Leur éco-anxiété a changé leurs perspectives professionnelles. Témoignages
03 févr. 2023
9min
Journaliste - Welcome to the Jungle
De nos jours, près d’un jeune sur deux se dit atteint d’éco-anxiété, selon une étude parue dans The Lancet Planetary Health. Ce trouble anxieux -caractérisé par un mal-être et un besoin de se responsabiliser face au changement climatique-, affecterait les jeunes dans leur capacité à se projeter et compliquerait leur choix de carrière. Mais pour Léna, Hadrien, Gabriel, Marie et Johan, l’engagement reste la meilleure parade face à l’éco-anxiété. Ils nous expliquent pourquoi.
Léna Lazare, 24 ans, reprendre possession de la terre pour inventer un modèle plus vertueux
L’engagement de Léna Lazare remonte à la petite enfance. Plus de vingt ans après les faits, elle se souvient encore de ce jour où ses parents lui ont parlé pour la première fois de l’effondrement de la biodiversité, pendant une balade en forêt. Ils n’ont peut-être pas utilisé ces mots-là, difficilement compréhensibles pour une enfant de trois ans, mais elle se rappelle avoir été traversée d’un sentiment de tristesse infinie quand elle a compris que les liens qu’elle avait tissés avec les autres êtres vivants étaient menacés. « J’avais déjà envie de faire des choses, mais j’étais trop jeune et je ne savais pas comment m’y prendre », semble-t-elle dire comme un aveu de faiblesse. La deuxième rupture a lieu en classe de 4eme, quand l’adolescente découvre les images de la catastrophe nucléaire de Fukushima, le 11 mars 2011. Fan de culture japonaise, elle comprend très vite que cet accident aurait pu être évité si la centrale n’avait pas été construite si près de la mer et qu’elle avait été mieux entretenue : « Cet événement a politisé ma vision de l’écologie. À partir de ce moment-là, les petits gestes ne suffisaient plus. »
Depuis, la jeune femme de 24 ans se donne corps et âme dans le soutien de la cause climatique. Son parcours à l’université en témoigne : inscrite à la fac de Jussieu pour suivre un cursus en physique et mathématiques avec l’idée de devenir chercheuse, elle s’éloigne rapidement des amphis pour mener des actions avec diverses associations. Elle rejoint Les universitaires planteurs d’alternatives (LUPA) - un groupe qui rassemble des étudiants, des chercheurs et des professeurs -, avec qui elle crée une Amap (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne) sur son campus et participe à l’écriture d’un plaidoyer en faveur d’un tronc commun d’enseignements en écologie. Elle passe ensuite du temps sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes où elle rencontre des paysans qui proposent des alternatives au système capitaliste, basées sur le don et l’entraide, qui la motivent à mener des actions encore plus radicales. Inspirée par cette expérience et les initiatives menées par d’autres militants européens, elle cofonde Désobéissance Écolo Paris, un collectif interfac à l’initiative des grèves scolaires dans la capitale.
« Je suis passionnée par les sciences théoriques, mais j’ai du mal à croire à la création de nouvelles technologies qui pourraient nous sauver », Léna Lazare, 24 ans.
En 2019, le mécontentement social et politique monte d’un cran. Dans un contexte de crise de la représentativité politique, marquée par le mouvement des gilets jaunes et les grèves pour le climat, elle participe à la création de Youth for Climate, dont elle devient la porte-parole. « C’était un moment d’émulation collective, on croyait qu’on pouvait changer les choses, malheureusement, je me suis rendue compte que les personnes qui avaient le pouvoir n’avaient pas les connaissances, ni l’envie de changer. Nos intérêts divergeaient beaucoup trop. » Voyant que ses actions ne font pas bouger les lignes, elle est de plus en plus touchée par l’éco-anxiété, jusqu’à faire des crises d’angoisse dans des supermarchés, à la vue de fruits et légumes emballés dans du plastique jetable. La jeune femme décide de prendre du recul en voyageant pendant un an et de se réorienter dans la paysannerie.
