Le jobbing, un bon moyen de cumuler les petits boulots à l'ère du digital ?
10 janv. 2019
5min
EL
Montage de meuble, débouchage d’évier express, dog-sitting, petites réparations, courses, ménage, jardinage, assistance informatique… Telles sont les tâches effectuées chaque jour par des milliers de “jobeurs” pour des particuliers en échange de quelques billets. Cette pratique d’échange de services autrefois circonscrite au voisinage se généralise avec les plateformes de mise en relation de particuliers. Enquête sur ce nouveau modèle né de l’économie collaborative et de l’ubérisation de la société.
Petit coup de main ou nouvelle modélisation du travail de demain ?
La promesse du jobbing
L’idée est assez simple : permettre à des particuliers de faire appel à des prestataires indépendants, via une plateforme, pour effectuer une micro-tâche contre rémunération. Le néologisme “jobeur” renvoie à des hommes ou des femmes dits “toutes mains”, à savoir amateurs, indépendants ou professionnels, en mesure de prêter main forte sur des missions de bricolage, d’artisanat, de service à la personne. Cette pratique gagnante-gagnante permet aux demandeurs d’éviter des dépenses exagérées sur de menues prestations et réparations et aux jobeurs d’arrondir leurs fins de mois grâce aux micro-services.
Une pratique qui a le vent en poupe
Depuis quelques temps, le phénomène prend de l’ampleur et les nouvelles plateformes de jobbing fleurissent. AlloVoisins, YoupiJob, Stootie, Frizbiz, Jemepropose, SuperMano, NeedHelp, Izi Solutions et bien d’autres mettent chaque jour en relation des milliers de particuliers pour assurer des tâches de plus en plus diversifiées. Les domaines concernés sont multiples (transport, logistique, bricolage, service à la personne…) et le marché du jobbing pèse désormais un poids notable : 48 milliards d’euros dans le monde selon Bertrand Tournier, cofondateur de YoupiJob. L’ubérisation de la société est bien en marche et on ne peut plus visible dans cette pratique qui court-circuite le marché de l’artisanat et du service à la personne. Les intermédiaires classiques (agences d’intérim et de services à la personne, artisans et petites entreprises) sont oubliés au profit de nombreuses offres en ligne qui savent répondre plus vite et plus simplement aux exigences de notre nouvelle économie à la demande. Cette tendance est le pendant de la démocratisation du haut débit, de la géolocalisation, des applications mobiles et de l’essor du travail freelance et des plateformes de mise en relation.
Du micro-service au job à plein temps
Ces dernières années, le nombre de plateformes a explosé et le jobbing tend à devenir un job à plein temps pour certains. Si la plupart des jobeurs n’ont ni statut ni contrat de travail, ils sont de plus en plus nombreux à pouvoir se dégager un revenu respectable par cette seule activité.Le fondateur de YoupiJobévoque « un panier moyen d’intervention par jobeur de 80€ » et la possibilité de s’offrir un vrai complément de revenu avec quatre ou cinq jobs par mois. D’autres jobeurs comme Serge qui témoigne dans uneinterview au Parisien.fr, parviennent à dégager un revenu de 1 500€ par mois. L’autre manifestation de la professionnalisation du jobbing ? Le recrutement ! Certaines plateformes, comme Supermano et Hellocasa, sont très sélectives et ne permettent pas à tout le monde de s’inscrire. Elles s’assurent d’un certain niveau de connaissance, mènent des entretiens téléphoniques, vérifient l’assurance professionnelle et valident la compétence des candidats.
Quel cadre pour le jobbing ?
Le rôle des plateformes
Les sites de jobbing se font les garants de la relation. Leur mission première est de faire le lien entre l’offre et la demande ; Ils ne contractualisent pas officiellement la prestation mais mettent en relation en toute sécurité et légalité les demandeurs et les prestataires, géolocalisent les jobeurs, les matchent avec un demandeur en s’appuyant sur des algorithmes et se rémunèrent en prenant une commission ou une marge de 10 à 30% sur chaque mise en relation. Ces frais de service incluent plus ou moins de choses d’une plateforme à l’autre : assurances, paiement en ligne, sécurisation des transactions (dépôt de l’argent avant la prestation et versement une fois l’opération effectuée), garanties diverses pour le jobeur ou l’usager (casse causée par les bricoleurs, blessures corporelles, prestations inachevées ou annulées…), assistance juridique en cas de litige… La plupart proposent également une garantie “satisfait ou refait” pour parer à une prestation mal exécutée.
