20 pays en 10 mois : le tour du monde de la joaillerie de Julie et Lorraine
16 janv. 2018
7min
Leurs études en joaillerie terminées, Julie Gau, 24 ans, et Lorraine Vinot, 26 ans, ne rêvaient que d’une chose : s’éloigner un temps de l’univers luxueux de la joaillerie parisienne pour découvrir le monde. Au fil de leur réflexion, une idée prend forme : pourquoi ne pas joindre l’utile à l’agréable en bâtissant leur voyage autour de leur passion commune pour le bijou ? Quelques mois plus tard, le projet « Jeworld » voit le jour, un itinéraire autour du monde pour découvrir les perles de l’artisanat local et un site Internet pour partager leurs aventures.
10 mois et 20 pays visités plus tard, elles reviennent sur cette expérience hors du commun pour Welcome to the Jungle.
Voyager pour prendre de la hauteur et éclaircir leur avenir
Julie et Lorraine se rencontrent durant leurs études à la Haute Ecole de Joaillerie de Paris (BJOP). Diplômées en 2016 d’un Brevet des Métiers d’Arts en Arts du bijou, les deux amies rêvent de dépaysement : « avec la joaillerie, on baigne dans un univers de luxe très parisien et nombriliste, j’avais besoin de me ressourcer », explique Lorraine.
« Avant l’école, on imagine que la joaillerie est un monde de rêve, on ne voit que les strass et les paillettes », Julie
Un projet de voyage qui naît aussi d’une envie de prendre le temps de réfléchir à leurs aspirations profondes, après quatre années d’études très intenses : « Avant l’école on imagine que la joaillerie est un monde de rêve, on ne voit que les strass et les paillettes. En arrivant dans le métier, on se rend compte que ce n’est absolument pas ça, c’est très difficile. Le plus dur pour moi a été de me confronter à un métier purement manuel, il n’y a pas de rapports humains lorsqu’on est derrière l’établi. C’est un métier magnifique, mais qui demande énormément de patience, de maîtrise de soi et d’amour du métal. Après mon diplôme, je n’étais pas sûre de vouloir continuer dans cette voie » raconte Julie.
Même doute pour d’autres raisons chez Lorraine, qui rêve pour sa part d’exercer une profession très manuelle mais qui déchante en découvrant que cette partie du métier tend à disparaître au profit des machines et imprimantes 3D qui effectuent une grande partie du travail.
La naissance du projet Jeworld
Au fil de leurs discussions, l’idée d’un grand voyage autour du monde fait son chemin et se mue peu à peu en un projet encore plus passionnant. En consultant des blogs, Lorraine découvre que beaucoup de voyageurs construisent leurs périples autour d’une thématique : l’opportunité d’approfondir une passion en parcourant le monde, de bénéficier d’un soutien financier grâce à des sponsors, et d’engager une communauté dans leur aventure.
« L’envie est née de parcourir la planète afin de parfaire notre connaissance du métier. Quoi de mieux que de prendre notre sac à dos pour aller à la découverte des matériaux et du savoir-faire étranger ? », Julie
Le projet séduit immédiatement le duo, qui voit là une opportunité de développer leur savoir en s’ouvrant à de nouveaux horizons, comme le raconte Julie : « _l’envie est née de parcourir la planète afin de parfaire notre connaissance du métier. Et pour assouvir notre curiosité, quoi de mieux que de prendre notre sac à dos pour aller de pays en pays à la découverte des matériaux et du savoir-faire étranger ? Dans le cadre de notre projet, nous souhaitions rencontrer des artisans bijoutiers et joailliers, guidés par le savoir-faire, la maîtrise des gestes, la connaissance des pierres et le respect des traditions. Autrement dit, nous voulions mettre en avant l’authenticité. _»
Avant de partir : définir le projet pour trouver des financements
Une fois le projet lancé, Lorraine et Julie se heurtent rapidement à la problématique du financement de leur voyage. Ne pouvant compter uniquement sur leurs propres deniers, les deux amies se lancent dans une “opération séduction” pour trouver des sponsors désireux de les soutenir dans leur aventure. Une étape cruciale qui les oblige à définir clairement les contours de leur projet, et à organiser précisément leur itinéraire pour prouver leur sérieux et leur engagement.
