Jumeaux, ils ont trouvé leur indépendance en prenant des voies pro opposées

20 juil. 2022

5min

Jumeaux, ils ont trouvé leur indépendance en prenant des voies pro opposées
auteur.e
Romane Ganneval

Journaliste - Welcome to the Jungle

Apprendre à se connaître, s’aimer, déceler ses goûts et ses envies n’est jamais simple. Et lorsqu’on a un jumeau ou une jumelle à qui on est sans cesse comparé, cela peut compliquer le cheminement. Pour s’affranchir de l’autre et enfin vivre leur singularité, des jumeaux nous racontent les raisons qui les ont poussés à prendre des voies professionnelles dissonantes.

À première vue Rayan et Ryad sont identiques. Sourire, regard, coupe de cheveux, corpulence, taille… Seule une boucle d’oreille qui décore le lobe gauche de l’un des deux jeunes hommes nous rappelle qu’on ne voit pas double. Ces jumeaux dits « monozygotes » sont issus d’un même ovule. Depuis le ventre de leur mère, ils partagent presque tout : ADN nucléaire, environnement social et familial… C’est peut-être ce qui explique qu’ils n’ont jamais ressenti de rancœur, de jalousie ou de colère vis-à-vis de leur autre semblable. Pour eux, cette dualité est même une force motrice dans leurs vies. « Au lycée, en plus de dormir dans la même chambre, on était dans la même classe et on se choisissait toujours pour faire les TP en binôme parce qu’on se comprenait sans se parler. Comme un vieux couple, on avait beau se chamailler, on passait tout notre temps ensemble », se souvient Ryad, aujourd’hui attaché parlementaire. Mais ne pensez pas que les jumeaux - même monozygotes - sont semblables en tous points ; depuis leur naissance, de minuscules différences psychologiques et physiques se sont glissées dans ce jeu de miroirs. Ryad et Rayan en témoignent : « On a beau se ressembler comme deux gouttes d’eau, on a beau avoir eu les mêmes notes à l’école à la décimale près, on a toujours su qu’on voulait prendre deux voies professionnelles bien distinctes. » Une façon pour eux de s’affranchir de l’autre ? Pas nécessairement explique Rayan, étudiant en médecine : « C’est assez paradoxal, mais le fait de vivre des expériences différentes nous rapproche, on se raconte beaucoup plus de choses ces derniers temps. »

Des comparaisons souvent pesantes pour les jumeaux

De Castor et Pollux, à Remus et Romulus, en passant par les loufoques Dupond et Dupont, ou encore les très roux Fred et George Weasley de la saga Harry Potter, les mythes, légendes et personnages de fiction de la pop culture perpétuent des histoires d’êtres doubles aux destins exceptionnels. Loin de laisser indifférent, la gémellité donne naissance à des superstitions divergentes en Afrique : au Bénin, Togo et au Nigeria, les jumeaux sont par exemple considérés comme des porte-bonheur ou porte-malheur selon les coutumes locales. En Occident aussi l’arrivée de plusieurs bébés n’est pas neutre et pourtant, il n’y en a jamais eu autant. Un phénomène que les chercheurs expliquent par l’extension de la procréation médicalement assistée (PMA) et l’âge plus tardif des grossesses, un facteur qui favorise les fécondations multiples. Mais passons outre les croyances. La gémellité est d’abord et avant-tout l’histoire d’un lien que personne ne peut comprendre, sauf bien sûr si on est soi-même jumeau.

Roxanne qui se décrit volontiers comme la marginale dans son duo avec Doriane, explique qu’elle préfère se blesser plutôt qu’il arrive quelque chose à sa jumelle, parce qu’elle aura tendance à davantage ressentir la douleur de ce corps qui n’est pas le sien. Et pourtant, les jeunes femmes n’ont jamais aussi bien vécu leur gémellité depuis qu’elles ont pris des chemins différents. « Les professeurs n’arrêtaient pas de me comparer à ma sœur qui était bien meilleure élève que moi », regrette Roxanne. Comme l’humain a toujours tendance à se comparer aux autres, le cojumeau, de par sa proximité physique, est un élément de comparaison privilégié, aussi bien pour les parents, les proches, que les jumeaux eux-mêmes. Une situation qui peut générer des conflits importants et créer une compétition malsaine dans ce binôme de naissance. À l’adolescence, Roxanne atteinte de phobie scolaire a donc décidé de s’éloigner de sa jumelle pour mieux se construire et s’accepter. Pendant que la studieuse Doriane suivait un parcours universitaire classique en événementiel, l’autre jumelle partait comme jeune fille au pair en Espagne, s’essayait à la restauration, puis au bénévolat dans des fermes en Amérique latine. « Même si cela est impensable pour d’autres jumeaux, cette distance nous a permis d’être en paix avec l’autre. Aujourd’hui, on n’hésite plus à s’encourager, à nous pousser dans nos projets, ça nous rend plus fortes », ajoute Roxanne.