Un contexte de travail encore flou et peu réglementé
Les plateformes jouent sur les mots et préfèrent parler de “coup de main” et de “mise en relation” plutôt que de travail pour ne pas éveiller la polémique sur le périmètre légal du jobbing. Pour autant, le jobbing se développe rapidement et tient lieu, pour certains (même si ce n’est pas la majorité) d’activité principale. Il y a fort à parier que l’essor de la pratique soulève très prochainement des questions. Qui encadre l’activité ? Est-il nécessaire d’avoir un statut pour être jobeur ? Doit-on fixer un montant minimum légal pour une prestation ? Pour l’heure, il y a autant de profils et statuts de jobeurs que de plateformes. Certains sites recommandent vivement de créer un statut auto-entrepreneur à partir d’un certain seuil de revenus annuels (1000€/mois), d’autres comme Merci pour Tout, BeeBoss ou Lulu dans ma rue vont plus loin et requièrent un numéro de Siret pour s’inscrire (soit le numéro qui atteste de l’existence légale d’une entreprise - société, micro-entreprise, régime auto-entrepreneur ou entreprise individuelle - et de sa domiciliation).
Vivre du jobbing, une option encore précaire
Une rémunération aléatoire
Pour séduire les particuliers demandeurs, les plateformes insistent sur les économies possibles par rapport à une prestation de services classique. Le fait de mobiliser des amateurs garantit aux demandeurs une prestation moins onéreuse que celle d’un artisan ou d’un professionnel. Les tarifs proposés seront indexés sur le profil des jobeurs et dépendront en grande partie de leur expérience et de leur cote sur le site. Pour une mission donnée, les prix peuvent donc varier du tout au tout sur une même plateforme ou d’un site à l’autre. Côté jobeur, il n’y a donc pas de salut ni de garantie de revenu sans évaluation positive sur ces sites. C’est la note et les commentaires qui créent la désirabilité du profil. Aussi, les novices ou jobeurs moins bien évalués sont contraints de baisser leurs tarifs, de se montrer très réactifs suite à la publication d’une annonce ou d’accepter des missions moins plébiscitées pour nourrir leur profil, recueillir des évaluations et commentaires. Les algorithmes poussent régulièrement en tête de liste les profils les plus actifs et les mieux notés. Cette logique d’évaluation pèse sur les jobeurs les moins expérimentés pour qui il est difficile de décrocher la première mission ; « Les jobeurs obtiennent leur premier client en moyenne un mois après leur inscription », précise Bertrand Tournier dans cet article de 20 Minutes. Les jobeurs peuvent également expérimenter d’autres formes d’insécurité ; clients qui arrivent en retard ou oublient un rendez-vous, frais cachés comme les coûts de parking ou l’investissement matériel nécessaire pour certaines prestations (perceuse, visseuse, petit matériel…). Ces manques à gagner et ces dépenses finissent par peser dans la balance et grignoter le revenu des jobeurs. Le travail à la tâche répond au besoin de flexibilité, d’agilité, de rapidité des uns quelquefois au détriment des autres.
L’inadéquation de l’offre et de la demande
Aujourd’hui, l’offre ne rencontre pas tout à fait la demande. Les tâches les plus recherchées ne sont pas les plus plébiscitées par des jobeurs davantage en quête de missions de ménage ou d’aide à la personne. Les missions de bricolage, plomberie, les travaux d’électricité ou de jardinage ont particulièrement la cote car elles sont très circonscrites et moins engageantes que des missions de baby-sitting, d’aide à domicile, d’assistant de vie ou de dog-sitting qui nécessitent des qualités relationnelles et humaines difficilement tangibles sur une plateforme. Aussi, la concurrence est rude pour les jobeurs peu qualifiés ou sans compétences techniques précises. Le levier pour tirer son épingle du jeu quand on n’a pas encore de commentaires positifs et que l’on n’est pas forcément bricoleur ? Être extrêmement réactif, accepter des missions très basiques et recueillir des premières recommandations clients pour étoffer sa carte de visite virtuelle !
L’explosion du jobbing est symptomatique du développement du travail indépendant. De plus en plus de personnes slashent, cumulent les jobs ou se mettent à leur compte pour arrondir leurs fin de mois ou inventer une façon de travailler qui leur ressemble et correspond mieux à leurs contraintes. Le jobbing interroge profondément le modèle social du travail. Quelle responsabilité doivent assumer les plateformes de mise en relation dans la structuration de leur activité et la protection de leurs jobeurs ? Peut-on enfin commencer à réfléchir à un code du travail ou un label pour les électrons libres et indépendants ?
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