Retour sur l'aventure entrepreneuriale de Gallia Paris, la brasserie parisienne
05 janv. 2018
6min
« Il fallait partir du principe que cette idée, plein de gens l’avaient au même moment. »
Après avoir fait la tournée des bars pendant leurs études, Jacques et Guillaume se sont retrouvés une fois de plus autour d’une bonne bière. Quelques mois plus tard, en 2009, ils s’associaient pour fonder Gallia et redonner vie à l’une des plus anciennes bières parisiennes.
Où avez-vous grandi et comment vous êtes-vous rencontrés ?
Jacques : Je viens de Picardie, j’ai grandi dans une famille d’agriculteurs. J’y suis resté jusqu’à mon départ pour Caen où je suis allé faire mes études.
Guillaume : Moi je viens de Normandie. J’ai vécu 5 ans à Londres quand j’étais plus jeune puis on est revenus en France vivre dans le Sud-Ouest. Avec Jacques, on s’est rencontrés à Caen en école de commerce, on était dans la même promo’. Ça fait plus de 12 ans qu’on se connaît.
« Quand on est entrés dans la vie active on s’est vite rendu compte qu’on avait envie de créer notre propre emploi. »
Quelles étaient vos ambitions ?
J : Franchement, l’école de commerce ce n’était vraiment pas pour réaliser un rêve. On l’a fait parce que ça offrait beaucoup d’opportunités et de possibilités. Quand tu ne sais pas trop quoi faire il vaut mieux avoir un maximum de bagages. Ça ne m’a pas vraiment permis de trouver une vocation mais ça a créé un état d’esprit.
G : À l’époque, on nous formait surtout à travailler pour des grosses boîtes, ce qui n’est pas forcément le cas aujourd’hui où on explique aux jeunes qu’il est aussi possible de monter sa propre entreprise et de vivre de sa passion… Finalement, quand on est entrés dans la vie active on s’est vite rendu compte qu’on avait envie de créer notre propre emploi.
Qu’avez-vous fait après avoir eu votre diplôme ?
G : En sortant de l’école j’ai été commercial dans plusieurs start-up en Russie et au Moyen-Orient, ça m’a permis de voyager. Puis j’ai eu envie de développer un projet concret, je voulais créer quelque chose. Je suis donc rentré en Normandie et j’ai ouvert un petit café. On proposait des bières de spécialité, on avait fait une sélection de bières belges et locales…
J : Pour ma part, j’ai travaillé dans le marketing. J’ai passé trois ans en agence. J’étais très content de faire ça mais j’avais du mal avec le statut de salarié, j’avais envie de créer mon job.
Comment s’est concrétisé votre projet autour de la bière ?
G : Dans mon café du fin fond de la Normandie, j’avais une vie sociale assez limitée et je commençais à me lasser. Je me suis dit que ça pourrait être sympa de monter un projet autour de la bière à Paris. C’est à ce moment-là que je me suis rappelé que Jacques avait déjà travaillé là-dessus pour son mémoire de fin d’études. On en a discuté et on s’est rendu compte que les bières de spécialité étaient en fort développement en France. Donc on a commencé à travailler chacun de notre côté sur une étude de marché et un business plan.
J : Il fallait partir du principe que cette idée, plein de gens l’avait au même moment. On s’est dit « C’est parti ! On le fait ». Guillaume a vendu son café en Normandie et m’a rejoint à Paris. De mon côté j’ai négocié un départ à l’amiable que j’ai obtenu au bout de six mois.
« Il fallait partir du principe que cette idée, plein de gens l’avait au même moment. »
Pourquoi avoir choisi de développer une bière spécifiquement parisienne ?
G : Ça nous paraissait étonnant que Paris n’ait pas sa propre bière et en faisant des recherches on s’est rendu compte qu’il avait existé une vieille marque de bière parisienne, Gallia. À une époque c’était la plus grande brasserie de Paris. Après sa disparition, la marque était passée dans le domaine public, donc on a pu la déposer et se lancer plus concrètement. On a d’ailleurs rencontré l’un des descendants de la brasserie qui était ravi qu’on relance la marque et qui nous a encouragé à le faire.
Vous aviez déjà des connaissances en fabrication de bière ?
J : Non, on a juste fait une formation de brasseur dans le Nord, dans un lycée agricole, et on a visité plus d’une dizaine de brasseries pour se familiariser avec le produit. On a aussi rencontré énormément d’acteurs du milieu.
« On a toujours eu comme objectif de monter notre propre brasserie à Paris en 2015. »
Vous avez vous-mêmes fabriqué votre première bière ?
G : On a mis au point la recette mais on a commencé par travailler avec un partenaire-brasseur car on n’avait pas les moyens d’investir dans une unité de production. Ça nous permettait d’avoir tout le matériel de cuverie et une garantie de qualité. Par contre, on a toujours eu comme objectif de monter notre propre brasserie à Paris en 2015. C’est une promesse que l’on écrivait même sur nos bouteilles…
Comment avez-vous financé l’achat de vos premières bières ?
