« Travailler pour divertir » Rémy Wannebroucq, créateur de jeux de société

23 nov. 2021

7min

« Travailler pour divertir » Rémy Wannebroucq, créateur de jeux de société
auteur.e.s
Thomas Decamps

Photographe chez Welcome to the Jungle

Elise Assibat

Journaliste - Welcome to the Jungle

Il y a deux ans à peine, Rémy avait 29 ans, un métier de cadre bien rangé et passait ses week-ends avec ses potes. Lors de ces réunions festives, il lui arrivait de jouer à des jeux que tout le monde connaissait, mais parfois, il en inventait de nouveaux. Ce n’est pas un hasard si l’on doit à son imagination Pigeon Pigeon, l’un des jeux les plus populaires actuellement sur le marché. En se lançant dans cette aventure insolite, Rémy a été propulsé dans un univers qui lui était encore inconnu, et a rejoint le club très fermé des créateurs de jeux de société. Retour sur un parcours insolite.

Créateur de jeux de société, ce n’est pas banal… En quoi consiste votre métier ?

Rémy Wannebroucq : En effet ! D’abord, je suis auteur de jeux, donc j’invente des concepts pour amuser les adultes, les enfants ou les familles. J’édite aussi mes créations. Concrètement, c’est l’étape où l’idée de départ est designée puis fabriquée, elle devient un produit. Enfin, je suis distributeur puisque je vends mon jeu à des magasins en France et à l’international.

Pourquoi avoir décidé de jouer ces trois rôles à la fois pour votre premier jeu ?

Disons que je n’ai pas respecté les habitudes du secteur. Historiquement dans ce secteur, chacun a sa compétence propre et son métier : auteur, éditeur et distributeur. Après, comme je n’avais pas vraiment prévu d’en faire quelque chose de sérieux, que c’était simplement un side project qui m’amusait, j’avais envie de suivre toutes les étapes de création jusqu’à commercialisation et la mise en rayon du jeu. Puis, quitte à se lancer dans une telle aventure, autant le faire à fond et en être également le vendeur et l’éditeur.

J’ai toujours eu envie d’entreprendre, et cette expérience professionnelle m’a confirmé l’envie d’avoir ma petite boîte à moi

Quel était votre métier avant ça ?

Je travaillais pour Decathlon depuis cinq ans. J’ai débuté en vendant des vélos, et de fil en aiguille, j’ai été nommé responsable de rayon puis directeur d’un magasin en région parisienne. Après, j’en ai eu assez.

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En effet, cela n’a rien à voir ! Quel a été le déclic ?

Ce qui me plaisait, c’était la petite échelle du magasin. Car même si on appartenait à un grand groupe, le fonctionnement ressemblait plus à celui d’une PME. Les décisions que l’on prenait avaient un impact direct, et d’ailleurs, j’avais tout sauf envie de rejoindre le siège de ce groupe de 35 000 collaborateurs. Finalement, dès que j’ai eu la sensation de travailler pour une multinationale, je suis parti. Après, j’ai toujours eu envie d’entreprendre, et cette expérience professionnelle m’a confirmé l’envie d’avoir ma petite boîte à moi.

Comment est venue l’idée de Pigeon Pigeon ?

J’ai toujours été amusé par les infos complètement délirantes qu’on a parfois du mal à croire. Alors, je me suis dit que ça pourrait être un concept de jeu : inventer des fausses réponses à des questions insolites, et demander aux autres joueurs de retrouver la vraie réponse.

Quand je suis en soirée et que mes amis lancent un jeu ou proposent de jouer à Pigeon Pigeon, je refuse cétégoriquement. Je sais que si je me plonge dedans un samedi soir à 23h, je vais avoir la tête au travail

Comment l’avez-vous développée ?

Quand j’ai eu l’idée, j’ai eu peur que ça ne fasse rire que ma bande de potes et d’être complètement à côté de la plaque. Comme je ne pouvais pas me fier uniquement à l’avis de quelques personnes pour savoir si l’idée plaisait, j’ai rassemblé des copains - qui ont eux-même fait appel à leurs potes - et finalement cent cinquante personnes ont testé le prototype. Tous y jouaient et me faisaient leurs retours dans le but de challenger le concept. J’ai aussi créé un compte Instagram qui regroupait tous les joueurs pour les faire voter entre plusieurs designs, idées… Après six mois d’essais, je savais que ces cent cinquante personnes y croyaient et que cette communauté donnerait envie à d’autres.

Le but de tout ça, c’était d’abord d’entreprendre dans le monde du jeu ?

Pas vraiment. Si j’ai toujours aimé jouer à des jeux, ça n’a jamais été une passion. En revanche, chez Décathlon déjà, ce qui me plaisait, c’était l’univers ludique. Personne ne forçait les gens à venir, les clients étaient là parce qu’ils avaient besoin d’une nouvelle raquette de tennis, parce que leur fille se mettait au judo, ou qu’ils venaient de découvrir la natation. J’aime bien l’idée de travailler pour divertir. Pour ce qui est du jeu, il se trouve que j’ai eu cette idée, sans qu’il n’y ait de jeu équivalent, à peu près au même moment. Alors quand j’ai quitté le magasin, je me suis dit : « Pourquoi ne pas commencer par là ? » J’avais envie de comprendre comment fabriquer mon jeu. Rien n’était figé et je pensais que l’aventure durerait quelques mois, même si voulais aller au bout de mon idée. Aussi, en allant voir des boîtes de fabrication de jeux, de papier, je me suis dit que j’allais peut-être découvrir des métiers qui me plairaient.

