Blockchain et emploi : recrutement et versement des salaires pourraient changer
24 sept. 2018
8min
À moins que vous n’ayez passé le plus clair cette dernière année dans une grotte, loin de tout, il y a de fortes chances que vous ayez entendu quelqu’un évoquer le terme “Bitcoin”. En effet, la majeure partie du buzz créé autour de la blockchain est issue de la montée en flèche de la valeur du Bitcoin, l’application la plus connue du principe de la blockchain au monde de la cryptomonnaie, qui, selon certains, devrait bouleverser le système bancaire et financier international.
Ce qui, cependant, est généralement moins bien compris, c’est le fait que la blockchain n’est pas seulement, pour les investisseurs en bitcoin et les férus de nouvelles technologies, un moyen de gagner rapidement beaucoup d’argent. En réalité, si la technologie de la blockchain se montre à la hauteur de son potentiel, elle devrait avoir, dans un futur proche, des conséquences directes et fondamentales sur la manière dont sont organisés la plupart des systèmes des sociétés modernes - et pas seulement le système financier. De la protection de nos identités en ligne contre l’usurpation d’identité, à la gestion des voitures autonomes, les applications de la blockchain sont pratiquement infinies.
Cette disruption risque aussi très fortement de toucher le marché de l’emploi, au sein duquel la blockchain pourrait transformer la façon dont les candidats recherchent et postulent à des emplois, ainsi que la manière dont ils gèrent leurs salaires et autres processus administratifs, une fois qu’ils ont été engagés en tant que salariés.
Mais avant toutes choses, quelle est la signification exacte de ce mot magique en B- ?
À la base, la technologie blockchain permet de créer un registre décentralisé et sécurisé qui offre à ses utilisateurs un moyen de valider les informations relatives à une transaction donnée. Elle permet ainsi d’accélérer les processus et de supprimer les intermédiaires, ce qui rend les processus plus sûrs, plus transparents et plus efficaces.
Lors d’un vote, comment savoir si notre bulletin a effectivement été pris en compte ? Et lorsque nous achetons du café issu du commerce équitable, comment pouvons-nous être certain de son origine ? Pour s’assurer d’avoir les bonnes réponses à ces questions, il nous faut un système où les données peuvent être stockées, vérifiées par n’importe qui, et dont la sécurité est garantie.
C’est là que la technologie blockchain entre en scène.
Sans trop entrer dans les détails techniques, le fonctionnement de la blockchain est basé sur des blocs d’informations liés dans une chaîne chronologique, elle-même stockée et sécurisée grâce à la cryptographie. En bâtissant un réseau distribué et difficile à corrompre, la technologie blockchain propose un moyen sécurisé de stocker des informations de manière permanente sur un réseau global d’ordinateurs.
La technologie blockchain sur le marché de l’emploi
Bien que les utilisations de la blockchain dans le cadre du marché de l’emploi soient encore balbutiantes, voici trois moyens par lesquels cette technologie pourrait transformer la façon dont les postulants interagissent avec les recruteurs dans certains processus importants et, une fois embauchés, dont ils prennent certaines décisions sur leur lieu de travail.
1. Recrutement des candidats
Un récent sondage réalisé par CareerBuilder a révélé que 58 % des employeurs ont constaté, à un moment ou à un autre, de fausses informations sur les CV reçus. En effet, s’assurer de l’exactitude de ce type d’informations est aujourd’hui encore l’une des tâches les plus chronophages des RH. La vérification des références et des diplômes prend tout simplement beaucoup trop de temps et coûte beaucoup trop d’argent.
Avec sa promesse de permettre un enregistrement numérique inaltérable ou « tracé », la technologie blockchain promet d’accélérer et d’automatiser la façon dont les employeurs vérifient les informations relatives à l’identité de leurs futurs employés potentiels, pour une meilleure correspondance entre les candidats et les postes. Ce processus stimulera également la productivité, facteur particulièrement important pour les petites et moyennes entreprises (PME) qui ont du mal à recruter les bons candidats.
Et cette meilleure adéquation ne bénéficie pas qu’aux entreprises. En tant que futur chercheur d’emploi, votre établissement éducatif pourrait aussi ajouter votre diplôme à la blockchain. Ce qui permettrait de notablement diminuer le temps passé par votre futur employeur à vérifier vos références, et vous seriez donc embauché bien plus rapidement.
Plus important, les salariés auront accès à un CV fiable et basé sur la technologie blockchain, un CV “perpétuellement actif”, en cela que les candidats pourront ainsi être évalués sur la base de leurs compétences actuelles - et pas seulement sur celle des compétences qu’ils choisissent de partager sur leur CV. Ainsi, la technologie blockchain pourrait permettre d’éliminer toute une étape du processus de l’entretien d’embauche, en permettant aux entreprises et aux futurs employés de se concentrer sur ce qui importe réellement, comme les objectifs personnels et les aspirations du candidat, ou sur sa compatibilité avec la culture d’entreprise en place.