« Je suis passionnée par les sciences théoriques, mais j’ai du mal à croire à la création de nouvelles technologies qui pourraient nous sauver, explique-t-elle. Mais aussi, comme je m’intéresse depuis longtemps à la question de l’autonomie, ce qui est intimement lié à la réappropriation de nos moyens de subsistance, il fallait que je me lance dans la paysannerie. » Diplômée de l’école d’horticulture de Paris en maraîchage, elle pense bientôt monter une ferme avec d’autres jeunes agriculteurs qui ont également à cœur de mêler travail de la terre et justice sociale. « Aujourd’hui, le but, c’est de trouver un système qui nous permettrait de vendre des produits rares à des restaurants gastronomiques pour se dégager des marges et proposer des paniers bio et solidaires à prix libres pour les plus nécessiteux », explique-t-elle. Un travail de la terre au long cours qui lui donnerait plus de temps pour militer à côté. Justement, depuis deux ans, son nouveau cheval de bataille : les méga-bassines, des réservoirs d’eau artificiels, plastifiés qui servent à alimenter des productions trop gourmandes en eau. Elle a du flair.
Johan Reboul, 23 ans, l’humour pour sensibiliser le plus grand nombre
Quand il tombe par hasard sur le hashtag #NutellaTueLesOrangsOutans sur Twitter, le lycéen qui collectionne les pots de 5 kg de pâte à tartiner déchante totalement : « Je ne comprenais pas le rapport, puis j’ai découvert les ravages de l’huile de palme qui était la première cause de déforestation en Indonésie et en Malaisie. » Du jour au lendemain, l’adolescent de 16 ans supprime toute l’huile de palme de son alimentation, se renseigne avec des associations implantées sur le terrain et lance deux pétitions sur Change.org contre Lu et Ferrero. Le buzz est immédiat. Des centaines de milliers de personnes signent ses textes et il est contacté par les dirigeants des grandes multinationales. « Ils m’ont dit que j’étais jeune, que je ne comprenais pas tout, qu’il fallait faire marche arrière… Mais comme je savais de quoi je parlais, à la fin ils n’avaient plus d’argument. C’est à ce moment-là que je me suis rendu compte que ma voix pouvait avoir du poids. »
Dans cet élan, il crée la page Facebook Le jeune engagé, relaie les vidéos de L214 et sensibilise sur de nombreux sujets qui dépassent l’huile de palme. Pourtant Johan a aussi ses contradictions et n’a pas peur de rappeler que l’écolo parfait n’existe pas : « Les jeunes sont très sensibles à la consommation, à la mode et en même temps, on est de plus en plus nombreux à avoir une conscience écologiste. Par exemple, quand j’étais petit, j’étais fan de voitures et d’animaux et je rêvais d’ouvrir une concession Lamborghini au Kenya. Aujourd’hui, je sais que ça n’a pas de sens et je n’ai pas peur de le dire. » Après le lycée, il entre finalement à Sciences Po Toulouse et imagine bientôt travailler dans les grandes institutions internationales.
Pendant les confinements, il bascule sur Instagram et décide désormais d’utiliser l’humour dans ses vidéos pour faire passer ses messages. « C’est une nouvelle approche qui est un peu plus légère sur la forme, même si je fais toujours autant attention à rester crédible sur le fond. Je trouve que c’est assez complémentaire d’autres comptes et ça permet de toucher des personnes qui ne sont pas toujours sensibles aux questions écologiques. » Il reconnaît toutefois qu’il n’est pas toujours évident de faire des blagues sur certains sujets, dont l’éco-anxiété qui le touche personnellement.
« Où est-ce que j’ai intérêt à aller pour que mon travail ait le plus d’impact ? », Johan Reboul, 23 ans.