Pas de séparation volontaire, mais une séparation nécessaire

Elliot et Pacôme, sont des jumeaux dizygotes, issus de la fécondation de deux ovules par deux spermatozoïdes. Même si on a toujours exagéré leur ressemblance, parce qu’on a tendance à sélectionner les indices qui confortent ce que l’on attend de la gémellité – en obéissant à un processus de catégorisation bien étudié en psychologie sociale -, ils ont des patrimoines génétiques aussi distincts que ceux de deux frères. D’ailleurs, depuis leur plus jeune âge, ils ne se ressemblent pas : l’un a une tignasse blonde crépue et l’autre des cheveux lisses comme des baguettes. Bien qu’aujourd’hui avec la barbe cette distinction ne soit plus aussi simple, ils ont toujours célébré leurs dissemblances. Elliot est sorti du cursus généraliste dès la fin du collège pour aller en cuisine et Pacôme a poussé les études supérieures jusqu’à obtenir un diplôme d’architecte. Aujourd’hui, le premier vit à la campagne, s’occupe d’un champ en permaculture, apprend à fabriquer de la bière et du fromage, quant au second, il vient de signer son premier contrat dans une agence à Marseille. « Il n’y a pas eu de séparation volontaire, raconte Elliot. La distance est plutôt un concours de circonstances, parce qu’on n’avait pas les mêmes envies. »

Comme Doriane et Roxanne, ils sont plutôt heureux de réussir à s’épanouir chacun de leur côté. « Toute notre enfance on était « les jumeaux », on avait la même bande d’amis, explique Pacôme. Depuis qu’on est moins ensemble, je peux rencontrer une personne et lui apprendre au bout de quelques mois que j’ai un jumeau. Quand je le dis, ça suscite toujours beaucoup de curiosité, et ça me fait rire. » S’ils ne discutent pas vraiment de leurs choix de vie, quand Elliot a pensé suivre une formation de charpentier chez les compagnons du devoir, Pacôme s’est dit qu’ils feraient un beau duo ensemble. Cette fois-ci l’aventure n’est pas allée plus loin, mais peut-être que l’avenir leur réserve de belles surprises.

Des voies différentes pour éviter les frustrations, les conflits et la jalousie

Bien que les jumeaux aient choisi de s’éloigner à l’âge adulte, ils savent qu’ils auront toujours quelqu’un à leurs côtés pour les écouter, les épauler, les soutenir, sans risque de perte, de rejet ou de critiques. Elea et Ludovic acquiescent : « On se parle de tout et même des sujets comme la politique sur lesquels on a des différends sans que ça ne crée des tensions. » Dans leur binôme, la jeune femme admet pourtant avoir parfois pris trop de place à l’adolescence. Moins sociable et plus studieux que sa sœur, Ludovic a longtemps été « le frère d’Elea ». Et si cette situation ne semble pas l’avoir dérangé, ni occasionner de jalousie, il se réjouit qu’ils aient pris des voies professionnelles différentes : « Je pense pas que ce soit simple si des jumeaux suivent le même parcours et qu’un réussit mieux que l’autre. Mais nous, on a évité ce genre de situation. » Après un bac scientifique, Ludovic vient de terminer sa prépa d’école de commerce avec succès. De son côté, Elea vient d’achever sa première année de licence en fac de lettres. « Nos différences sont presque caricaturales : le scientifique, la littéraire, le réservé et la sociable… C’est assez drôle quand on y pense, peut-être que si on n’était pas jumeaux on n’aurait pas été amis, » s’amuse Elea.

Le lien qui unit les jumeaux que nous avons rencontrés est plus au moins fusionnel, mais à la question pensez-vous un jour travailler ensemble comme les chanteuses d’Ibeyi (jumelles en Yoruba, l’une des trois langues nationales du Nigeria, ndlr) les actrices Mary-Kate et Ashley Olsen ou aux feux Igor et Grichka Bogdanoff ? Ils répondent tous en chœur : « Pas question ! » Pour ces huit jumeaux, rien de pire que celles et ceux qui continuent à tout faire ensemble et à s’habiller avec les mêmes vêtements à l’âge adulte. Alors oui, ils ont des points communs, ils partagent leur famille et certains groupes d’amis, mais il ne faudrait pas que cela n’empiète sur leur individualité.

Article édité par Manuel Avenel
Photo par Thomas Decamps

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