Un CV blockchain permettrait par ailleurs d’être mieux protégé contre la fraude. Depuis l’émergence des plateformes numériques de recrutement, il est devenu courant pour les cybercriminels de se faire passer pour des entreprises ou des agences de recrutement, afin de viser des salariés potentiels et d’avoir accès à leurs données et informations. Comme indiqué dans un récent rapport réalisé par PwC, l’industrie de la recherche en talents - vulnérable aux cyberattaques, due à l’émergence des plateformes numériques de recrutement - pourrait tirer profit de la technologie blockchain, en tant qu’outil de prévention de la fraude et de renforcement de la cyber sécurité.
Non content de protéger les futurs salariés de cyberattaques, un CV blockchain offrira à ces derniers un contrôle et une propriété totale de leurs données, marquant ainsi un profond bouleversement dans la manière dont nous concevons et gérons les données individuelles.
Actuellement, sur des plateformes comme LinkedIn, les données sont collectées de manière centralisée et sont ensuite revendues aux utilisateurs. Mais la technologie blockchain pourrait conduire à la création d’un réseau social véritablement décentralisé, où les données sont contrôlées individuellement par les utilisateurs et leur offrent la possibilité de monétiser leur expertise grâce à des micros paiements pour fournir des contenus, des commentaires ou effectuer des tâches précises. L’un des premiers utilisateurs de cette application spécifique de la blockchain est une plateforme appelée Steem, qui utilise un système de récompenses basé sur la blockchain pour inciter ses contributeurs à monétiser les contenus publiés et à développer la communauté. Pour tout savoir sur un candidat potentiel, les recruteurs peuvent consulter directement leurs données à la source – à savoir, le candidat lui-même – plutôt que de payer une plateforme pour y accéder.
Quelques entreprises ont d’ailleurs rapidement repéré le potentiel de la technologie blockchain. La plateforme de vérification de carrière APPII aide TechnoJobs à devenir le premier site au monde à proposer aux employeurs des CV vérifiés grâce à la technologie blockchain. De la même façon, Jobeum utilise cette technologie pour créer un « Outil de recrutement similaire à LinkedIn », alors que HireMatch l’utilise pour aider ses utilisateurs à réduire les coûts en matière de recherche, d’entretien et d’embauche de nouveaux employés.
Dans le même temps, de nouvelles lois et réglementations devront être créées pour protéger la vie privée des demandeurs d’emploi face à une technologie de vérification des données plus étendue, tout en s’assurant que le système reste utile aux entreprises. Il faudra peut-être des années avant qu’un équilibre entre réglementation et efficacité soit trouvé.
2. Contrats intelligents : moins de paperasse, une intégration plus rapide
Côté salarié, la blockchain ne va pas se contenter d’accélérer le processus de rémunération, mais elle pourrait bien vous permettre de “partir sur les chapeaux de roues” dans le cadre de votre nouvel emploi, en simplifiant ainsi l’un des aspects le plus gênant et chronophage de tout nouveau poste.
En effet, grâce à un “contrat intelligent” basé sur la technologie blockchain - à savoir, un contrat automatisé qui déclenche automatiquement une action sur la blockchain lorsque certaines conditions sont réunies - il serait possible d’éliminer bon nombre de transactions administratives (comme les identifiants, les mots de passe, les modèles de mails, et les check-lists), qui habituellement ralentissent considérablement les nouveaux salariés durant les premières semaines passées sur leur nouveau lieu de travail.
C’est ce potentiel de rapidité, de transparence et de décentralisation — associé à une réduction considérable des coûts de transaction et des risques opérationnels — qui fait de la blockchain une alternative intéressante à l’actuelle gestion des contrats.
Si de grandes entreprises comme Oracle ont récemment déposé un brevet afin d’utiliser la technologie blockchain pour améliorer l’efficacité des flux de travail de leurs employés, tout le monde ne croit pas à la sécurité des contrats intelligents basés sur la blockchain. Une récente étude réalisée par le University College London (UCL) a d’ailleurs analysé près d’un million de contrats intelligents Ethereum et a estimé que plus de 30 000 d’entre eux étaient « vulnérables ». Les failles de sécurité sont donc une réelle préoccupation.
Les contrats intelligents posent également des problèmes d’ordre juridique. Aujourd’hui, dans la plupart des pays, un contrat est signé sur la base d’un accord implicite réputé de « bonne foi et de loyauté » — c’est-à-dire l’idée que les parties contractantes traiteront l’une avec l’autre de manière équitable et dans le respect de leurs avantages contractuels respectifs. Cependant, il faut encore définir la manière dont un accord automatique auto-exécutoire comme un contrat intelligent pourrait intégrer un principe juridique entièrement basé sur la confiance humaine.