L’année 2022 a été intense pour Le jeune engagé. Avec deux réels - l’un sur la consommation d’eau de Kim Kardashian et le second sur la Coupe de monde de football, qui ont comptabilisé 12 et 5 millions de vues -, la dynamique sur son compte a changé et il est désormais considéré comme créateur de contenu par la plateforme. Les collaborations avec des marques engagées et des institutions se multiplient et il se pose des questions sur son avenir : « Où est-ce que j’ai intérêt à aller pour que mon travail ait le plus d’impact ? » L’influenceur qui se méfie de la volatilité d’Instagram, explique qu’il ne veut pas dépendre des marques ni être récupéré par des partis politiques. Il cherche encore une formule qui lui permettrait de garder son indépendance, tout en trouvant de nouvelles manières de sensibiliser les jeunes générations. Peut-être qu’il participera à créer de nouveaux imaginaires, selon la formule de Cyril Dion, militant écologiste, qui propose de remplacer la foire aux vanités (l’obsession pour l’argent, le rêve de vacances sous les cocotiers…) que l’on voit sur les réseaux sociaux, par des récits de femmes et d’hommes qui réinventent leur quotidien pour lutter contre le changement climatique et restaurer les écosystèmes.
Marie Chureau, 20 ans, le militantisme comme parade à l’éco-anxiété
Il n’y a pas de doute, Marie Chureau, 20 ans et quatre ans de militantisme pour le climat à son actif, va peser dans le combat pour la cause climatique. Ne vous fiez pas à ses yeux bleus dragés et à sa blondeur enfantine, l’étudiante en sciences politiques connaît parfaitement son sujet. Comment en est-elle arrivée à passer ses soirées à suivre les débats à l’assemblée nationale et à égrener des rapports scientifiques ? Si certains jeunes disent s’être engagés suite à un événement particulier comme l’accident nucléaire de Fukushima, la crise sanitaire ou la coupe du monde de football au Qatar, la conscience écologique de la jeune femme s’est forgée avec le temps. En y réfléchissant, elle pense que ça a commencé quand elle a pris conscience que l’île de Noirmoutier, où vivent ses grands-parents, pourrait disparaître à horizon 2050 et engloutir ses souvenirs d’enfance. « Depuis quelques années, certaines plages de l’île qui a été bâtie sur des marécages ne sont plus accessibles et il y a de plus en plus d’inondations. Si ça continue, mes enfants et mes petits-enfants ne pourront pas avoir la chance de voir et de vivre dans ces endroits magnifiques », regrette-t-elle.
« Pour beaucoup de jeunes, Youth for Climate a été une porte d’entrée dans le militantisme… on pensait encore, peut-être un peu naïvement, qu’on allait vraiment changer le monde en marchant », Marie Chureau, 20 ans.
Elle fait partie des premières à rejoindre Youth for Climate en 2019 et à s’occuper de l’organisation des marches dans les Pays de la Loire. « Pour beaucoup de jeunes, ce mouvement a été une porte d’entrée dans le militantisme. À ce moment, on pensait encore, peut-être un peu naïvement, qu’on allait vraiment changer le monde en marchant », se souvient-elle. Son activisme lui permet d’amasser des connaissances sur l’appareil politique français et européen, l’écriture de plaidoyers ou encore la création de partenariats. C’est une période extrêmement stimulante, même si cela lui grignote tout son temps libre. « L’activisme, ce n’est pas un choix mais une nécessité, parce que plus j’apprends, plus je souffre d’éco-anxiété. Cette urgence est un moteur important dans ma vie, même si ce n’est pas tous les jours facile, parce que les résultats sont souvent décevants. »
Au début de son parcours universitaire, elle hésite. « J’ai choisi le droit parce que je me suis dit que ça serait plus utile et que je pourrais peut-être participer à des jurisprudences. Après, je me suis rendu compte que le système judiciaire était lourd et ne bougeait pas, alors, après ma licence, j’ai décidé de me réorienter en sciences politiques dans l’idée de travailler dans les ONG. » Et la politique ? Encore trop tôt pour le dire. Aujourd’hui, ce qu’elle souhaite par-dessus tout : transmettre. « J’ai accumulé tellement de connaissances que ça serait terriblement égoïste de les garder pour moi. Je dois essayer de toucher des personnes de tous les milieux sociaux. Ça va aussi avec ce désir de créer une société plus équitable. » Bien que son avenir lui paraisse encore flou - comment s’imaginer dans un job précis ou dans une maison avec l’effondrement de la planète ? - elle ira là où elle pourra être la plus utile, et fera tout pour imposer la question écologique à l’agenda médiatique.
