaient les plus digitalisées. Et depuis, je sens que les offres d’emploi insistent beaucoup plus sur cet aspect… »
Un problème antérieur à la crise ?
Sur l’ensemble des témoignages, aucun ne mentionne donc l’intention de poursuivre ses études dans le seul but de passer le temps en attendant que passe la crise. Globalement, la décision est motivée par l’envie - ou le besoin - d’entrer plus fort dans la vie active, et de répondre encore mieux aux exigences d’un marché de l’emploi que l’on sait capricieux, et dont le taux de chômage des jeunes oscille depuis 15 ans entre 18% et 25% (tandis que le taux de chômage de l’ensemble de la population n’a pas dépassé les 11% au 21ème siècle, ndlr).
Et c’est là sans doute le fond du problème. S’il est indéniable que la crise impacte négativement l’insertion des jeunes, ultra-dépendants du contexte économique, comme le rappelle Thomas Couppié « Les jeunes sont une population qui sur-réagit à la conjoncture. Lorsque celle-ci est bonne, ils sont les premiers à en bénéficier, mais lorsque celle-ci est mauvaise, ils sont les principaux à en souffrir. » Il faut aussi avoir en tête qu’avant la crise, l’entrée des jeunes diplômés était déjà douloureuse. Et cela poussait déjà certains jeunes à prolonger encore et encore leurs études sans jamais se sentir légitimes d’intégrer le monde professionnel.
On vous l’accorde, tout ceci est un brin déprimant, mais sachez que les récentes aides de l’État pour l’emploi des jeunes (comme les 4000 euros par ans promis aux employeurs qui embauchent un jeune de moins de 26 ans à temps plein pour au moins trois mois, ndlr) vont dans le bon sens. Tout porte à croire que cela participera à améliorer l’insertion professionnelle dans les prochains mois mais l’avenir nous le dira… D’ailleurs, Maxence, qui a fini par trouver un CDI quelques jours après son témoignage, en est peut-être un des premiers à en avoir bénéficié ! De quoi garder espoir et se rappeler que, tôt ou tard et à force de persévérance, les choses finissent souvent par se débloquer, non ?
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