Être travailleur transfrontalier : avantages et inconvénients
27 juin 2019
9min
AU
Ils font la navette entre le pays où ils habitent et celui où ils travaillent : nous avons interrogé des travailleurs transfrontaliers sur leur expérience en Suisse, en Allemagne et au Luxembourg.
Ni travailleur expatrié, ni travailleur détaché… Un statut à part
On considère comme travailleur transfrontalier une personne qui exerce une activité professionnelle, salariée ou non, dans un autre pays où elle se rend quotidiennement ou au moins une fois par semaine. Un statut est prévu pour le travailleur transfrontalier : pour en bénéficier, le domicile de ce dernier doit se situer dans la zone dite “frontalière”, soit à moins de 30 kilomètres de la frontière.
Si l’opportunité de travailler dans un pays tout en résidant en France paraît au premier abord séduisante, l’expérience peut présenter des avantages comme des inconvénients selon le pays où l’on exerce son activité. Il faut aussi être bien au clair sur les changements que cela comporte, en termes de droit du travail, de fiscalité et de salaire.
Pour commencer, il est important de savoir que la définition de la zone frontalière diffère en fonction des pays. Les pays concernés par le régime du travailleur transfrontalier pour la France sont l’Allemagne, la Suisse (à l’exception du canton de Genève), l’Italie et l’Espagne. La Belgique, quant à elle, n’en fait plus partie ; ainsi, les travailleurs frontaliers ne bénéficient plus du statut fiscal de “frontalier” et paient leurs impôts en Belgique.
« C’est une bonne situation ça, travailleur transfrontalier ? » : avantages et inconvénients du statut
Et si on parlait avantages financiers ?
Le bond salarial et l’enrichissement de l’expérience professionnelle sont les principaux avantages offerts par l’expérience transfrontalière. Il existe un potentiel d’attractivité pour le Luxembourg ou la Suisse par exemple, lié à une forte dépendance économique entre la France et ces deux pays.
Claire, qui vit à Annecy et travaille à Genève, occupe depuis quatre ans le poste de Senior SEA et Social media manager dans une agence média indépendante suisse : « L’avantage pécuniaire est un aspect à prendre en considération. Le frontalier bénéficie d’une rémunération à la hauteur du coût de la vie suisse tout en vivant sur le territoire français plus économique. Le gap des ressources des travailleurs frontaliers versus les travailleurs locaux (hors Suisse) est donc souvent important. »
En dehors du salaire, ce sont parfois les avantages annexes qui sont motivants :
Alessia vit en France et travaille au Luxembourg. Consultante en recrutement spécialisée dans la finance et la gouvernance d’entreprise, elle nous fait part de son expérience : « Les salaires sont clairement plus élevés au Luxembourg par rapport à la France (c’est le cas du SMIC), mais c’est surtout le package salarial qui fait la différence : le plus souvent, les entreprises proposent leasing de voiture, carte essence, chèques repas, plan de pension, assurance santé… »
Par ailleurs, le Luxembourg offre des opportunités à ceux qui y ont déjà eu une expérience professionnelle. « On a la possibilité d’évoluer rapidement au sein de l’entreprise dans laquelle on travaille et de retrouver un autre emploi très facilement à partir du moment où l’on a déjà une expérience significative au Luxembourg », explique Alessia.
Un faible taux de chômage et le recrutement de profils très qualifiés dans des secteurs à forte valeur ajoutée jouent aussi en la faveur des travailleurs transfrontaliers. « On bénéficie d’un fort pouvoir d’achat en étant transfrontalier au Luxembourg », poursuit-elle.
Néphélie a vécu à Mulhouse. Jeune diplômée en chimie analytique, elle a travaillé en Allemagne en tant que frontalière pendant deux ans en CDD en tant qu’’ingénieur R&D dans une entreprise américaine : « Le salaire est plus élevé quand on travaille en Allemagne, car on paie ses impôts en France (et non en Allemagne où ils sont un peu plus importants, surtout pour des célibataires sans enfants), de plus les salaires allemands sont plus élevés sur le type de poste que j’occupais. »
Une expérience bénéfique à plusieurs points de vue
L’opportunité d’apprendre ou de cultiver la pratique d’une langue étrangère :
« On peut améliorer son allemand ou son anglais – pour ma part, je travaillais en anglais – et faire l’expérience d’un autre mode de travail, de gestion, etc. » (Néphélie)L’apport d’une expérience interculturelle
« On baigne dans un environnement multiculturel : les langues parlées ici sont le luxembourgeois, l’anglais, l’allemand et le français grâce à la proximité de ces deux derniers pays. » (Alessia)L’accès à des avantages professionnels
« Le monde de l’entreprise en Suisse, bien qu’exigeant, reste encore un endroit où pour certaines sociétés l’humain est primordial. On fait du business, mais pas au détriment du bien-être des individus. On peut bénéficier d’avantages comme des semaines de vacances supplémentaires par rapport à la législation en place, la prise en charge complète du transport ainsi que des commodités comme la mise à disposition d’un confort dans l’espace de travail, la possibilité de travailler à distance. » (Claire)
Quelles difficultés peut-on rencontrer ?