J’aime autant apprendre à conceptualiser une idée, me déplacer à l’usine pour voir comment les machines fonctionnent, rencontrer de nouveaux revendeurs, gérer les relations avec les boutiques… Chaque étape est intéressante.

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Et aujourd’hui, rien ne semble vous faire plus envie que de continuer à créer des jeux.

Oui, je me sens vraiment bien dans cet univers. Une fois que je suis rentré dans le processus, que j’ai mis en place mon propre réseau de distribution, que les boutiques ont réclamé des réassorts, je me suis dit que que continuer à travailler avec tous ces gens était une bonne idée.

Qu’aimez-vous le plus dans votre nouvelle vie ?

À la base, ce qui me faisait vibrer, c’était créer et passer mes journées à imaginer de nouveaux concepts de jeux. Mais comme vous pouvez l’imaginer, l’opérationnel prend du temps, et mes journées ne se résument pas à tester des idées de jeu. Après Pigeon Pigeon m’a ouvert un monde, et j’aime autant apprendre à conceptualiser une idée, me déplacer à l’usine pour voir comment les machines fonctionnent, rencontrer de nouveaux revendeurs, gérer les relations avec les boutiques… Chaque étape est intéressante.

Je me suis rendu compte que j’avais deux envies très fortes : je voulais pouvoir travailler d’où je veux, et je ne voulais plus que ma journée soit consacrée à manager des personnes

Vous faites un travail assez ludique en plus d’avoir créé votre propre structure. Vous arrivez à déconnecter de temps en temps ?

Aujourd’hui, quand je suis en soirée et que mes amis lancent un jeu ou proposent de jouer à Pigeon Pigeon, je refuse CATÉGORIQUEMENT. Je sais que si je me plonge dedans un samedi soir à 23h, je vais avoir la tête au travail et je n’arriverai pas à m’en défaire. Alors, dès que le weekend arrive, je mets un point d’honneur à couper tout ce qui me rappelle le travail. On dit qu’être entrepreneur, c’est de ne pas compter ses heures, pourtant, dès le début j’ai fait en sorte de bien séparer ma vie pro de ma vie perso.

C’était important pour vous de créer une entreprise à votre image ?

C’est évident ! Quand j’ai quitté mon boulot, je me suis beaucoup posé de questions sur ce que j’aimais faire, si je préférais être dehors, en intérieur, seul ou travailler en groupe, sur mon équilibre vie pro / vie perso idéal… Et je me suis rendu compte que j’avais deux envies très fortes : je voulais pouvoir travailler d’où je veux, et je ne voulais plus que ma journée soit consacrée à manager des personnes. J’ai fini par créer une boîte sans embaucher et ça me convient très bien. Aujourd’hui, j’essaye de tout faire seul même si des prestataires viennent en renfort sur certains sujets. Sans employés, je n’ai pas de locaux, je peux donc travailler à peu près n’importe où, c’est un grand luxe.

Il est important de savoir que près de 900 jeux sortent par an sur le marché, fabriqués par des amateurs ou par de grosses boîtes d’édition. Alors pour que le tien sorte du lot, il faut que le concept soit validé par les potentiels utilisateurs.

Quelle était votre plus grande appréhension quand vous êtes passé de salarié à indépendant ?

La solitude. J’avais beau vouloir travailler seul, l’ambiance avec mon ancienne équipe était très bonne. J’ai eu peur que cette camaraderie me manque, surtout dans les coups durs, ou quand la motivation vient à manquer. Mais finalement, j’ai beau être indépendant, je ne me sens pas isolé du tout ! J’appelle régulièrement l’usine qui fabrique le jeu, mes distributeurs ou les gérants de magasins et, sans avoir une proximité de collègues, il y a quand même des relations riches et sympas.

Avez-vous des projets pour la suite ?

J’ai pas mal d’idées pour continuer à éditer des produits ludiques et pas seulement des jeux. Une chose est sûre, peu importe le format qu’ils prendront, l’ADN restera le même : une fabrication en France et un style épuré. Dans le monde des jeux, il est très fréquent d’avoir des boîtes assez extravagantes qui justifient un prix élevé alors qu’il n’y a pas grand-chose à l’intérieur. Et bien souvent ces mêmes boîtes sont fabriquées pour rien à l’autre bout du monde car elles coûteraient trop chères en France. De mon côté, je préfère faire sobre et français. Par exemple, en ce moment, je travaille sur un puzzle éducatif pour les tout petits, j’espère qu’il plaira.

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Justement, ce n’est pas trop stressant de sortir un deuxième jeu après un premier gros succès ?

Forcément un peu ! Après, j’ai le luxe d’avoir un réseau de distributeurs qui me fait confiance, c’est à la fois une chance et une pression supplémentaire. C’est pour ça que je prends mon temps.

Quel conseil donneriez-vous à un jeune qui aimerait se lancer dans l’univers du jeu de société ?

Il est important de savoir que près de 900 jeux sortent par an sur le marché, fabriqués par des amateurs ou par de grosses boîtes d’édition. Alors pour que le tien sorte du lot, il faut que le concept soit validé par les potentiels utilisateurs. Pour savoir si ça marche, il n’y a qu’une seule solution : faire tester son jeu. Observer les gens, mais surtout les voir se marrer a été pour moi l’indicateur le plus fort pendant toute la phase de test. Lorsque j’organisais des ateliers testing avec mes amis, je ne voulais pas seulement qu’ils trouvent ça « chouette », mais qu’ils oublient de checker leurs téléphones le temps d’une heure. Quand ça arrivait, je me disais que j’avais vraiment réussi quelque chose !

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Article édité par Romane Ganneval ; Photos Thomas Decamps pour WTTJ