« On a monté le projet en détail, en offrant de partager notre expérience via notre site Internet et peut-être même plus tard à travers un livre. » confie Lorraine. Pari réussi puisque leur école choisit de les soutenir, mais également des bijouteries et des particuliers, couvrant ainsi la majorité des frais du voyage.
Pour élaborer leur itinéraire et atteindre au mieux leur objectif de découvrir l’artisanat local aux quatre coins du monde, Lorraine et Julie mobilisent tous leurs contacts et s’entourent d’experts : « Un professeur qui voyage énormément nous a beaucoup aidé à établir notre itinéraire. Nous lui avons demandé quels étaient les pays les plus intéressants au niveau du bijou. On a dû faire un choix tant il y avait de choses à voir, et on a défini tout notre itinéraire en amont, les billets étaient réservés plusieurs mois à l’avance. »
Au programme, une aventure qui leur fera traverser les six continents, de l’Europe à l’Océanie en passant par le Moyen-Orient, l’Afrique, l’Asie et l’Amérique du Sud.
Dix mois et demi autour du monde
« Avec la joaillerie, on baigne dans un univers de luxe très parisien et nombriliste, j’avais besoin de me ressourcer », Lorraine
Le 26 Septembre 2016, le coup d’envoi du projet Jeworld est lancé et le duo s’envole pour la Turquie où il découvre les bazars débordants de bijoux plaqués or d’Istanbul, les colliers en filigrane de Sehayan ou encore l’amulette du “mauvais oeil” en pâte de verre de Kamalpasa. Puis direction l’Iran, Le Liban et ainsi de suite.
Au total, plus de 20 pays seront parcourus par Lorraine et Julie, à la rencontre d’artisans qui leur ouvrent leurs ateliers et partagent leurs savoir-faire.
Si les pays de destination sont clairement établis dès le début, les détails du périple à chaque étape sont délibérément plus flous, permettant aux amies d’ajuster leur voyage en fonction de leurs rencontres sur place. « Nous avons fait pas mal de recherches en amont, et en parlant autour de nous donc nous avions beaucoup de contacts. Mais nous faisions aussi énormément de recherches sur place, on regardait les quartiers à visiter en arrivant, ou on demandait aux locaux au fil de nos balades. Globalement les gens nous ouvraient leurs portes facilement. »
Un choix qui se révèlera payant donc, même si Lorraine reconnait que cette organisation “au fil de l’eau” pouvait parfois s’avérer pesante: « le plus dur c’est le quotidien du voyage, on est constamment en train de déterminer dans quelle ville on va ensuite, le moyen de transport, les hébergements… On se pose ces questions en continu, mais on dédramatise aussi beaucoup, et finalement dans l’ensemble tout s’est très bien déroulé. »
Des savoir-faire uniques et une autre vision du métier
« La douceur des rapports humains, qui me manquait durant mes études, m’a permis de me réconcilier avec le métier durant ce voyage. », Julie
Des bijoux en peau d’autruche d’Afrique du Sud aux bagues en osier birmanes, difficile pour Lorraine de raconter sa plus belle découverte en terme de joaillerie tant les savoir-faire rencontrés se sont révélés riches et variés. « L’une des plus belles surprises pour nous deux a sans doute été Madagascar. C’est un petit bout de terre qui contient presque toutes les pierres du monde. On a pu visiter une exploitation de saphirs, ce qui est très rare. On a découvert les conditions de travail des mineurs, qui creusent tout à la pelle et font un travail extrêmement laborieux. C’est une vraie prise de conscience qui nous pousse à relativiser sur nos problématiques du quotidien. »
