« Le moteur, c’est la curiosité » Adrien Aumont, fondateur de KissKissBankBank
06 avr. 2018
5min
SO
Journaliste - rédactrice
KissKissBankBank est la première plateforme de financement participatif en Europe. Derrière ce succès, Adrien Aumont, un « entreprenant » qui décide en 2010 de monter sa boîte en famille autour de la passion commune de ces trois co-fondateurs, la musique. Retour sur une histoire singulière partagée en toute simplicité.
Quel a été ton parcours ?
Adrien: J’ai un parcours atypique. J’ai arrêté l’école à 14 ans et demi, (je précise car quand on est ado, c’est important les demis), non pas par choix mais plutôt à cause de mes résultats catastrophiques. Ensuite, j’ai voulu faire du cinéma et ça tombait bien car c’est un milieu où l’on a pas besoin de diplôme. À 16 ans, je me suis donc fait émancipé et j’ai monté une boîte de production pour produire mes courts métrages. Ensuite, j’ai été assistant de Thierry Ardisson puis freelance dans une petite agence de pub’. À cette époque, j’arrivais très tard au bureau et pour m’excuser je disais : « Je suis désolé, j’étais chez TBWA ce matin, je me suis trompé d’agence. » Tous les jours, j’inventais une autre agence. J’ai fini par me faire virer, tant mieux car je n’étais pas heureux.
Adrien Aumont - KissKissBankBank
Comment est née l’idée de KissKissBankBank ?
Lors d’un déjeuner avec Ombline Le Lasseur, ma cousine. À cette époque, le marché de la musique souffrait terriblement. Les ventes s’effondraient mais paradoxalement les gens écoutaient de plus en plus de musique, grâce au peer-to-peer notamment. Elle m’a dit « Et si c’était les fans qui finançaient leurs artistes préférés ? ». Le soir même, Ombline m’appelait pour me proposer de développer son idée à trois avec Vincent Ricordeau, son mari. À ce moment-là, nous étions tous les trois salariés alors pendant deux ans, on s’est retrouvé le soir et le week-end pour écrire ce projet. On sentait que c’était le bon moment et on avait surtout très envie de créer quelque chose ensemble, sans se poser trop de questions.
On sentait que c’était le bon moment et on avait surtout très envie de créer quelque chose ensemble, sans se poser trop de questions.
Quelles ont été les premières difficultés ?
Bien définir le concept d’abord. C’est facile de se définir par rapport aux autres, à tes concurrents, mais quand tu es tout seul c’est beaucoup plus dur. Aux Etats-Unis, le financement participatif émergeait mais le mot « crowdfunding » n’existait pas encore. Créer quelque chose qui n’existe pas, ça entraîne également de grosses difficultés au niveau juridique. Trouver une banque qui accepte de te suivre alors que ton projet ne rentre dans aucun cadre légal, c’est pas évident. KissKissBankBank est une aventure singulière car on n’a pas seulement créé une boîte, on a créé un marché, une nouvelle manière de consommer. C’est ce qui rendait le truc passionnant !
Quelles ont été tes inspirations ?
Le cinéma bien-sûr. KissKissBankBank fait d’ailleurs allusion au film de 2005 KissKissBangBang. Je pense aussi à John Cassavetes qui a financé son film Shadows en 1958 en faisant appel à la générosité des auditeurs d’une radio locale : « Si vous voulez enfin voir un film qui vous ressemble, envoyez 1$ ». Et à Werner Herzog qui encourageait tout le monde à réaliser le film de ses rêves, « à n’importe quelles conditions », quitte à voler caméra et pellicule. J’aime ce cinéma fait à l’arrache avec les moyens du bord. J’aime le fait de ne demander l’autorisation à personne. Le crowdfunding c’est ça, c’est une alternative, ça redistribue les cartes.
J’aime le fait de ne demander l’autorisation à personne. Le crowdfunding c’est ça, c’est une alternative, ça redistribue les cartes.
C’est quoi être entrepreneur pour toi ?
