Partis vivre à Marseille, ils en sont revenus par manque d'opportunités pros
16 nov. 2023
6min
Journaliste - Welcome to the Jungle
Avec 300 jours de soleil au compteur, une plage de 26 hectares, un prix moyen au m2 de 3800 euros, son étoile en Ligue des champions et ses 2600 ans d’histoire, Marseille a des arguments contre lesquels Paris et les autres grandes métropoles françaises ne peuvent pas lutter. Et c’est justement ce qui fait que la ville séduit de plus en plus de Français. Selon Sophie Roques, élue chargée des nouveaux marseillais, 3000 personnes s’y installeraient chaque année. Attirés par la cité phocéenne, Olivier, Jean-Laurent, Julien et Mathias ont, eux aussi, décidé de tout quitter pour s’y installer… avant de repartir, déçus par l’expérience. S’ils ont tout de suite aimé leur nouveau cadre de vie, ils n’avaient pas vraiment anticipé que, dans la deuxième ville de France, ils manqueraient autant de perspectives professionnelles.
Poser ses valises dans la ville du soleil
« Je venais régulièrement à Marseille pour des rendez-vous professionnels et j’y avais déjà passé des vacances. » Début 2018, quand Mathias, installé dans l’agglomération lilloise, décroche un poste dans le secteur industriel à Marseille, il n’hésite pas une seconde. Il se met à la recherche d’un logement et motive son compagnon pour qu’il le suive dans cette nouvelle aventure. Également attiré par le climat de la capitale de la culture européenne de 2013, Julien, cadre dans la fonction publique, trouve un poste pour rejoindre sa moitié. Passionnés de montagne et de randonnées, le couple tout juste installé aime se promener dans les rues qui n’ont pas encore été retapées pour accueillir la horde de bobos parisiens et leurs sorties dans les calanques le weekend. Quelques mois après leur arrivée et tout juste propriétaires, les deux jeunes hommes pensent que ça sera un aller sans retour.
Au même moment, Jean-Laurent Cassely, essayiste et fondateur de Maison Cassely (cabinet de tendances), qui a grandi à Marseille avant de s’exiler à Paris pour des raisons professionnelles, décide lui aussi de redescendre dans le sud pour se rapprocher de sa famille. Il connaît les contraintes de la ville et sait qu’il y gagnera en confort. « Je n’étais pas salarié, donc je n’avais pas de contrainte géographique. Et même si mes clients se trouvaient tous en région parisienne, je me disais que je pouvais très bien condenser mes rendez-vous professionnels pour remonter de temps en temps, tout en vivant dans ma ville de naissance. Depuis l’essor du télétravail, vivre à trois heures et demie de train de la capitale ne pouvait pas être un handicap. »
Enfin, Olivier, DRH à Chalon-sur-Saône dans les transports, prend la décision de s’installer dans la cité phocéenne un après-midi de décembre, lorsqu’il sirote un café en terrasse au soleil avec un ami. « Je n’avais pas de compagne à l’époque, mon poste ne me plaisait plus trop, alors j’ai démissionné du jour au lendemain, j’ai pris toutes mes affaires direction Marseille. Par chance, j’ai rapidement trouvé du travail dans l’une des deux grandes entreprises du secteur agroalimentaire de la région. »
Le grand désenchantement
Seulement, en quelques mois, la lune de miel avec leur nouvelle ville prend fin et leur quotidien vire au cauchemar. Olivier est le premier à déchanter. « Quand je suis arrivé dans le service des ressources humaines, on m’a expliqué que les règles ici étaient un peu différentes, explique-t-il. Et si ça peut sembler très cliché, c’est vrai que lorsqu’il faisait beau le vendredi, il ne fallait pas que je m’étonne de l’absence de mes collaborateurs. Mais surtout, j’ai compris qu’il serait difficile de me lancer dans un projet de concertation avec les syndicats parce que je n’avais pas l’accent du coin. J’avais un peu l’impression que quoi que je fasse, j’étais la personne envoyée par le siège qui pensait plus aux chiffres qu’à l’humain. » Un sentiment largement partagé par Julien qui gère un service d’une soixantaine de personnes à la Métropole Aix-Marseille. « Dans ma carrière, j’ai connu plusieurs mobilités et si je n’ai pas toujours travaillé avec des personnes qui aimaient s’investir professionnellement, à Marseille, j’avais le sentiment qu’ils ne cherchaient pas à avancer plus loin que leurs objectifs. » D’un autre côté, le haut fonctionnaire comprend que dans un environnement aussi agréable, certaines personnes privilégient d’autres aspects de leur vie et ne soient pas autant impliquées que lui dans leur travail.