Accepter une opportunité professionnelle dans une zone frontalière implique parfois de quitter sa famille, ses amis, et le fait de vivre et travailler dans deux pays différents nécessite de recréer de nouveaux liens : « L’aspect social de la vie du travailleur frontalier peut être très perturbé. En effet, les gens qui comme moi se sont implantés dans la région frontalière en raison d’une opportunité professionnelle n’ont souvent pas de liens familiaux et sociaux dans la ville de résidence. Il leur faut donc reconstruire un réseau social. » (Claire) Sur le plan personnel, les travailleurs qui habitent déjà à proximité d’un pays frontalier ou ceux qui partent avec leur conjoint sont moins isolés.
Les temps de transport jouent sur l’équilibre entre vie personnelle et professionnelle :
« Au Luxembourg, les bus sont nombreux, à l’heure et bien desservis en comparaison des transports côté français avec la SNCF. Si on se déplace en voiture, il y a des bouchons aux heures de pointe. »
Alessia confirme : « La “work-life balance” est compliquée à trouver en fonction des horaires de travail et ceux des transports. Pour certains postes très demandés, un esprit de concurrence peut entraîner une compétitivité. »
Quels pays sont les plus favorables aux Français ?
En Europe, les pays ont de plus en plus tendance à adopter la politique de la préférence nationale et à recruter des travailleurs sur leur territoire, mais les témoignages concordent sur un point : l’expérience et le profil comptent davantage que le reste. Certains pays ont en outre des besoins spécifiques qui ne peuvent pas forcément être pourvus par des locaux.
La Suisse
Avec une politique de restriction à l’immigration, les entreprises suisses ont tendance à recruter davantage des locaux. Les recrutements extérieurs se font de préférence sur des métiers en tension mais à choisir la Suisse donnera la priorité à un profil suisse plutôt qu’à un étranger pour un poste équivalent.
« En raison d’une volonté affirmée de recruter “local”, il est compliqué de proposer des profils frontaliers aux entreprises. Il faut que ces recrutements externes répondent à certains critères et notamment être justifiés par le fait que les compétences n’existent pas chez un travailleur local. Certains secteurs comme l’horlogerie ou l’économie numérique sont très accessibles pour les travailleurs frontaliers, mais la Suisse accélère la mise en place de structures pour que les employés suisses se forment. Cependant, certains secteurs n’auront jamais suffisamment de travailleurs locaux et auront toujours besoin d’aller recruter à l’extérieur », explique Claire.
L’Allemagne
Grâce à une dynamique de coopération transfrontalière franco-allemande et de nombreux projets dans différents secteurs d’activité en zone frontalière, le marché offre des opportunités aux travailleurs dans de nombreux secteurs : tourisme, santé, développement économique, aménagement, planification…
« Je crois que le secteur scientifique en général accueille un grand nombre de travailleurs transfrontaliers,, mais tout dépend des recruteurs, et parler allemand est un gros plus. Je ne pense pas que les recruteurs recherchent des Français spécifiquement car ils s’intéressent avant tout au profil des candidats », déclare Néphélie.
Le Luxembourg
En affichant le PIB le plus élevé de l’Union européenne, le Luxembourg sourit aux Français et certains secteurs sont de plus gros pourvoyeurs d’emplois. « Les Français sont recrutés dans différentes branches d’activités et métiers, mais principalement dans la finance et l’informatique », indique ainsi Alessia.
Un statut qui varie d’un pays frontalier à l’autre
Le droit du travail
Selon le principe de territorialité, le travailleur transfrontalier est soumis au droit qui s’applique à son lieu de travail tel qu’il est indiqué dans son contrat de travail.
Si un salarié transfrontalier perd son emploi, il est en principe indemnisé par son pays de résidence. Dans le cas où il habite en France, il a donc les mêmes droits que ses compatriotes ; le pays où travaille le salarié rembourse à la France une partie des allocations chômage versées.
Cependant, l’Union européenne (Commission européenne, Conseil et Parlement) a adopté en mars dernier une réforme du chômage : en 2021, le travailleur transfrontalier qui a perdu son emploi sera indemnisé par le pays où il travaillait. Désormais, c’est au pays dans lequel s’est effectué le dernier emploi de prendre en charge et d’indemniser le salarié, selon sa législation et sans aide financière du pays de résidence. L’objectif ? Réduire le déficit chronique de l’assurance chômage française et réaliser de grosses économies.
Pour le moment, la Suisse (qui compte la majorité des travailleurs transfrontaliers français) ne fera pas partie de l’accord. Le Luxembourg, quant à lui, n’appliquera l’accord qu’à partir de 2026, le temps de s’organiser face à la surcharge administrative qui s’annonce.
En Suisse, le travailleur transfrontalier doit se faire délivrer un permis de travail par les autorités suisses si son activité professionnelle dure plus de trois mois.