G : Au départ, on a mis 1 000 euros chacun et nos familles ont participé au pot commun. On a aussi eu une aide de Paris Initiatives Entreprises et au final on a démarré avec un budget de 30 000 euros. Ça nous a permis d’acheter nos premières bières et de pouvoir lancer l’activité.
J : Au début on travaillait dans mon appart à Montparnasse, sur la table du salon avec nos deux ordis, en mode start-up. On a fait ça pendant un an. Ensuite on était chez Guillaume où on stockait aussi les bières. Et on partait dans les rues de Paris avec une plaquette et on allait dans les bars proposer notre produit.
Comment avez-vous été accueillis ?
G : On était bien accueillis, par contre on a appris sur le terrain que beaucoup de bars étaient bloqués contractuellement avec des distributeurs et que le marché était organisé d’une certaine façon qui rendait l’accès aux bars plutôt compliqué. On s’est vite rendu compte que la seule façon de nous démarquer serait de faire en sorte que les consommateurs réclament notre bière et plus particulièrement de la « Craft Beer » (bière artisanale) pour faire « pencher » le marché. C’est ce qui s’est passé en trois ans, grâce aussi à l’arrivée de tous nos concurrents, on était plus tout seuls à essayer de défoncer des portes…
« On s’est vite rendu compte que la seule façon de nous démarquer serait de faire en sorte que les consommateurs réclament notre bière et plus particulièrement de la “Craft Beer”. »
Comment le projet a t-il évolué par la suite ?
G : Ça s’est fait petit à petit. On ne venait ni du monde de la brasserie, ni du café parisien et on n’avait jamais monté de boîte donc on avait énormément de choses à apprendre. On s’est vraiment formé sur le terrain en allant à la rencontre des gens et en apprenant à connaître notre marché. Après avoir travaillé chez nous, on s’est installés dans des locaux avec les équipes de Kalios, Borderline et Lemon Tri. Au bout d’un an et demi, on a déménagé à Pantin dans un local de 500 m2. Ensuite on a fait entrer Simon, notre brasseur qui a tout pris en main et a développé son atelier de recherche et développement pour créer de nouvelles recettes. Puis on a enfin pu investir dans notre brasserie ! De manière générale, c’est vraiment la mouvance et le développement de la bière artisanale qui ont fait évoluer la marque. Comme on travaillait déjà sur le projet depuis deux ou trois ans, quand ça a explosé on était prêts.
Vous avez inauguré votre brasserie à Pantin en 2017, c’était une étape importante pour vous ?
J : Oui, ça a pris deux ans, parce qu’on voulait vraiment être proches de Paris pour être cohérents avec notre produit. Et ensuite, il fallait pouvoir lever des fonds (1,2 million d’euros) pour les travaux et l’achat de matériel. On est contents d’avoir attendu pour le faire. On dort la nuit car on a déjà fait nos preuves, notre business tourne et on est capables d’amortir ce matériel. L’été 2017 a aussi été marqué par une étape importante, celle de l’ouverture de notre bar/ tap-room. C’est un lieu de vie et de rencontres des curieux et des amateurs de bière mais aussi de culture puisqu’on propose du mercredi au dimanche des événements très éclectiques.
« On dort la nuit car on a déjà fait nos preuves, notre business tourne et on est capables d’amortir ce matériel. »
Aujourd’hui, qui sont vos concurrents ?
Nos concurrents premiers sont les industriels qui ont été pendant de longues années responsables de la monotonie alimentaire et de l’affadissement du goût. Notre mission est donc de reconquérir le palais des buveurs en leur faisant découvrir des styles de bières très différents. Aux États-Unis, le marché global des micro-brasseries représente 16% des ventes de bières, en France on est à environ 3%. Ce n’est donc que le début de la conquête !
Comment avez-vous vécu ces dernières années ?
G : Ça a été dur – notamment financièrement – mais on y a toujours cru parce qu’on savait que ça allait marcher. On était juste super frustrés par l’organisation bien installée de la distribution de la bière à Paris alors qu’il y avait une demande des consommateurs. Mais c’est passionnant de venir perturber un marché très assis ! On va avoir plein d’autres concurrents mais tant que les gens consomment autre chose que de la bière industrielle…
Quels sont vos projets pour la suite ?
G : On a en a plein ! De nouveaux fermenteurs, de nouvelles barriques pour faire du vieillissement, de nouvelles recettes, et un tas de festivals ! Mais aussi un énorme chantier au bar qui est aujourd’hui plutôt en mode biergarten. L’idée est donc de passer à une architecture plus pérenne et de concevoir une nouvelle scénographie du lieu.
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Photos by Romain Kuhn pour Encore
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