Entrepreneur, c’était pas une vocation. J’ai toujours créé mes jobs car il n’y avait personne pour m’en donner. Je ne me définis pas comme un entrepreneur mais comme un entreprenant. Le mot qui me caractérise c’est faire, j’ai besoin de faire, ça fait partie de moi. Entreprendre, c’est dans ma personnalité. D’ailleurs pour moi ça ne se limite pas au business. Etre entreprenant c’est aider un pote à trouver une solution, c’est soutenir un projet, c’est créer, c’est savoir se mettre en difficulté aussi.
KissKissBankBank
C’est quoi ton métier chez KissKissBankBank ?
C’est recruter des gens passionnés, leur transmettre ce que je sais et leur donner envie d’accompagner nos porteurs de projet avec la même passion que celle que j’avais. J’ai adoré pouvoir rencontrer un pêcheur le matin, un musicien l’après-midi et un entrepreneur le soir. Aujourd’hui, j’ai passé le relais à mes équipes mais il m’arrive encore de squatter des réunions avec les projets qui m’intéressent !
KissKissBankBank a 8 ans déjà ! C’est quoi ton moteur ?
Le moteur c’est la curiosité. La curiosité ça amène la passion et la passion c’est ce qui te permet de travailler à fond. Chez KissKissBankBank, on est 70 et j’apprends des 69 autres en permanence. Et puis il y a tous nos projets évidemment. C’est une chance, dans le climat morose dans lequel on vit d’être en contact avec ceux qui font avec le sourire. Cette boîte m’a d’ailleurs profondément changé au niveau personnel. J’ai compris qu’aider les gens c’est également apprendre. Encore aujourd’hui, prendre des petits-déj’ avec des porteurs de projets, ça me fait kiffer ! C’est toujours bien d’être généreux.
Le moteur c’est la curiosité. La curiosité ça amène la passion et la passion c’est ce qui te permet de travailler à fond.
Justement, quand on voit des centaines de projets toute la journée, on pas envie d’en rejoindre certains ?
Tout le temps sauf que j’ai toujours eu la sensation que j’étais à ma place chez KissKissBankBank. J’adore aider les autres, j’aime voir beaucoup de choses différentes et cette curiosité c’est ici que je peux la développer. Ce n’est pas dans mon tempérament d’être concentré sur un seul sujet. Mon plaisir c’est de papillonner à travers tous nos projets et de continuer à les accompagner du mieux que je peux.
C’est avec cette volonté que vous avez ouvert la maison KissKissBankBank ?
Oui, ça fait un an et demi qu’elle existe mais on a cette idée depuis 5 ans. C’est né de l’envie d’incarner ce qui se passe sur notre plateforme en ligne et de faire se rencontrer notre communauté. Au départ, l’idée de KissKissBankBank était très pragmatique : aider les musiciens à se financer. Et puis au fil du temps, on a dépassé ça pour créer un vrai esprit collaboratif. On est dans une époque de mutation. Faire échanger les gens entre eux, c’est important en ce moment. KissKissBankBank, aujourd’hui, c’est une machine à générer du lien social, de la solidarité. C’est pour ça que je me lève le matin.
Quels profils recrutez-vous ?
On a du créer nos métiers donc au début on a beaucoup recruté par cooptation. On aime les gens passionnés avec beaucoup d’énergie. On recrute des chics types et des chics nanas car c’est facile de faire monter en compétence quelqu’un de bien, bien plus facile que de changer “un con”. Aujourd’hui on veut continuer à travailler avec des gens biens qui ont les compétences qu’il nous manque. On cherche des gens qui nous permettent d’être meilleurs, d’imaginer plein de projets et de faire de KissKissBankBank, le super observatoire de la créativité et de l’entreprenariat.
On cherche des gens qui nous permettent d’être meilleurs, d’imaginer plein de projets et de faire de KissKissBankBank, le super observatoire de la créativité et de l’entreprenariat.
Un dernier conseil à ceux qui auraient envie de se lancer ?
C’est d’être curieux, de travailler beaucoup et d’être passionné. Ce qui fait la différence, c’est pas l’idée, c’est ce que tu as au fond de toi. C’est ça être entreprenant, c’est un tempérament !
Photos by WTTJ
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