Les droits au chômage sont les mêmes pour tous les travailleurs, qu’ils soient suisses ou étrangers. Si le travailleur qui vit en France se retrouve au chômage total, il bénéficie des prestations chômage françaises. Si c’est un chômage partiel, l’employeur effectue les démarches auprès des administrations suisses.
En Allemagne : les travailleurs français cotisants n’ont pas besoin de carte de séjour, ni d’un permis de travail pour exercer sur le sol allemand tout en résidant en France.
Au Luxembourg, c’est le droit du travail du pays qui régit l’établissement du contrat, les conditions de travail et la fin du contrat.
La couverture sociale
Travailler dans un pays frontalier et résider en France donne droit aux soins de santé des deux côtés de la frontière. Il est donc possible pour le travailleur de conserver sa couverture sociale française, tout en étant rattaché au régime de base du pays de son lieu de travail. Dans ce cas, le travailleur détient deux cartes de Sécurité sociale. Il peut ainsi bénéficier du remboursement de ses soins de santé effectués aussi bien dans le pays d’emploi qu’en France.
De son côté, l’employeur prend en charge sa part de charges sociales pour le compte de son employé, dans le pays où est située l’entreprise.
En Suisse, on peut exercer ce qu’on appelle un droit d’option entre l’assurance maladie du pays et l’assurance maladie française, dans un délai de trois mois à compter du début du contrat en Suisse ou de la domiciliation en France. Ensuite, le travailleur est obligatoirement affilié auprès de l’assurance maladie suisse
En Allemagne, on est automatiquement affilié à l’assurance maladie du pays et on cotise auprès d’une caisse publique ou privée selon son niveau de revenu. Les cotisations sont directement prélevées sur le salaire des frontaliers et l’entreprise les verse à la Sécurité sociale. L’assurance maladie allemande se divise en deux régimes : un régime général et un régime privé. Il faut bien en examiner toutes les conditions en termes de garanties et de prise en charge, pour effectuer le meilleur choix.
Au Luxembourg, on est considéré comme frontalier dès lors qu’on travaille dans le pays et qu’on rentre chaque jour ou une fois par semaine en France. On est alors affilié au régime de santé du pays où l’on travaille. Pour continuer à bénéficier des soins en France, on doit s’adresser à la CPAM et choisir une prise en charge dans l’un ou l’autre des deux pays (ce qui ne signifie pas un double remboursement en cas de soins !).
La fiscalité
Lorsqu’un travailleur se déplace dans un autre pays pour y travailler, les deux États ont le droit d’exercer l’imposition de son revenu selon la législation. Il existe donc un risque de double imposition.
Il existe trois types de régimes :
- une imposition du travailleur frontalier dans l’État de résidence ;
- une imposition dans l’État du lieu de travail ;
- une double imposition limitée par un seuil.
En Suisse, chaque canton décide de sa fiscalité, et on peut s’acquitter de l’impôt en Suisse ou en France. Le régime fiscal a un fonctionnement différent dans chacun des pays. En France, il n’y a pas de délimitation. Côté Suisse, des règles d’imposition communes s’appliquent aux cantons suivants : Berne, Soleure, Bâle-Ville, Bâle-Campagne, Vaud, Valais, Neuchâtel et le Jura. Le canton de Genève, quant à lui, fait l’objet d’une législation fiscale à part.
En Allemagne, une convention fiscale signée avec la France fixe le principe de paiement de l’impôt sur le revenu dans le pays où s’exerce l’activité professionnelle. Les salariés transfrontaliers peuvent néanmoins continuer à payer leurs impôts en France et se faire exonérer en Allemagne, grâce aux traités bilatéraux qui évitent une double imposition. Il faut pour cela demander le statut de frontalier fiscal à la direction des impôts.
Le Luxembourg impose un système d’exonération : les travailleurs français rémunérés au Luxembourg sont imposables dans leur pays d’origine, et non dans le pays où ils travaillent. Néanmoins, depuis le 14 février 2019, une convention fiscale franco-luxembourgeoise prévoit que le travailleur français sera dans l’obligation de cotiser non seulement au Luxembourg, mais aussi en France. Pour le moment, la convention n’est pas appliquée car le Parlement luxembourgeois ne s’est pas encore positionné.
Le statut de transfrontalier présente des avantages – en permettant par exemple d’acquérir une expérience professionnelle à l’étranger tout en conservant des liens avec son pays d’origine. À condition de bien se renseigner sur la législation propre à chaque pays, il semble que les salaires – et autres avantages financiers – ainsi qu’un taux de chômage faible soient des atouts non négligeables pour les travailleurs transfrontaliers, sans compter les apports d’un environnement multiculturel ! À vous de bien évaluer en amont l’opportunité d’une telle expérience en cohérence avec votre parcours, votre projet, vos envies et vos contraintes personnelles. N’hésitez pas à recueillir un maximum d’informations et à vous mettre en contact avec des personnes ayant vécu la même expérience pour être certain de faire le bon choix.
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