Gabriel et Hadrien Mabilat, 25 et 28 ans, chanter l’inquiétude d’une génération
« La terre clamse, clamse et nous avec. Ça nous dérange un peu, ça nous dérange un peu… » C’est avec ces paroles issues de leur morceau Clap Clap - devenu l’hymne de la marche pour le climat en 2022 - que les deux frères de la butte Montmartre, se sont fait connaître. Persuadés que la musique a aussi un rôle à jouer dans la mobilisation pour le climat, ils cisèlent depuis quatre ans des textes qui entrent en résonance avec les préoccupations des jeunes générations. L’éco-anxiété, la disparition de la biodiversité et le réchauffement climatique y figurent largement : « Pour produire nos sons, nous avons également créé le label - C +(prononcé moins, c’est plus, ndlr), explique Gabriel. C’est vrai qu’un slogan de sobriété dans le spectacle vivant peut surprendre, mais être sobre ne veut pas dire que nos shows et notre musique sont moins exubérants. Entre nous, si tu chantes bien, si tu passes un message fort, est-ce que tu es obligé d’avoir un écran géant énergivore sur scène ? Non. On peut se rouler par terre, sauter, faire un grand spectacle tout en limitant la pollution que nous produisons. »
«Si à la fin on échoue lamentablement, au moins on n’aura pas le regret de ne pas avoir tout donné jusqu’au bout. », Hadrien Mabilat, 28 ans.
S’ils ont très tôt pris conscience de la limitation des ressources naturelles, mais aussi de petites choses toutes simples comme le fait que de l’eau propre sorte du robinet n’allait pas de soi, les membres de MAB ont progressivement adapté leurs comportements pour être plus en cohérence avec leurs tourments : végétariens depuis des années, ils limitent au maximum leurs déplacements, évitent d’acheter neuf et imaginent des tournées plus vertes. Demain, sillonneront-ils les routes françaises dans un van qui fonctionne à l’énergie solaire ? Choisiront-ils de se produire uniquement dans des petites salles où il est possible de créer un lien physique avec leur public ? Les contours de leur révolution sont peut-être encore flous, mais les idées pour bousculer le milieu de la musique et raviver de l’espoir chez les jeunes ne manquent pas. « On a beau se prendre un nouvel uppercut chaque année en voyant toujours plus l’impact du changement climatique, j’espère que notre musique donne de l’énergie et de la lumière à notre public, lance Hadrien. Et si à la fin on échoue lamentablement, au moins on n’aura pas le regret de ne pas avoir tout donné jusqu’au bout. »
Dans cinq ans, Gabriel espère qu’ils auront un nouveau studio et monté leur maison de disques : « J’aimerais qu’on sélectionne quatre ou cinq projets sur lesquels on travaillera avec un réseau de professionnels qui veulent également changer les pratiques de l’industrie musicale pour être plus en accord avec l’état du monde. » De son côté, Hadrien sait qu’il collaborera toujours avec son petit frère, parce qu’ensemble ils ont toujours veillé à rendre hommage à ce qu’ils préfèrent chez l’enfant rêveur qui sommeille en chacun de nous : l’optimisme à chaque épreuve.
Article édité par Gabrielle Predko ; photo par Thomas Decamps
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