Au-delà de la découverte de la richesse des savoir-faire locaux, Julie et Lorraine retiendront surtout l’aspect humain et les belles rencontres provoquées par ce voyage. Grâce à cela, Julie voit peu à peu sa vision de la joaillerie changer : « La douceur des rapports humains, qui me manquait durant mes études, m’a permis de me réconcilier avec le métier durant ce voyage. J’ai compris que cet aspect était fondamental pour moi pour la suite de mon parcours. »
De retour en France, une expérience qui résonne au quotidien
Leur aventure terminée, Lorraine et Julie appréhendaient le retour en France : « On nous avait mis en garde sur la difficulté du retour, car quand tu rentres, rien n’a vraiment changé dans ton entourage, alors que toi tu as vécu quelque chose d’incroyable. » explique Julie. « Finalement, ça n’a pas été si compliqué car ce voyage m’a aussi fait prendre conscience que je voulais vivre en France. C’est un pays magnifique et pour la joaillerie, c’est un endroit idéal. J’ai adoré ce voyage, j’y pense tous les jours mais je n’en tire que du positif. Cela m’a bien-sûr aussi donné envie de continuer à explorer le monde ! »
« Prendre le temps et mettre de la distance avec ton quotidien te permet de te poser les bonnes questions », Julie
Si leur voyage s’inscrivait avant tout dans une démarche de découverte et de déconnexion sans objectif professionnel à court terme, les dix mois passés loin de chez elles ont également permis aux deux amies de voir leur avenir se dessiner plus précisément.
« Prendre le temps et mettre de la distance avec ton quotidien te permet de te poser les bonnes questions. Pendant le voyage, j’ai déposé une candidature dans une école pour faire de l’expertise d’art. J’ai été prise donc je savais ce qui m’attendait à mon retour » raconte Julie qui a depuis entrepris cette formation, riche d’une expérience qui l’accompagne au quotidien : « _C’est sur la partie gemmologie (l’étude des pierres ndlr) que j’ai le plus appris pendant ce voyage. On a fait des découvertes incroyables, qui m’aident au quotidien dans mes études. À terme, je souhaite travailler au département bijou d’une maison de vente, mais je sais que cette expérience m’accompagnera longtemps. _»
De son côté, ce voyage confirme Lorraine dans l’idée que le travail manuel est son désir profond, et qu’elle souhaite continuer à apprendre en entreprise : « _Pour ma part, je savais que je voulais acquérir des années d’expérience en entreprise, mais en rentrant je n’étais pas sûre de trouver une maison qui donne encore toute sa place au travail manuel. Finalement, j’ai réussi, je travaille depuis quelques mois chez un sous-traitant pour des Maisons de la Place Vendôme et je suis très heureuse. _»
« Les gens nous regardaient avec des étoiles dans les yeux et nous disaient “c’est génial ce que vous faites”. Je sais qu’ils se souviendront de nous et nous d’eux, si on revient avec un autre projet », Lorraine
En parallèle, Jeworld s’écrit toujours sur le site de Julie et Lorraine qui continuent de partager leur aventure. En attendant une suite, peut-être un jour… « Bien sûr on s’est dit que ce voyage nous donnerait peut-être une idée de business un jour. Le plus intéressant ce sont tous les contacts qu’on s’est fait a travers le monde. Les gens nous regardaient avec des étoiles dans les yeux, et nous disaient “c’est génial ce que vous faites”. Je sais qu’ils se souviendront de nous et nous d’eux, si on revient avec un autre projet. » Lorraine.
Le conseil de Julie à ceux qui seraient tentés par une telle aventure ?
« Il ne faut pas hésiter, il faut se lancer ! Et surtout, écouter son instinct pendant le voyage, c’est le meilleur conseil qu’on nous avait donné avant de partir, quand tu ne sais pas quoi faire ou si tu es dans une situation délicate, fais toi confiance ! »
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