De même, au stade actuel de leur développement, les contrats intelligents sont incapables de rendre compte de tous les possibles changements des différents paramètres relatifs aux circonstances entourant un contrat. Que faire si, par exemple, une des parties se sent lésée et veut annuler le contrat _a posteriori_ ? Jusqu’à présent, tous les signes indiquent qu’une intervention humaine est encore nécessaire, au moins en tant que solution de secours lorsque les choses tournent mal.
3. Un salaire en cryptomonnaie
Enfin et surtout, la technologie blockchain pourrait radicalement transformer la manière dont vous serez payé par votre employeur.
Aujourd’hui, pour les employés qui travaillent pour des entreprises internationales et qui sont souvent basés à l’étranger, le simple fait de recevoir un salaire chaque mois peut s’avérer un problème de taille. Les variations du taux de change des devises peuvent avoir un impact sur la valeur relative de leur salaire, et les virements bancaires internationaux sont réputés pour être très lents. Cette lenteur est principalement due au fait que, pour émettre un paiement, les banques et autres intermédiaires doivent procéder à toute une série de transactions et de vérifications administratives complexes, qui ralentissent considérablement le processus de paiement.
Dans un monde où le temps, c’est de l’argent, la technologie de la blockchain promet un moyen, pour les salariés, d’être payés plus rapidement, pour ne pas dire de manière instantanée.
Prenez par exemple Bitwage, une nouvelle plateforme de paiement qui combine la technologie blockchain avec des technologies mobiles et cloud, afin de faciliter les paiements internationaux. Elle utilise le Bitcoin - la cryptomonnaie la plus connue et la plus populaire - en guise de moyen de paiement indirect. En d’autres termes, en tant que salarié, vous êtes toujours payé dans votre devise locale, puisque Bitwage se charge de convertir les bitcoins dans celle-ci, éliminant ainsi le risque de perte de valeur.
Ou prenez Chronobank, qui se débarrasse tout simplement des intermédiaires en utilisant la technologie blockchain pour permettre aux paiements de passer directement de l’employeur à l’employé. Dans la même veine, la musicienne anglaise Imogen Heap a récemment fait parler d’elle en utilisant des contrats intelligents basés sur la technologie blockchain et Ethereum - une cryptomonnaie alternative au Bitcoin - pour être payée pour sa musique, ce qui lui a permis de rendre le contrat totalement public, juste et transparent, tout en se passant d’intermédiaires comme Spotify et Deezer. Bien que cette situation soit assez inhabituelle et audacieuse, elle laisse présager d’un avenir où les paiements seront individualisés.
Bien entendu, pour fonctionner, ces systèmes dépendent tous de l’acceptation d’une ou de plusieurs cryptomonnaies (comme Bitcoin) en tant que forme commune et établie de paiement - ce qu’elles ne sont pas actuellement. Mais cela n’enlève rien au fait qu’en accélérant radicalement le processus de paie, la technologie de la blockchain a d’ores et déjà fait la démonstration de son potentiel et de sa capacité à accélérer de manière drastique le processus de rémunération des salariés.
Blockchain et RH : au-delà de la disruption
Mais il ne faudrait pas pour autant réduire la blockchain à une simple technologie « disruptive » (capable de bouleverser un modèle d’entreprise traditionnel avec une solution moins coûteuse.) La blockchain est une technologie fondamentale qui peut potentiellement créer une infrastructure économique et sociale entièrement nouvelle. C’est la raison pour laquelle la complexité et les obstacles à son adoption sont colossaux. Ce qui signifie qu’il faudra probablement des décennies avant que la blockchain ne soit véritablement adoptée à grande échelle. Et ce en dépit du fait que ses avantages sont susceptibles de l’emporter sur les coûts de son adoption — mais uniquement sur le long terme.
En termes de RH, la blockchain est en train de modifier la nature même de certains de ses processus fondamentaux — du recrutement, à la sous-traitance en passant par les paiements. Grâce à la blockchain, la vie pourrait devenir nettement plus facile pour les chercheurs d’emploi, et pour les salariés. Cela dépend, bien entendu, de l’adoption à grande échelle de cette technologie par les entreprises, ce qui est toujours, à ce jour, considéré comme risqué. C’est la raison pour laquelle commencer par de petites applications à usage unique est une bonne idée pour tester la blockchain, avant de passer à l’étape supérieure.
Quoiqu’il en soit, quel que soit le contexte spécifique de son utilisation, il est plus que probable que la technologie blockchain va radicalement changer les règles du jeu.
La principale question n’est donc pas de savoir si mais quand.
Illustration : Marcel Singe
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