À cela s’ajoutent d’autres problèmes qu’ils n’avaient pas anticipé comme les nuisances sonores, la saleté de la ville occasionnée par les grèves régulières des éboueurs et surtout, la difficulté à tisser des liens avec les locaux. « Avant de déménager à Marseille, on avait une vie sociale très importante, on sortait presque tous les soirs, raconte Julien. Dans cette ville, j’ai réussi à nouer des liens qu’avec des néo-marseillais comme nous. Et encore, ce n’était pas toujours évident parce que la plupart des personnes qui viennent s’installer sont dans des milieux artistiques où l’on cultive un peu l’entre-soi ou ce sont des jeunes familles en quête d’espace. J’ai l’impression qu’il n’y avait pas de place pour des personnes comme Mathias et moi. » Jean-Laurent Cassely n’est pas vraiment étonné de ses retours et affirme que certaines personnes se font de fausses idées sur Marseille, ce qui ne fait que renforcer leur déception : « Il ne faut pas oublier que c’est une ville pauvre où l’insertion sociale et professionnelle n’est pas évidente parce qu’il n’y a pas beaucoup de grandes entreprises en dehors de la CMA CGM et Airbus Helicopters. Et puis, comme c’est parfois le cas en Bretagne ou dans le sud-ouest, quand tu arrives et que tu n’es pas originaire du coin, il faut faire profil bas pour espérer se faire accepter. »
Profiter du cadre de vie, sans véritablement s’insérer localement, c’est une réalité pour un grand nombre de ces néo-marseillais qui travaillent à distance pour des entreprises dont le siège reste majoritairement situé en région parisienne. « La plupart de mes amis à Marseille étaient soit indépendants soit en 100% télétravail, mais leur activité professionnelle restait encore très centrée sur la capitale », se souvient Mathias. Après avoir ouvert une quarantaine d’espaces de coworking en quelques années, la cité phocéenne ne cesse d’ailleurs de développer son offre, particulièrement dans les quartiers de La Castellane et de la Préfecture.
Partir ou rester malgré tout ?
Après avoir été marseillais pendant près de cinq ans, Julien quitte finalement la ville pour prendre de nouvelles fonctions en région parisienne. « Comme je suis dans la haute fonction publique, mes perspectives d’évolution étaient assez limitées à Marseille et je tournais en rond. J’ai décidé de partir parce que je ne trouvais pas d’alternative professionnelle là-bas, détaille-t-il. Mais ce besoin est également bien tombé pour Mathias qui voulait lancer son entreprise et trouver des partenaires motivés par son projet. Quoi qu’on dise, ouvrir une entreprise, c’est toujours plus simple à Paris. » Revenu depuis quelques mois, le couple apprécie désormais l’enthousiasme des personnes qu’ils côtoient pour leur activité professionnelle, mais aussi l’effervescence de la nuit et leur proximité géographique avec leurs familles respectives.
De son côté, Jean-Laurent Cassely fait machine-arrière au bout de quatre ans. Si des raisons plus personnelles ont également pesé dans la balance, l’essayiste reconnaît que la centralisation des milieux culturels en région parisienne explique en grande partie son retour dans la capitale : « Dans mon milieu professionnel, il y a des logiques de réseaux, tu vas croiser untel dans une soirée que tu vas revoir dans un contexte professionnel et ça débouchera peut-être sur un nouveau projet. Alors certes, je ne badge pas tous les matins, mais j’avais sous-estimé le fait que pour être à l’aise dans son métier, il fallait être entouré de personnes qui faisaient la même chose que soi. On a besoin d’émulation collective pour innover et c’est d’ailleurs une des raisons qui explique que l’on revienne un peu sur le tout-télétravail. »
Insatisfait par son poste, Olivier, le directeur des ressources humaines, cherche un temps une autre position dans la région avant d’ouvrir son périmètre jusqu’en Rhône-Alpes. « Ça faisait des mois que je cherchais dans le coin, j’ai poussé jusqu’à Aix et ça ne donnait rien. Quand j’ai commencé à m’intéresser à Lyon, une semaine plus tard, je signais un nouveau contrat de travail ! Avec du recul, je trouve que c’est un peu dommage que Marseille manque autant de dynamisme en termes d’emploi. »
S’installer à Marseille, est-ce vraiment une mauvaise idée ?
Mais si les expériences marseillaises d’Olivier, Mathias, Julien et Jean-Laurent n’ont pas été heureuses, elles ne représentent qu’une facette des arrivées dans la capitale régionale de la Provence. En effet, pour Jean-Laurent Cassely, tout dépend de ce que l’on vient y chercher : « Lorsqu’on part à Marseille en famille pour profiter de la nature tout en ayant des infrastructures de santé et des écoles à proximité, c’est un bon calcul. Après, pour ne pas être déçu, il faudra sûrement accepter d’être un peu moins bien payé et d’adapter ses attentes professionnelles aux réalités du marché du travail local. »
Aussi, pour Julien, il est sûrement plus simple de s’insérer lorsqu’on travaille en libéral ou dans le secteur médical, où l’offre d’emploi y est particulièrement développée. Idem dans l’architecture et dans l’urbanisme où les projets de réhabilitation et développement des infrastructures ne manquent pas. « En revanche, si on a entre 25 et 35 ans, qu’on est ambitieux et qu’on pense continuer à progresser à Marseille, on risque de déchanter, conclut Jean-Laurent Cassely. D’ailleurs, j’aurais les mêmes réserves quant au déménagement dans la plupart des autres capitales régionales. »
Mais transposer un cadre de vie parisien tel quel dans un autre environnement, est-ce vraiment souhaitable ? En déménageant loin de la région parisienne, n’est-ce pas tout un système de priorités que l’on souhaite justement revoir pour se concentrer sur d’autres aspects de nos vies ? Alors, si vous rêvez de partir pour Marseille, posez-vous les bonnes questions avant de faire vos cartons !
Article édité par Aurélie Cerffond, photographie par Thomas Decamps
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